Noël KODIA-RAMATA


 

 
 

 

Chanson africaine.

De l’Afrique centrale à l’Afrique de l’Ouest

 

Noël KODIA

Essayiste et critique littéraire

 

 

Depuis les indépendances, la chanson africaine, en plus de sa fonction primaire de divertissement,  a été pour les Africains un élément primordial dans le réveil des consciences après les souffrances endurées pendant la colonisation. Les artistes africains aiment chanter leur continent car se définissant à certains moments comme les hérauts de leurs peuples qui souvent ont du mal à exprimer leurs souffrances et leurs tristesses vis-à-vis de leurs dirigeants. Mais en Afrique francophone, un fossé semble se creuser entre l'Afrique centrale et l'Afrique de l’Ouest quand on écoute les œuvres des différents artistes.

Ces dernières années, les artistes africains semblent former deux camps diamétralement opposés, même s’ils chantent dans l’ensemble le quotidien social et sociétal des hommes et les femmes. Nous avons les artistes de l’Afrique centrale qui continuent à chanter l’éternel thématique qui se fonde sur la vie mondaine dont l’homme, la femme et l’argent occupent une place considérable A cela s’ajoute une nouvelle forme de musique par le biais de laquelle les artistes glorifient et flattent les hommes politiques qui pour percevoir en revanche d’énormes sommes d’argent pour la publicité accomplie. Et de ce côté, les artistes des deux Congo semblent remporter la palme. Des belles chansons  à leur compte comme par exemple chez l’artiste Koffi Olomide, mais émaillées de soutiens démagogiques aux hommes politiques qui paradoxalement sont à l’origine de certains malheurs et souffrances des peuples. Pourquoi dans ces chansons ne pas interpeller les décideurs politiques pour qu’ils puissent construire des écoles ou des hôpitaux pour améliorer les conditions de vie des citoyens ?

L’Afrique centrale : la chanson métamorphosée

Berceau de la musique moderne africaine, l’Afrique centrale, particulièrement les deux Congo et le Cameroun, a connu un passé glorieux et militant. Il y a eu des artistes engagés comme Kallé, Franco, Rocherau en République démocratique du Congo, Franklin Boukaka , Jacques Loubelo au Congo Brazzaville, Eboa Lottin, Ekambi Brillant au Cameroun. Ces artistes ont chanté les héros qui ont lutté pendant la colonisation  ainsi que les indépendances du continent. Le Congolais Kallé a chanté Indépendance cha cha en 1960 pour célébrer son pays qui venait d’être libéré par la Belgique. Francklin Boukaka et Jacques Loubelo ont chanté la Révolution prolétarienne au Congo Brazzaville ainsi les héros nationaux et internationaux. Les chansons de ces deux artistes, liant le fond à la forme, avaient traversé les frontières pour être appréciées par d’autres grandes figures de la musique internationale comme l’orchestre cubain Aragon qui a eu à interpréter des chansons de l’artiste Franklin Boukaka. Mais que remarquons-nous actuellement en Afrique centrale, particulièrement sur les deux rives du fleuve Congo ? La chanson semble perdre ses valeurs et teneurs dans la moralisation et la conscientisation de la société. Une grande place est réservée à la danse en laissant au second plan la thématique morale sur fond des idées qui pourraient permettre aux peuples de prendre conscience de leur situation sociale « négligée » par leurs politiques. Aujourd’hui, avec les nouvelles technologies de communication qui associent l’image au gestuel, des accoutrements et des danses érotiques sont mis en valeur au mépris des réalités socioculturelles du continent. Aussi, la forme prenant le dessus sur le fond, la chanson en Afrique centrale devient l’opium des peuples qui pensent plus qu’à danser qu’à réfléchir à la grande satisfaction des décideurs politiques qui ne demandent pas mieux car pour eux un peuple qui réfléchit devient un danger potentiel pour leur pouvoir.

L’Afrique de l’Ouest : la chanson au service des peuples

On semble vivre une autre réalité musicale en Afrique de l’Ouest quand on écoute des artistes comme Alpha Blondy et Tiken Jah Fakoly pour ne citer que ces deux figures. Leurs chansons interpellent les gouvernants africains qui se comportent mal. Quand on écoute Alpha Blondy chanter par exemple pour les journalistes en danger et pour l’abolition de la violence contre ces derniers, on est touché par le message qu’il porte au-delà de toutes les frontières où se trouvent les journalistes, quelle que soit leur nationalité. Il est de même pour Tiken Jah Fakoly qui, en chantant « Mon pays va mal », réveille la conscience de la jeunesse africaine qui pourrait transformer  ce refrain en « Mon continent va mal ». Et quand on compare les artistes de l’Afrique centrale et ceux de l’Afrique de l’Ouest,  une réalité socioculturelle semble se dégager.

En Afrique centrale, la chanson est plus dansée qu’écoutée avec un manque de prise de conscience politique au niveau des masses populaires. Et cette situation pourrait être un facteur des guerres civiles dans ces pays où la démocratie sur fond du multipartisme a de la peine à s’installer, la danse étant considérée comme l’opium des peuples. En Afrique de l’Ouest, se remarque une chanson engagée qui pousse les peuples à prendre conscience de leur réalité politique et sociale. Et ce travail des artistes les aide à interpeller leurs décideurs politiques.

La société africaine étant plus près de la littérature orale (la chanson et le conte) que de l’écrit, les musiciens se présentent comme les seuls artistes conteurs capables de conscientiser le continent par la chanson. Ils doivent y réfléchir. Faire danser les Africains, c’est bien, mais les  conscientiser, c’est mieux.

 

 

 

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