MUKALA KADIMA NZUJI

La Chorale des mouches

Paris, Présence africaine, 2003, 285 pages.  

S’il y a un roman qui parait encore d’actualité, c’est La Chorale des mouches. Un livre, dont l’écrivain est poète et critique littéraire avant d’embrasser agréablement la narration. Un livre qui est entré dans les classiques du roman francophone plus tôt que prévu.

Bientôt deux décennies après les Conférences nationales, l’Afrique continue à se désenchanter. Les séquelles des partis uniques sont encore perceptibles. Et dans son roman, Mukala Kadima Nzuji (1), avec une verve qui étonne les amateurs du roman, rappelle l’Afrique des dictateurs, à travers l’histoire de Oré Olé, président d’un pays imaginaire, le Kulâh. Une conférence nationale que l’auteur qualifie de « chorale de mouches », et n’a pas pu permettre au pays l’éclosion de la démocratie comme le souhaitaient ses « larges masses populaires ». La Chorale des mouches se présente comme un triptyque qui met en relief trois axes diégétiques : le récit autobiographique de Samuel-Joseph Tchebwa alias Sammy-Jo dans lequel s’imbrique le règne dictatorial du président Oré-Olé et les aventures de Ben, le cousin de Samy-Jo. Trois destins, trois « histoires » qui reflètent le sociopolitique des pays africains d’avant les Conférences nationales marqués par la corruption, le sexe, la gabegie. Et tous ces maux ont empêché les « soleils des indépendances » de briller au sud du Sahara. Et La Chorale des mouches peut être classé parmi les « romans du désenchantement » dont Jacques Chevrier parle dans Littérature nègre.

Ben ou la révolte jusqu’à l’infini

Enfant unique de sa mère, Ben voit son père mourir pour avoir nargué ses oncles qui voulaient lui proposer une autre femme pour « agrandir » sa famille. La disparition de son père déconcerte sa femme qui tombe dans la démence. Récupéré par l’oncle du défunt père, Ben est ramené auprès du clan où vont recommencer ses tribulations dès l’âge de quatre ans. Pour fuir la misère, il tente l’aventure avec un ami (qui deviendra handicapé physique après un accident de travail) qui l’initie au métier de cureur de latrines pour gagner leur vie. Revenu dans la ville dans l’espoir de retrouver son cousin Ben, cadre à la Banque nationale, il est déçu par l’indifférence de ce dernier. Il quitte la ville pour intégrer quelque temps la société des « hommes singes » dans la forêt du pays, des hommes de toutes classes sociales ayant fui la dictature et l’injustice du pouvoir. Sa disparition inquiète son cousin qui se voit interpelé par un cul-de-jatte, lui aussi, soucieux de l’absence prolongée de Ben. Les deux hommes s’allient d’amitié et décident d’aller à la recherche du disparu dans un village où existerait un repaire de malfaiteurs. Dans la société des « hommes singes », Ben échappe miraculeusement à un bombardement de la forêt qui les abrite. Il réapparait quelques années plus tard à travers le personnage de Papa Ambroise qui raconte à Samy-Jo, comment, compromis dans une sale affaire, il a été arrêté, battu par la population et sauvé de justesse par sa tante qui le reconnait facilement aux moments des faits.

Oré-Olé : un dictateur « made in Africa »

Comme l’affirme l’auteur, Oré-Olé représente « le réel de l’Afrique dans sa nudité ». Voici un chef d’Etat dont le pouvoir est caractérisé par le sang et l’insupportable. Oré-Olé est le prototype de certains dirigeants qu’a connus et que connait encore le continent. Entouré de ses parents, il cultive le népotisme, le favoritisme et la gabegie. Et ceux-ci vont contribuer à sa déchéance. Mais tout son pouvoir va commencer à s’écrouler à partir d’une bavure d’un de ses hommes de main. La disparition d’un ancien footballeur prophète (celui-là même qui avait vu la fin du dictateur) pousse les chefs de quartier de la ville d’aller voir les autorités. Ils sont reçus par des coups de feu à la résidence du gouvernorat. Commence alors la révolte du peuple avec une opposition qui se manifeste au grand jour. Oré-Olé se retire dans son village natal avec ses proches et au même moment naît une rébellion dans tout le pays. Naïf et conscient de son pouvoir, il entreprend une tournée d’explications dans les différentes régions du pays. Il constate que la rébellion devient une réalité. Entre temps, un de ses proches Konga Zanga trouve la mort dans un accident d’avion au cours d’une mission dans un pays voisin. Les trois jours de tournée dans les régions ne sont qu’échec pour Oré-Olé car il est désavoué partout où il est passé. Et les lettres et mémorandums qu’il reçoit sur place et de la diaspora demandant sac démission, le mettent mal en pis. Contre toute attente, il organise des consultations populaires et décide d’ouvrir le pays au multipartisme. Mais la Conférence nationale s’tant soldée par un échec à cause des querelles et contradictoires, Oré-Olé se refait et l’espoir du peuple du Kulhâ se transforme en désenchantement.

