Daniel MATOKOT

Professeur de Lettres, C.E.S.B.C.


 

En souvenir d'Aimé Césaire


 LA NEGRITUDE : RETOUR VERS LE FUTUR

Intéressant une aire géographique s’étendant de l’Afrique Noire à tous les coins  du monde où se sont établis des communautés noires, par le gré d’une « Shoah » méconnue par le monde occidental qui a finalement abouti à la déportation de 100 millions de « sauvages noirs » (Diaspora Nègre), le Mouvement de la Négritude a été un tournant décisif pour les jeunes intellectuels noirs de la première moitié du vingtième siècle.

Déconsidéré, dépersonnalisé jusqu’au début du vingtième siècle, l’homme noir de l’époque vit dans le découragement, la résignation et l’abattement. Deux thèmes caractérisent alors l’expression culturelle noire: la liberté perdue et la rigueur du destin.

L’évolution de ces thèmes ne sera plus qu’une question de temps car, comme le dit Balzac, « la résignation est un suicide quotidien ».

Le vent de la révolte viendra des Etats-Unis, notamment sous les traits d’un jeune docteur en philosophie, William du Bois, fondateur de l’Association pour le Défense des Droits de l’Homme Noir. Son livre, « Ames noires » (1903), prend à contre-pied les opinions des intellectuels de l’époque, replace sur un piédestal le continent africain, remet en cause l’idéologie esclavagiste et colonisatrice, redore le blason de l’homme noir. Il est connu comme étant le précurseur de la négritude.

Marcus Garvey, par le « Come back Africa », jouera lui aussi un rôle important dans l’éveil des consciences et ce malgré l’échec de son projet de retour vers l’Afrique, la Mère Patrie et son arrestation pour escroquerie.

L’organisation du mouvement de revendication se fera avec l’apparition à Harlem du Mouvement de la Négro-Renaissance  qui réunit de jeunes loups de la Littérature : Claude Mac Kay, Countee Cullen, Sterling Brown, Langston Hugues. Les thèmes exploités sont le rejet du racisme, le retour à la culture et à l’authenticité africaine et la libération de tous les peuples.

Le combat se déplacera sur d’autres champs de batailles.

Aux Antilles, Jean Price Mars ou Léon Laleau se battent pour revaloriser le créole et le folklore ainsi que toutes les survivances de la culture nègre.

En Europe, la prise de conscience est précipitée par les tueries de la Grande Guerre. L’unique numéro de la revue « Légitime Défense», rédigé par des auteurs antillais comme Etienne Lero, René Menil ou Jules Monnerot, revendique le « sang noir ».

Le contact entre les auteurs américains et africains entre 1929 et 1934 entretenu par le salon littéraire de Mlle Andrée Nardal, aboutit à la fondation du journal « L’Etudiant Noir » auquel participe Claude Mac Kay, Countee Cullen, Langston Hugues, Gontran Damas, Léopold-Sédar Senghor et Aimé Césaire.

Une arme vient de naître.

Elle servira à briser les barrières raciales et à lutter pour la Négritude.

Aimé Césaire utilise pour la première fois le mot Négritude en 1939 dans son « Cahier d’un retour au pays natal ».

Etymologiquement, la Négritude est la condition du Noir.

« La Négritude est, écrit Césaire, la simple reconnaissance du fait d’être noir, et l’acceptation de ce fait, de notre destin de noir, de notre histoire et de notre culture. »

La Négritude est aussi la façon dont les noirs appréhendent l’univers, la façon de créer propre aux noirs d’origine africaine.

Thomas Melone pense que « la Négritude est le propre du Nègre, comme c’est le propre du zèbre de porter des zébrures ».

Pour Senghor « la négritude est le patrimoine culturel, les valeurs et surtout l’esprit de la civilisation négro-africaine ».

Pour Sartre, c’est la « négation de la négation du Nègre » :

 « Puisqu’on l’opprime dans sa race et à cause d’elle, c’est d’abord de sa race qu’il lui faut prendre conscience. Ceux qui, durant des siècles, ont vraiment tenté, parce qu’il était nègre, de le réduire à l’état de bête, il faut qu’il les oblige à le reconnaître pour un homme… insulté, asservi, il se redresse, il ramasse le mot ‘nègre’ qu’on lui a jeté comme une pierre, et se revendique comme Noir en face du Blanc, dans la fierté ».

Malgré les critiques portées contre le Mouvement de la Négritude par des auteurs tels que Marcien Towa, Stanislas Adotevi ou Jean Paul Sartre, force est de reconnaître, que replacé dans son contexte historique, ce mouvement a réellement contribué à l’éveil des esprits et de ce fait, a servi à défendre les droits et à construire le Futur d’une nouvelle génération d’intellectuels noirs.

 

 

Sur la Traite Négrière

D’immondes charognards blancs aux becs acérés

Lacèrent le gras des viandes désemparées.

Les hiboux dans la forêt noire bouboulent,

Les chouettes du profond de l’ombre hululent

A pleine voix dans la nuit imperméable

Cet ahurissant message impénétrable :

 

Que vois-je là-bas dans la savane noire,

Semblables à des silhouettes de foire ?

Des vieux lions faméliques qui… se terrent,

Des gris chacals malodorants  qui … qui errent,

Puis se ruent d’un large bond vers la curée

Transformant de beaux êtres humains en purée.

 

Et brusquement notre continent bascule.

Dans les abysses sombres des morts faciles.

Et notre belle vie brusquement chavire

Pour gagner l’affreux monde des Basses Terres.

Aux milles échos s’entend ce râle macabre

Dans le tonnerre des chiffres et des nombres.

 

Nous l’avons peut-être voulu nous-mêmes.

Nous avons vendu nos frères et nos âmes. 

Pour un peu de riz et un morceau d’étoffe,

Pour un peu de poudre noire qui étouffe,

Sur un fusil rouillé mettre des entailles.

Nous avons bradé au marché nos entrailles.

Les carcans et les chaînes pèsent des tonnes.

Délicieux le chant que le fouet entonne.

Longue chaîne vivante au fond des cales,

Sous les caresses des rames et des voiles.

Traversée de rêve sur un yacht de la mort

Où à même les planches on se tait et on dort.

 

Au secours, mes frères !A l’aide, ô mes pairs !

Mais…

Personne n’entend, personne ne veut entendre !

Personne ne comprend, personne ne veut comprendre

 

Diaspora et génocide pour toute une race

Au rang de l’âne plus bas que le rapace.

Dans les champs de travail hors de leur continent,

Au noir sans-papiers pour le maître mécontent.

Au bout du monde sont des tribus entières,

Mais nul Blanc n’ose parler de Traite Négrière.

 

 

Copyright © 2006-2020 Centre d'études stratégiques du bassin du Congo   -   Tous droits réservés