Notes de lecture

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Patrick Serge Boutsindi

 

Une fille du Congo

Paris, L’Harmattan, Paris, 2010, 210 pages

ISBN : 978-2-296-11558

 Quand la jeune Bouesso quitte le village Makanda pour ses études à Brazzaville chez sa tante qui y vit avec son mari, elle ne sait pas que son destin va subir une série de péripéties rocambolesques à la rencontre de plusieurs hommes. Violé par le mari de sa tante, elle subit la colère de cette dernière quand elle réalise la « faute » commise par sa nièce. Chassée du toit parental, elle est accueillie par son amie Véro qui la recrute comme serveuse dans le bar où elle est actionnaire. Commence alors une nouvelle vie où l’homme va occuper une place prépondérante. Elle accouche d’un mort né après avoir été mise en enceinte par Bikou, le mari de sa tante. Entre temps lui reviennent les souvenirs de son premier amour de jeunesse (à lécole) : Itoua qui l’a connue à l’école. En compagnie de Véro, elle devient la maîtresse de Pascal, ami de Maestro, l’amoureux de Véro. C’est dans ce bar où elle exerce qu’elle est séduite par un certain Maker vivant en France et en séjour au pays. Marié puis divorcé, ce dernier promet un nouveau mariage à Bouesso. Mais le bonheur promis ne sera pas de la partie car Maker, de retour, en France, meurt. Bouesso est accusée de lui avoir transmis le sida, une accusation qui va s’avérer mensongère. Avec Pierre Malonga, un autre homme, rentré d’exil de France, en faveur de la Conférence nationale, Bouesso découvre un autre pan de la société congolaise. Avec cet homme « très engagé », Bouesso s’intéresse à la politique et devient une grande militante au sein du parti crée par Malonga.  Mais ce dernier sera broyé par la machine infernale de la politique sur fond de trahison d’un ami. Il connait une déchéance psychologique avant d’être abattu froidement par ses ennemis politiques. Bouesso qui va se retrouver au mauvais moment et au mauvais endroit échappe, par chance, à la mort malgré les deux balles qu’elle recevra des tueurs de Malonga. S’évanouissent ici les ambitions politiques du parti de Malonga ainsi que l’optimisme de Bouesso qui pense à l’exil pour aller vivre une autre expérience en France. « Une fille du Congo », un roman politique, mais qui révèle trois caractéristiques de l’écriture de l’auteur.

L’ombre de la politique congolaise

Après lecture, « Une fille du Congo » apparait comme un roman politique se fondant surtout sur la (re)naissance de la démocratie pluripartiste au Congo. Et cette thématique tourne autour de certains personnages tels Malonga et ses amis de lutte Makita, Bikinkita et Ikondi auxquels il faut ajouter l’héroïne Bouesso. Brillant étudiant en France pour être avocat, il regagne le pays au lendemain des indépendances africaines. Fonctionnaire puis ministre délégué à la présidence. S’oppose à la Révolution de 1963 et se retrouve en prison avant son exil.  Se révèle panafricaniste dès son retour au Congo en épousant les idées de Nkrumah. Critique l’Eglise dont se sert le Blanc pour exploiter une Afrique malade qui refuse son propre développement : « L’Afrique doit écrire sa propre histoire comme l’a dit Patrice Lumumba (…) L’Afrique doit s’unir comme l’a écrit Kwame Nkrumah (…) Je tiens nos ancêtres responsables de nos malheurs, et de toute cette ignorance chez les Noirs » (p.123-124). Et sa conviction et ses idées avant-gardistes vont gagner une grande partie du peuple au cours de ses voyages de campagne à l’intérieur du pays. Bouesso, depuis sa « rencontre » avec trois vieux politiciens du pays à son lieu de travail, va aussi s’intéresser à la politique ; et cela au grand étonnement de son amie Véro : « Mais qu’est ce qui te prend Bouesso ? C’est la politique qui t’intéresse maintenant ?  Mais qui t’a mis cette idée dans la tête ? » (p.86). Mais c’est surtout aux côtés de Malonga qu’elle réalisera son ambition politique en occupant une place important dans le parti dirigé par ce dernier. Bouesso apparait comme le prototype de la femme congolaise façonnée par la Révolution d’août 1963. Sa conviction politique pour une justice sociale justifie le risque qu’elle prend quand Malonga est assassiné par ses ennemis politiques. Et le roman de mettre en relief le côté tragique et dramatique de la politique africaine en général et congolaise en particulier sur fond d’une démocratie pluripartiste cacophonique. Après l’assassinat de son président, Bouesso découvre la véritable face énigmatique de la politique congolaise : « on avait enterré Malonga de peur de proroger la Conférence nationale (…) Son parti venait de connaitre une nouvelle scission (…) l’électorat du parti venait de s’effriter » (p.207).