Samuel Joseph Tchebwa alias Samy-Jo, le cadre écrasé par le tribalisme

Il apparait comme le héros central du roman. C’est lui qui se raconte et à qui les autres personnages rapportent leurs aventures. Il est le cousin de Ben. A la recherche de ce dernier, il fait la connaissance d’un cul-de-jatte, un vieil ami de Ben. Thebwa est un cadre de la Banque nationale ; le cul-de-jatte l’accuse d’être à l’origine de la disparition de Ben pour l’avoir abandonné à lui-même. Acculé, il accepte la proposition de ce dernier : aller à la recherche de Ben au « repère des malfaiteurs ». Un chauffeur les emmène vers les lieux censés abriter le disparu. Aidés par un pasteur, la recherche se solde par un échec car ils sont mal accueillis par les hommes singes dont le chef s’insurge contre le dictateur de Oré-Olé qui les a poussés à se réfugier dans la nature. Déçus, Samy-Jo et son compagnon décident de rentrer en ville. Sur le chemin du retour, ils sont victimes d’un accident dans lequel le chauffeur et le cul-de-jatte trouvent mort. A l’hôpital où il est retenu, il fait la connaissance d’une infirmière dont le prénom lui rappelle son ex-épouse. Samy-Jo tombe amoureux de l’infirmière qui devient sa maîtresse. Il est surpris quand cette dernière lui apprend qu’elle est la nièce du patron de la Sécurité de Oré-Olé. Partagé entre la belle Elloën-Marcy qu’il avait connue au village au cours de la recherche de son cousin, et Chancelvie l’infirmière, le héros tombe sous la loi de la dictature. On lui impose comme épouse l’infirmière. A cause de cette nouvelle situation, il gagne une promotion au sein de la banque. Victime des manigances sur fond de vagin, Samy-Jo se voit humilié par sa première Chancelvie qui devient la maîtresse d’un proche du président. Avec l’avènement de la Conférence nationale, il décide de se séparer de l’infirmière qui se venge de son attitude : il est suspendu de la banque. Converti en journaliste avec la création d’un bimensuel Notre pays, Samy-Jo se crée des ennuis quand il dénonce une magouille de la présence. Malheureusement pour le héros, avec le retour de l’arbitraire et de la violence dans le pays, il est arrêté sous l’ordre de Oré-Olé

Un style particulier dans « la Chorale des mouches »

Si au niveau du fond, le roman semble ne pas « relater quelque chose d’extraordinaire » sur la réalité sociopolitique des dictatures africaines, le livre de Kadima Nzuji, révèle en revanche une recherche au niveau du style. La diégèse apparait comme un témoignage dans une écriture qui montre que l’auteur est d’abord un universitaire tant les règles fondamentales de la langue française sont respectées à la lettre. L’auteur utilise la technique du rétroviseur : le récit avance par une succession d’analepses. Plus on « s’enfonce » dans le coulé narratif, plus on découvre le passé de certains personnages à travers la multiplication des rétrospections. S’y remarque aussi un effet d’intertextualité quand le récit nous plonge dans l’univers diégétique de Tchichelle Tchivela (p.252). Par la vraisemblance qui caractérise certaines pages de la sociopolitique des pays africains, La Chorale des mouches s’écarte  un peu de l’effet peinture pour épouser l’effet photo (p.181). On remarque dans ce roman que les effets du réel sont accrus et les personnages traités avec sérieux. La majorité des personnages sont des prototypes de la société africaine : le jeune ouvrier, le cadre, le président et son entourage, la femme qui croit s’émanciper par son sexe et les sectes ces groupes de prières. Et l’auteur bouscule un peu la photographie de la réalité africaine qu’il critique en la théâtralisant comme dans le dialogue du président avec sa nièce Mireille (pp. 247-255)

Pour conclure

La Chorale des mouches, un livre qui montre que l’auteur est plus qu’un romancier. Un livre qu’il faut lire avec attention. Et par sa première réussite, Mukala Kadima Nzuji, à l’instar d’Emmanuel Dongala avec Un fusil dans la main un poème dans la poche, venait de rentrer par la grande porte dans la prose narrative de la littérature francophone.

Notes

(1)  Ecrivain et critique littéraire, il enseigne la littérature à l’Université Marien Ngouabi de Brazzaville.

Noël KODIA

 

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