Dina Mahoungou 

 

Agonies en Françafrique

L’Harmattan, Collection Ecrire l’Afrique, Paris, 2010, 290 pages

ISBN : 978-2-296-13705-9
 

 

Le romanesque congolais en mouvement

 

Brazzaville, Paris et sa banlieue, Bruxelles, tels sont les espaces toponymiques dans lesquels se déroule l’histoire de la famille Matouba-Touba. Une histoire de la guerre de Brazzaville, de la vie tragique qui poursuit Yves Matouba-Touba en Europe.

Après son séjour raté au pays, Yves Matouba-Touba revient à Paris où il retrouve sa femme Béatrice et ses trois enfants qui ont grandi sans lui. Dans Paris, il assiste impuissant à la déchéance de sa progéniture et cela malgré la bonne volonté de sa femme Béatrice dont l’amour maternelle envers ses enfants est sans reproche. En Yves Matouba-Touba, se résume la vie de sa femme marquée par la mort atroce de sa fille unique, esclave de la drogue, l’assassinat de sa belle-sœur Léonie, la mort de ses beaux-parents brûlés vifs pendant la guerre de Brazzaville. A cela, il faut ajouter la déperdition de ses jumeaux empêtrés dans les histoires de vol et de recel dans cette société cruelle de Paris qui va tour à tour les broyer avant de s’occuper du reste de la famille. « Agonies en Françafrique », un roman multidimensionnel avec une foultitude de thèmes et dont la mort apparait comme le personnage central. Ce livre, un roman qui épouse le style du polar et du fantastique qui pourrait définir l’auteur comme un laborantin du récit.

Paris intramuros dans « Agonies en Françafrique »

Si Brazzaville avec ses guerres de la décennie 90 apparait en analepse dans le récit, toute l’essentiel de l’action, de l’intrigue au dénouement, se passe dans Paris et sa banlieue dont l’auteur semble connaitre les coins et recoins de la vie mondaine africaine et asiatique. Paris et sa banlieue se dévoilent  tout au long du récit avec leur univers à multiples physionomies comme dans les quartiers chauds tels Belleville, les Tartarets et surtout le 18è. Et c’est dans ce Paris chaud que la fille de Matouba-Touba va succomber à la drogue : « Tous les après midi, elle s’asseyait à l’arrêt du bus 56 au Château-Rouge en direction de Clignancourt (…). Ensuite, elle tapinait au square Léon, derrière les massifs de St Bernard ou quelquefois à Louise de Marillac, le jardin du métro La Chapelle » (p.75). Dans ce Paris de Château-Rouge qui caractérise l’autre versant de la diaspora africaine, l’auteur est rattrapé par l’identité des sapeurs de son terroir mise en relief par des célébrités comme Djo Balard, Célestin Profa-Kiomba et bien d’autres : « Dans le restaurant exotique Tari-Kalafar, Goma le môme, le grand Dobrin, les grands devanciers de la sape (…) dégustaient leurs plats avec dignité ». C’est encore dans ce Paris que plusieurs acteurs vont  tomber dans le piège de la mort qui est omniprésente dans le roman.

« Agonies en Françafrique » : le récit de la mort

Elle est partout sur tout le trajet événementiel du roman. Mais ici, comme chez Tati Loutard et Sony Labou Tansi, elle montre son caractère violent et horrible quand elle frappe ses victimes. De Brazzaville à Paris en passant par Bruxelles, elle « fait mal » aux lecteurs sensibles car elle se dévoile pure dure et crue. Dans la guerre de Brazzaville, les parents de Matouba-Touba sont brûlés vifs. À Paris, la jeune Nade qui a décapité son père, tombe dans la démence avant de se suicider en se faisant écraser par le train. Marquée par la « disparition » de sa progéniture et celle de son mari, Béatrice, dépossédée de son statut de mère, d’épouse et de femme heureuse et découvrant en elle un cancer en phase terminale, se suicide : « elle était complètement nase, elle expirait par son nez ensanglanté des vapeurs blanches (…). De son geste hagard, Béatrice plana dans l’air ». La mort chez Dina Mahoungou se veut horrible et atroce : « [Le Chinois] reçut un coup dans la tête venant d’un silencieux, ça tachait, c’était désagréable. Les fragments des os de la tête fracturée pendaient comme de la fiente d perroquet ». Et cette « façon de mourir » atroce et horrible fait écho à celle de Yves Matouba-Touba piégé dans un incendie : « Les poudres et les barriques explosèrent (…). Yves avait aussi explosé avec les barriques, anéanti avec soudaineté et violence, il était réduit en lambeaux ».

Du réel à la caricature en passant par le polar et le fantastique : un style signé Dina Mahoungou

À certains segments textuels, le roman se lit comme un polar tant au niveau du référentiel que celui du littéral. Aussi, la violence des situations décrites épouse celle du scriptural comme on peut le découvrir dans le segment narratif ci-après : « Entre ses yeux, un écoulement de sang, un liquide visqueux et noirâtre sortait du petit trou, livrant au passage de petites parcelles de chair finalement hachées ». Du fantastique, on peut se référer au personnage de Tapama Dienopo qui, avec sa flûte « magique » nous plonge dans le merveilleux. À cet instant le roman se lit comme un conte : « Mademoiselle Tapama Dienopo, tenant la flûte enchantée de sa main gauche, passant sur un nuage, regardait sur la terre et aspergeait de gouttelettes de pluie fine les petits gamins dissipés qui traînaient dans les ruelles de la cité de Djenné ». Quant à la caricature dans le récit, elle évoque des hommes politiques ayant réellement existé. Se dévoile à travers celle-ci une belligérance entre les dimensions référentielle et littérale qui donne une autre caractéristique au texte. L’auteur interpelle le lecteur dans un pleurer-rire congolais : « Le général de classe exceptionnelle, le parrain des zoulous (…). Le grand chaman (…) devenu  par le hasard des choses député Maire de la ville, le chef des ninjas. Enfin le sage professeur, l’émérite, le protecteur des cobras, un mandarin (…) qu’on appelait l’Académicien »

Conclusion

« Agonies en Françafrique » se définit comme une autre technique romanesque. Un roman dont le linéaire est agréablement saccadé et qui demande aux lecteurs d’appréhender, au fur et à mesure que s’étale la diégèse, la foultitude de thèmes qui s’y développent. Avec cet ouvrage, Dina Mahoungou s’éloigne des clichés des décennies littéraires passées pour un renouvellement du roman tant au niveau du référentiel que celui du littéral.

Noël KODIA

(1) Dina Mahoungou, « Agonies en Françafrique », Ed. L’Harmattan, coll. Ecrire l’Afrique, Paris, 2011, 257p. 26 euros.

 

 

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