La femme dans « Une fille du Congo »

En dehors de Bouesso considérée comme héroïne du récit, la femme en général joue un grand rôle dans l’histoire rapportée et définit un pan de la société congolaise au féminin. Elle apparait dans ses dimensions sociales. Bouesso, une fille qui croit à sa réussite sociale à travers les études qui l’attendent à Brazzaville. Malheureusement son rêve se voit brisé par l’appétit sexuel du mari de sa tante avant d’être accueillie par son amie Véro. Celle-ci symbolise la réussite sociale en ne comptant pas grandement sur l’argent des hommes ; elle est actionnaire dans un bar et se veut apolitique. Aussi, elle ne comprend pas l’ambition politique de Bouesso. Peut-être qu’on lui donnerait raison quand on voit le tragique dans lequel elle va se retrouver avec Malonga. La femme dans « Une fille du Congo » nous rappelle « La femme infidèle » du dramaturge Letembet Ambily. Longtemps humiliée par son mari pendant leur séjour en France, Madame Malonga prend plaisir à se faire baiser par son directeur d’école. Elle réalise ouvertement son instinct de vengeance sexuelle : « Pauline fut une fellation [à son amant]. Pour elle commençait là un début de vengeance contre les infidélités de son époux au cours de leur exil à Paris » (p.143). En dehors de cette dépravation que définissent Véro, Bouesso et Pauline, la femme chez Boutsindi a un côté valorisant. La tante de Bouesso ne digère pas la trahison de sa nièce qui commet la bêtise de coucher avec son homme. Elle la chasse de la maison pour sauvegarder son mariage. Germaine, une intellectuelle universitaire semble s’inquiéter de l’infidélité de Pauline qui pourrait influencer négativement la vie politique de son mari.

« Une fille du Congo » ou la liberté de l’érotisme dans le roman congolais

S’il est un auteur congolais qui a su exploiter les artifices du roman érotique, c’est Patrick Serge Boutsindi. Il rappelle quelques textes de la Camerounaise Calixte Béyala : « Elle se frottait à lui, caressant son sexe » (2). Avec Boutsindi, le sexe n’est plus « voilé » comme dans les romans de ses compatriotes comme chez Lopes ou Dongala par exemple pour des raisons de pudeur. Dans presque tous ses récits les personnages trouvent plaisir à copuler ouvertement comme au cinéma. On peut lire dans « Le Bongui » : « l’Abbé Nkéoua glissait son pénis dans le vagin de maman » (3). Une multitude de scènes érotiques caractérise « Une fille du Congo » : Bouesso se fait violer par Bikou. Par la suite, chassée du domicile parental, elle tombe dans les bras de Pascal quand elle travaille comme serveuse dans le bar de son amie Véro. C’est dans ce bar qu’elle est séduite par le « Parisien » Maker en vacances à Brazzaville avec qui elle fera l’amour, ce dernier lui ayant promis le mariage. Quand elle se donne à la politique, elle devient pendant un certain temps la maîtresse de son chef de parti, comme elle le rappelle elle-même : « La maîtresse que j’étais continuais à satisfaire sexuellement Malonga. Nous ne cessions de faire l’amour dès la tombée de la nuit » (p.156). En plus de l’héroïne qui évolue dans la luxure, il y a aussi Véro qui se livre à son amant Maestro. Pauline, de son côté, devient la maîtresse du directeur de son école avec qui elle passe de « bons moments » : « Ils se collèrent de plus en plus fort (…) La bitte de Monsieur le Directeur enfouie dans le vagin de Pauline Malonga, fit jouir celle-ci »  (p.195). Et ce thème de l’érotisme est accentué, dans le coulé narratif, par une isotopie du sexe spécifiée dans le récit par la récurrence des mots tels « zizi, sexe, vagin, pénis, clitoris, érection, fellation, baiser, éjaculation, sperme, copulation, bitte… ». Un vocabulaire tabou et impudique qui donne une autre beauté sensorielle et sensitive au texte.

Boustindi, maître du réalisme

Du style, Boustindi construit souvent ses textes en se fondant sur les réalités des faits sociopolitiques de son pays où la géographie de l’univers romanesque rappelle certains lieux de Brazzaville : « L’hôtel Kipling ressemblait à un motel(…) Il était situé dans la rue Lékana. C’est là que Madame Malonga et le Directeur s’étaient donné rendez-vous » (p .141). Cet hôtel ainsi que la rue Lékana sont des réalités de Brazzaville. Et le réalisme de Boutsindi se caractérise aussi dans la mise en scène de certains éminents noms politiques ayant existé ou qui existent encore : « Le jour de l’ouverture de la Conférence nationale, le président Denis Sassou Nguesso vint lui-même (…) donner le coup d’envoi du grand débat national (…). On évoqua à cette occasion les assassinats politiques perpétrés à l’époque de la présidence d’Alphonse Massambat Débat, de Marien Ngouabi et Joachim Yhombi Opango… » (p.159).

« Une fille du Congo », un roman qui montre comment le réel social et sociétal, mélangé à l’imaginaire, peut donner naissance à des chefs-d’œuvre littéraires comme la plupart des livres de Boustindi.

 

Noël KODIA (essayiste et critique littéraire)

 

Notes

(1) P.S. Boustindi, « Une fille du Congo », L’Harmattan, Paris, 2010

(2) C. Béyala, « Femme nue, femme noire », éd. Albin Michel, Paris, 2005

(3) P.S. Boustindi, « Le Bongui », éd. L’Harmattan, Paris, 2005

 

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