Le 11 octobre 2008

Luambo Makiadi Franco

 « Le Maître de la Poésie Populaire Congolaise »

 

Par Daniel Matokot,

Professeur de Lettres, Auteur-Compositeur, Musicologue, Ecrivain,

Centre d'études stratégiques du bassin du Congo

 

Franco Luambo Makiadi

 

Les chansons de Luambo Makiadi alias Franco de Mi Amor, auteur compositeur prolixe et guitariste atypique, homme d’affaire né en 1938 et mort en 1989, ont conquis le monde. Elles ont forcé les portes des universités.

Pourtant Luambo Makiadi n’a pas suivi des études poussées de Littérature ou d’Art.  A l’âge de quinze ans, il enregistre, d’une voix présumée innocente et mal maîtrisée, des chansons avec le groupe Waton de Dewayon. Sa carrière artistique, truffée d’expérimentations diverses et enrichissantes, aboutit à la création du style « O.K. Jazz ». Autodidacte, ses connaissances musicales et artistiques se sont forgées au fil des ans sur les bancs de l’école des rues de Kinshasa la belle, capitale de la République démocratique du Congo (ex-Zaïre).

Comment s’explique l’engouement actuel pour l’œuvre de Luambo ? Pourquoi continue-t-on à l’écouter, à l’apprécier et à l’étudier?

La musique : moyen universel de communication

C’est vrai : n’importe qui  sait fredonner, chanter ou siffler  un air sans avoir eu au préalable une formation musicale exceptionnelle. Tous les Congolais n’ont-ils pas  le rythme dans le sang ? Ne le partagent-ils pas leurs émotions en se trémoussant généreusement  au son des orchestres des quartiers de Brazza et de Kin ?

Le plaisir que procure la musique à des personnes qui ne parlent pas la même langue, constitue déjà un moyen ultime de communication. Et même la science est incapable d’expliquer ce  qui amène les humains à composer et à inventer des instruments, à en jouer, ou même tout simplement à dire pourquoi les humains apprécient la musique et le chant. 

Lewis Thomas, membre de l’Institut américain de vulgarisation scientifique,  affirme dans la  Revue  Discover, (édition de juillet 1981, page 47) :

‘’Les musicologues, (…), n’ont pas la moindre idée de ce qu’est la musique, ni de la raison pour laquelle nous la formons et ne saurions être humains sans elle, ni même (…) de la manière dont l’esprit la conçoit tout seul avant qu’elle soit écrite et jouée. Ces questions dépassent les compétences des biologistes, des psychologues, des physiciens et des philosophes de tout poil.’’

La  musique influençant l’humeur, les sentiments, les attitudes et les comportements sur le plan individuel, il faut pourtant un talent exceptionnel pour exacerber les émotions, les humeurs et les comportements sur le plan collectif.

Richesse, complexité et diversité de l'oeuvre musicale de Luambo Makiadi

Ce talent, le grand Maître Franco l’a bien maîtrisé. À travers les œuvres amoureuses, satiriques, humoristiques, pamphlétaires de Franco se dissimule une grande complexité. Les thèmes abordés sont d’une grande diversité et l’interprétation et les leçons à en tirer sont fluctuantes au gré humeurs de chaque individu.

Luambo Makiadi réussit à tresser la corde sensible qui fait de l’homme un animal supérieur sur la planète Terre grâce à trois facteurs déterminants : le rythme et le timbre des instruments, la mélodie et l’harmonie agréable, les paroles émouvantes.

Mélanger les sons. Donner la primauté au rythme

L’O.K. Jazz privilégie le rythme. Il l’a toujours mis au diapason des réactions des amateurs peut-être inconsciemment influencés par leurs propres battements de cœur ou même par leur respiration.

Chaque instrument produit des harmoniques d’intensités différentes. Chacun a une « voix » qui lui est propre. D’où la particularité de générer des effets sonores destinés à éveiller des émotions. Les riffs des nombreuses guitares, les soupirs métalliques des nombreux cuivres, renforcés par les nombreuses percussions permettent à l’O.K. Jazz de produire des forces qui ont un effet stimulant ou apaisant. Franco ne s’est pas privé d’user de ces effets pour agrémenter ses mélodies.

La mélodie se définit comme une succession de notes qui forment une structure agréable à l’oreille. Mais toute succession de sons n’est pas forcément agréable à entendre. Pour parvenir à se faire apprécier encore faut-il arranger les sons naturels pour produire d’heureux effets. Savoir marier cette interaction constante entre harmonie et dissonance pour engendrer des tensions fluctuantes, pour la plupart imperceptibles, qui agissent sur les émotions, voila déjà une explication de l’engouement pour la musique de Maître Franco.

