Hommage à LUSSIALALA De la poussière à la poussière… « Si la Mort avait des yeux Il devait savoir qui prendre et qui laisser », Chantait Loussialala la Poussière. « Mais comme la Mort n’a pas des yeux C’est du n’importe quoi », Nous avons perdu un artiste de talent, le 28 Septembre 2011, à Pointe Noire (République du Congo), des suites d’une crise cardiaque. Car avec la mort : « Il ne blague pas Il est le seul patron, Mal placé ou bien placé, C’est pas l’affaire de monsieur la Mort… » Nous l’avons connu à Brazzaville, dans un « foula-foula » ou un bus de la S.T.U.B., se rendant le matin au C.E.F.R.A.D., son lieu de service ; ou à pied, le soir, après une dure journée de travail, rentrant sans se presser à son domicile, en « musiquant » en cours de route, pour le grand bonheur des mélomanes, sur son inséparable « ngomfi », la petite guitare traditionnelle bembé. La légende nous a appris que son don s’est exprimé pour la première fois à l’âge de six ans. Le petit Albert N’Kibi, né à Myamba Mouyondzi (Congo Brazzaville) se voit confier un « ngomfi » par un homme (il a peur que l’enfant n’abime son précieux instrument) pour qu’il le lui porte au village. Non seulement la guitare arrive à bon port saine et sauve, mais le jeune garçon a eu le temps de « musiquer » dessus et de composer sa première chanson « Kidilu », qui demeure à ce jour un de ses meilleurs morceaux. Cette expérience pousse le petit Albert à fabriquer lui-même son propre « ngomfi ». Il apprend aussi à jouer de la percussion (« lokolé » et tam-tam). Rapidement, il se fait connaître dans la région comme un virtuose du « ngomfi ». La foule, enthousiaste, danse frénétiquement sur ses rythmes endiablés, si bien que la légende dit: « Quand Albert joue, tout le monde danse, et alors, il faut voir voler la poussière... » Sa musique trépidante est irrésistible et nous, résidents des quartiers Moungali et Poto-poto (Brazzaville), amateurs de la bonne musique, avons reconnu le génie. Très vite, nous avons fait nôtre le surnom donné au village : De la Poussière. Nous lui avons adjoint, en 1968, un autre surnom, Loussialala, lorsque "De la Poussière" enregistre « Loussialala », titre qui lui ouvrira les portes d’une carrière internationale. Nous avons scandé avec lui: «Ah ! Ah ! Loussialala Il faut que je te trouve… » La carrière internationale l’a finalement trouvé Au journaliste Justin Bakouma Benghot, du magazine culturel congolais La Cigale, qui lui demande en 1987 ce que représente la musique pour lui, il répond : « C’est une puissance, une lumière qui éclaire ma mémoire. Elle est aussi pour moi une nourriture, je ne peux pas m’en passer, car personne ne dira qu’il ne peut pas manger. » Pendant toute sa carrière il se fait rouler par des producteurs. Cela ne l’empêche pas d’aller de l’avant : « Je ne peux pas laisser tomber, parce que la musique est en moi. Certains font la musique parce qu’il leur manque du travail, mais ce n’est pas pareil pour moi. Enfant, je jouais déjà du « lokolé » dans mon petit village Moutété. C’était en 1947. Ensuite, j’ai joué du tam-tam avant d’adopter définitivement le « ngomfi » et de devenir chanteur. Malgré les difficultés, ce n’est pas après quarante ans de musique que je vais abandonner. » Il a eu raison de s’accrocher. Son sens inné de l’humour et de la repartie ; sa voix cassée, tordue, grinçante, douce, tendre, inimitable de « blues man » à la congolaise, car naturelle et originale ; son écriture simple qui nous plongent dans les réalités et les contingences de la vie urbaine et rurale, confirment l’espoir que le peuple du Congo profond a placé en lui. Son rire « carnavalesque » prend naissance au plus profond des festivités populaires et choisit pour cible le petit ou le grand pour affirmer l’alternance perpétuel du Haut et du Bas. Il est musicalement communicatif. L’artiste rigolo enchaîne vite les succès tels que « Copine » et « La mort n’a pas des yeux ». En solo ou en groupe, nous l’avons vu multiplier les expériences musicales : avec les Balka Sound qui tentent l’expérience de mêler modernisme et tradition ; avec le groupe Ngavouka composé d’une quinzaine d’artistes dont l’objectif est de présenter au monde des danses et des musiques des neuf régions du Congo Brazzaville. Il devient l’ambassadeur de la musique congolaise et fait des tournées à maintes reprises au Congo Kinshasa et dans tous les pays du monde : U.R.S.S. (1974), Nigéria (1977), Angola (1978), Algérie (1983), U.S.A. (1983), Brésil (1984). On le retrouve avec le Rocado Zulu Théâtre de Sony Labou Tansi des années 80, BBKB (1990), BBLB (1991), Histoires de soldats à Bordeaux (Koffi Kwahulé 2002), avec Antoine Mundanda.… Nous avons appris qu'il résidait depuis de nombreuses années en Suisse. Pendant la 6e édition du Tamtam d'or des Trophées de la musique congolaise qui a eu lieu à Owando dans la Cuvette le 24 février 2011, un hommage avait été rendu à l'artiste, en lui décernant le prix du manager, celui de la médaille du Commandeur du Mérite congolais. Au bout de la course, on est rattrapé par la mort : « Avec la mort Il n’ya pas de raison à donner Plus intelligent que la mort Ca n’existe pas Plus fort que la mort ? Ca n’existe pas Donc avec la mort vraiment Il n’y a pas de raisons à donner. » Et comme il s’appelle De la Poussière, l’heure est venue : De la Poussière est retourné à la poussière. |