Noël KODIA

Essayiste et critique littéraire

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NOTE DE LECTURE

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« Les nouvelles d’Eloïse »

de Gilda Rosemonde Moutsara-Gambou

Les édition Plume d’Ailleurs, janvier 2010, 263 pages

Voici encore un roman signé par une Congolaise qui sort des sentiers battus des récits linéaires à nous souvent proposés. Avec « Les nouvelles d’Eloïse », nous avons un roman qui met en abyme plusieurs nouvelles de l’héroïne Eloïse. Aussi se remarque dans ce livre le « roman » constitué par le prologue et l’épilogue, deux bouts de récit dont le point de jonction sont les dix huit nouvelles que lit Eloise dans le coulé narratif et qui dressent un tableau plus ou moins réaliste de la société congolaise. A travers cette sombre peinture, les personnages de Moutsara-Gambou apparaissent et disparaissent au fur et à mesure qu’Eloïse continue sa lecture. Trois principaux thèmes s’y dégagent.

La femme en souffrance, principale personnage du roman

Comme dans la plupart des textes des écrivaines, la femme y occupe une place primordiale. Eloïse et ses principales « actrices » définissent la souffrance de la Congolaise dans la société. Elle-même et sa mère connaissent une vie de famille pénible. Cette dernière meurt quand elle a douze ans et porte en elle la souffrance des parents : « les maladies, la scolarité de leurs enfants, la restauration de leur maison en ruine, constituaient [pour] eux de véritables gouffres financiers » (p.262). Comme leur « créatrice », presque toutes les héroïnes des nouvelles baignent plus ou moins dans la souffrance. Emmenée très jeune en ville par son oncle pour les études, Berthe (p.137) se retrouve malheureusement là pour les travaux ménagers. Elle se marie dans l’espoir d’être heureuse. Dans « La béquille en bois » (p.148), on voit comment s’exprime la souffrance maternelle de Sophie qui réalise  que le handicap de son garçon brise le rêve de ce dernier qui voulait être footballeur. Léonie (p.168 ) est obligée de voler de la viande au marché car vivant dans la précarité et complexée par une ancienne collègue du lycée qui a fait un bon mariage. Prise en flagrant délit, elle se retrouve dans les mains de la police : elle a été tentée pour mieux nourrir ses enfants. Bellerose (p.173) marquée par la belle vie de sa tante, abandonne son jeune étudiant pour tomber dans les bras  d’un richissime qui fait son bonheur matériel. Mais commencent son malheur et ses souffrances quand son homme qui s’était présenté neuf est marié ne veut plus d’elle. Et Gisela (p.192) lui fait écho. Belle comme elle, et ayant réussi sa scolarité, elle pense se rattraper dans les plaisirs de la vie en quittant son homme pour se prostituer. Et à cinquante ans, elle n’a plus que ses yeux pour pleurer : elle a vieilli sans avoir un enfant. Sa stérilité nous fait penser à Odile (p.198) qui accepte les souffrances imposées par son mari qui a trouvé une autre femme pour avoir des enfants. Abandonnée à elle-même pendant deux ans par son homme et ayant accepté de s’occuper des enfants de sa « rivale » malade, elle reçoit son mari sans rancune, car fervente chrétienne. Ses prières seront exaucées car elle finira par avoir un enfant avec son mari. Quant à Patricia (p.215 ), elle nous rappelle un peu la vie de débauche de Bellerose et de Gisela. A l’issue de moult aventures amoureuses, et s’étant séparée de son deuxième amour Olivier, Patricia avorte pour une troisième fois. Cette fois-ci l’opération se complique et elle est gardée à l’hôpital pendant deux mois. Sans argent, et battue par un de ses ex-amants, elle se retrouve de nouveau à l’hôpital. Contre toute attente, c’est Olivier, devenu médecin après ses études, qui la soigne. Se réveille leur amour de jeunesse qui va les emmener au bonheur en « oubliant » chacun son passé dans un pardon réciproque. A la souffrance de ces sept femmes, on peut ajouter celle d’Elodie (p.240), on ne peut plus psychologique : c’est Julien un jeune Français, qui lui fait découvrir sa propre culture de femme de couleur.

La satire politique

Moutsara-Gambou a bien observé sa société pour y dégager quelques portraits politiques. Devant un ancien député qui l’a corrompu, le jeune Paul Songolo, candidat à la députation de sa circonscription (p.22) succombe à la tentation. Il joue le jeu pour préparer la victoire « logique » de son adversaire. Contre toute attente, enrichi par ce dernier, il s’exile pour une nouvelle vie. L’image du député revient dans « Les bidons jaunes » (p.161). Le député du quartier, qui a installé un suppresseur chez lui à cause  du manque d’eau perpétuel dans les robinets, exploite  les pauvres populations alentour en leur vendant de l’eau. Et ce manque d’eau  pousse les familles vers le fleuve dont le courant va emporter l’enfant de l’héroïne. Dans « Le mouroir » (p.103 ), c’est la politique de santé qui est décriée. L’oncle de Hervé travaille dans un centre hospitalier où il gagne bien sa vie mais où les agents sont paradoxalement mal payés, d’où leur cupidité qui transforme l’hôpital en mouroir. La politique dans « Les nouvelles d’Eloïse », c’est aussi Edouard qui se retrouve malgré lui dans un complot politique. Il s’exile pour se protéger d’une éventuelle vengeance de ceux qui ont voulu attenter à la République et qui ont échoué à cause d’Edouard. Marqué par la méchanceté de l’homme politique, il se donne à l’alcool pour oublier le triste tableau sombre du pays.

La place du personnage du fou dans le roman

Marcel (p.139), un homme bon et généreux « se transforme en fou » pour mieux observer les vices des hommes. Quelle ne sera pas leur surprise quand Marcel redevient normal et leur rappelle leurs « égarements ». La folie, c’est aussi l’histoire de cette femme qui a perdu son fils dans un incendie « à la lampe luciole » dont elle se croit responsable ; elle sombre dans la folie le jour des obsèques de l’enfant.

« Les nouvelles d’Eloïse », un livre qui confirme la maturité de la plume de l’écrivaine déjà révélée par le 4è prix du Concours ACCT de littérature africaine pour Enfants en 1998. Par son style qui ssréveille le regard du critique habitué à traverser le roman « linéairement », Moutsara-Gambou fusionne « l’état-roman » avec « l’état-nouvelle », une technique qui sort de l’ordinaire dans la présentation des personnages. Et comme le stipule son éditeur sur la 4è de couverture, « [ses] personnages [lui] échappent, entraînent le lecteur dans une aventure humaine portée par le lien magique de la réalité et de la fiction ». Gilda Rosemonde Moutsara-Gambou, une écrivaine qui promet.

 

 
 

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