Susciter des émotions

Le rapport entre ce que nous entendons, ce que nous voyons et nos émotions est indéniable. La musique a le pouvoir unique et incontournable de susciter des sentiments et des émotions de façon rapide et efficace. Les chansons, paroles mises en musique, s’emparent du rythme et de la mélodie pour s’incruster dans l’esprit et le cœur. Même si, concentré sur la musique, on ne fait pas attention aux textes, l’effet des paroles, lent et subtil, est incontournable et résiste au temps.

Le thème de l’amour est évidemment le plus exploité par l’O.K. Jazz. Franco l’intègre dans tous les autres aspects de la vie. Exaltation de l’amour véritable, larmoiements sur l’amour déçu, dénonciation de l’hypocrisie et de la duplicité, la musique de Luambo s’enracine dans les faits divers et les événements quotidiens de la vie citadine (problèmes de ménage, libération de la femme, calomnies et mensonges dans la vie quotidienne, infidélité conjugale, séparation et divorces, problèmes entre les beaux-fils et les « marâtres », sorcellerie, etc.)

Chaque œuvre de Luambo Makiadi est une chronique sociale

Le genre « O.K. Jazz », situé aux antipodes de celui de « l’African Fiesta », développe les ingrédients de la poésie urbaine connue sous les dénominations modernes de Rap, Slam ou Hip Hop. On y retrouve les textes poétiques rimés et rythmés,  scandés, martelés, récités et non simplement chantés, les sujets engagés dans le social et politiquement et culturellement incorrects, les rythme syncopés, lancinants, langoureux, monotones mais hautement efficaces et surtout… surtout un zeste de cynisme réalisme, de détachement, de désappointement propre au Grand Maître Luambo Makiadi.

Ce style urbain et populaire flirte volontiers mais subtilement avec la vulgarité. Il alterne avec brio la critique à la limite de l'insulte et les propos réconfortants et amadouant. Luambo, à travers les mots, reconstitue les stéréotypes de la société congolaise à travers les défauts ou les qualités, les manies ou les obsessions de ses concitoyens.

Rumba (du kongo kumba) pure et agressive

Maniant le chaud et le froid, le bâton et la carotte, il manipule le public par une rumba pure et agressive mais originale où tous se reconnaissent dans les traits de Mamou, Mario et autres Salima.

Dans les méandres des titres évocateurs comme « Merci bapesa na mbwa, Bolole Ya Mwasi Oyo, Très Impoli, Très Faché, Makambo ézali bourreau, Kitoko Ezali Mayele Te, Toujours OK, Lisanga Ya Ba Nganga, Keba Na Songi Songi, Boma ngai, ngai na boma yo, Lettre à Monsieur le Directeur Général, Boma l'Heure, Mobali Na Ngai Azali Etudiant, Na Mpoto  Mbanda Asiliki, InfidélitéMado, Ma Hele, etc. », chacun trouve son bonheur.

Renouveler perpétuellement la rumba avec l'apport de nouveaux talents

Pour bâtir cet édifice, Franco s’est entouré de musiciens de renom, venus d’horizons divers,  de style et d’école musicales souvent opposés qu’il a modelé à son image: Nkouka Célestin, Nganga Édo, De la Lune, Sam Magwana, Dizzy Mandjeku, Josky Kiambukuta, Ntesa Dalienst, Jo Mpoy, Ndombe Opetum Pépé, Michelino, Papa Noël, Simaro Masiya, Youlou Mabial, Boyibanda, Isaac Muzikiwa, Dessoin, Decca, Madilu System, Empompo etc.

Une oeuvre monumentale qui a fait de Luambo Makiadi, le Maître de la poésie populaire Congolaise

Avec tout ce potentiel L’O.K. Jazz s’est hissé au rang des plus grands orchestres populaires de danse de l'Afrique noire.

C’est ce cocktail « boostant » et détonnant, essence  de la musique du Grand Maître Luambo Makiadi de Mi Amor, qui peut expliquer l’engouement mondial pour la musique du Grand Maître  Luambo Makiadi alias Franco de Mi Amor, le Maître de la Poésie Populaire congolaise.

 

Quelques thèses de doctorat sur Franco Luambo Makiadi et l'OK Jazz

Debhonvapi Olema, (1997),

La satire amusée des inégalités socio-économiques dans la chanson populaire urbaine du Zaïre. Une étude de l’oeuvre de Franco (François Luambo) des années 70 et 80, Thèse de doctorat (Ph. D.) en Littérature comparée générale, Faculté des études Supérieures, Université de Montréal, 610 pages.

EWENS GRAEME, (1994),

Congo Colossus : The Life and Legacy of Franco & OK Jazz, Norfolk (UK), Buku Press, 320 pages.

NZETE, Paul, (1991)

La chanson zaïro-congolaise : cas de la chanson de Luambo Makiadi, alias Franco, Thèse pour le doctorat ès Lettres, Université de Paris.

 

Image Nostaligie

Un Girobus (bus électrique) à Pont Cabu à Léopoldville en 1958

 

 
   

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