Noël KODIA

 


 

 

 

NATIONALITÉ ET IDENTITÉ AFRICAINES : UNE CHIMÈRE ?

 

Au moment où la notion de frontière interpelle de plus en plus les nations, on se rend compte que les pays européens tentent d’avoir une frontière commune pour contrecarrer l’immigration qui, semble-t-il, nuirait à leur identité. Et si les politiques africains pouvaient réfléchir sur le problème de frontière qui parfois dépasse l’entendement de leurs peuples ?

Avant la Traite négrière et la colonisation, le continent ne connait presque pas le problème de limitation stricte de territoire car chaque royaume qui s’y développe  se caractérise par une même identité. Des peuples de  même tribu se font rarement la guerre. C’est la Conférence de Berlin de 1884 qui bouleversera les véritables frontières entre les peuples quand les Occidentaux vont se partager le continent en le « découpant à la règle et à l’équerre ». De ce découpage sont nées des colonies qui deviendront plus tard, après les indépendances, des pseudos nations. Pour éviter des revendications territoriales, l'intangibilités des frontières héritées de la colonisation sera inscrite dans la Charte de l'Organisation de l'Union africaine (OUA) au moment de sa création, laissant ainsi plusieurs mêmes peuples éparpillés sur deux ou plusieurs pays. Des mêmes peuples sont en même temps dans le nord de la Côte d’ivoire et le sud du Burkina, l’ancienne Haute Volta étant en partie rattachée à la Côte d’Ivoire de 1932 à 1947 ; le peuple kongo se voit partagé entre l’Angola et les deux Congo. Or ces pays ont connu des expulsions réciproques des « populations étrangères ». Ces phénomènes interpellent plus d'un africain dans la mesure où les populations expulsées appartiennent à des tribus souvent établies de par et d'autre des frontières. Jusqu’aujourd’hui, l’Afrique profonde des forêts et des savanes ne connait pas ce qu'est une nationalité; elle l'assimile à l’appartenance à une même ethnie c'est-à-dire des groupes sociaux avec lesquelles on partage les us et coutumes, la langue, etc. Aussi, remarque-t-on la situation ambigüe dans laquelle se retrouvent la plupart des dirigeants africains quand ils pensent protéger leurs frontières, oubliant le caractère aléatoire de celles-ci, surtout quand elles séparent deux populations de même origine. D’ailleurs la carte nationale d’identité est souvent l’affaire des Africains de ville. Pour les peuples des forêts et des savanes, la véritable carte nationale d’identité est la langue vernaculaire qui leur sert de  communication, ainsi que les us et coutumes qu’ils partagent depuis la nuit des temps.

Le problème d’identité nationale inexistant dans les réalités africaines, s’est révélé manifeste quand le continent s’est trouvé confronté à la démocratie pluraliste qui demande aux populations d’aller aux urnes. Et souvent les résultats aux élections dépendant des nationaux qui sont appelés aux votes. Au cours des dernières élections sur le continent, on a vu des autochtones de certains pays être marginalisés dans le système électoral car considérés comme des étrangers (la majorité de ces autochtones vivant dans un pays frontalier). On constate aujourd’hui les difficultés qu’éprouve un pays comme la Côte d’Ivoire d’aller aux élections dans les délais les plus brefs à cause de ce problème de nationalité. Y’a-t-il vraiment des nations en Afrique pour parler de nationalité ?

Une nation se définit principalement par l’appartenance à un même territoire où le peuple partage une même langue. Rares sont les États en Afrique subsaharienne où la population parle une langue commune non imposée par le colonisateur, Madagascar étant l'exception qui confirme la règle. Quant aux langues africaines, elles sont utilisées par les populations qui ne sont pas établis parfois sur le même territoire.

Les royaumes africains n’ont pas pu garder leur identité quand ils ont subi l’assaut de l'Occident. Avec la Conférence de Berlin, ces peuples de différente origine territoriale et langagière ont été obligés de vivre ensemble malgré eux. Aussi, avec la naissance des Etats africains, il est difficile de parler de véritables nations, même après les indépendances qui leur ont procuré  armoiries, hymne et drapeau.

Les Allemands de l’Est et de l’Ouest d’hier ont été séparés pour des raisons géopolitiques comme le sont maintenant les Coréens. Aujourd’hui, ils sont tous retrouvé leur nationalité. Aussi, il est triste de voir sur le continent  des Africains de même origine, car liés par la langue, les us et coutumes, se repousser parce qu’ils appartiennent à des « nations » fabriquées par la Conférence de Berlin. Au moment où les Européens font tomber leurs frontières pour une identité commune, on assiste paradoxalement à des replis identitaires en Afrique. Et cette même année, l’Afrique centrale a montré un mauvais exemple quand l’Angola et les deux Congo se sont mis à expulser des « irréguliers » qui pourtant auraient pour réelle carte de séjour, la langue héritée de leur appartenance commune à un même foyer ancestral. Les pays africains doivent avoir pour projet de renforcer les regroupements régionaux comme la CEDEAO, la CEMAC, la SADC et autres groupements sous régionaux pour aller plus tard vers l’abolition des frontières avec libre circulation des populations. L’identité des peuples africains qui a été plus ou moins pervertie par la Conférence de Berlin, se reconstruira d’elle-même pour aller vers la naissance des véritables nations si la Africains prennent conscience de leur origine. Longue sera le processus.

Aujourd'hui les égoïsmes des micro-États l'emportent très largement sur la solidarité qui devrait être le ferment de tout projet politique destiné à faire de l'Afrique une nation et une seule.

Le chemin de la construction de la nation et de l'identité africaines est encore long. Il n'appartient