Noël KODIA-RAMATA


 
 

Le 26 août 2009

CRITIQUE

 

LIVRE :

ARMAND GOULOU

Un chemin rocailleux

Paris, L'Harmattan, juin 2009, 202 pages


 

Voici un nouveau récit sur un pan de l’histoire du Congo et dont les souvenirs sont encore présents dans la mémoire collective : la Conférence nationale avec ses corolaires telle la démocratie pluraliste et son côté tragique que nous retrace l’auteur : les différentes guerres civiles des années 90, consécutives aux divergences ethno-régionalistes des acteurs politiques.

 


 

Quand le jeune Ntsiba se retrouve en France pour ses études supérieures, il vit de loin les métamorphoses politiques de son pays. La Conférence nationale consécutive à la chute du mur de Berlin tourne une nouvelle  page de l’histoire sociopolitique du Congo. Et cela malgré les soubresauts des premières années démocratiques. Après plusieurs années d’études marquées par les difficultés socioéconomiques que rencontre la plupart des étudiants en Europe, Ntsiba rentre au pays pour réaliser ses projets d’entreprise à Pointe Noire et à Brazzaville, laissant sa femme Caroline enceinte en France. Malheureusement il est surpris à Brazzaville par la guerre de juin 1997 qui va l’emporter. Caroline et ses enfants retrouvent le goût de la vie quand ils se retrouvent à Brazzaville grâce à Ntsanga, le frère cadet du héros à travers son séjour en France. « Un chemin rocailleux », un roman polyphonique dans lequel se dégagent plusieurs destins. L’histoire du héros avec sa femme Caroline, une amie française d’enfance par correspondance, peut se définir comme pièce maîtresse du roman. Mais en dehors de celle-ci, il a connu en France quelques aventures avec des femmes telles Patricia (qu’elle rencontre dans l’avion qui l’emmène de Brazzaville à Paris), Christine qui se donne la mort quand elle réalise qu’elle a le sida, sans oublier sa fiancée Olga restée au pays. Autour de l’histoire du héros, gravite celle des familles Okemba,  Nzouli et Massengo, sans oublier la vie en couple de Samba et Graziella qui vont marquer sa vie estudiantine aux côtés d’autres compatriotes tels Pambou et le séducteur Bounga.

Pour ceux qui auraient vécu les différents événements consécutifs aux guerres congolaise de la décennie 90, ce roman apparait comme une transposition on ne peut plus fidèle des tragédies de Brazzaville. Le narrateur qui rapporte de l’extérieur cette histoire dramatique pourrait se définir comme un caméraman filmant tout ce qui se passe devant lui : le destin tragique du héros qui va du Congo en France. Destin qui revient à la case départ quelques années après pour être brisé malheureusement par la guerre de juin 1997. « Un chemin rocailleux », un récit qui se fonde sur le vraisemblable mais se présentant paradoxalement comme un puzzle à cause de la multiplication de micro-récits qui parfois brise la trajectoire du récit principal. Et se dégagent dans ce livre quelques pertinences qui mériteraient d’être analysées.

 « Un chemin rocailleux », le roman des amours

Le premier amour entre le héros et sa fiancée Olga restée au pays va subir l’usure du temps et l’éloignement avant de s’éteindre. S’éteindra aussi  le dernier amour du héros avec Caroline quand l’homme sera fauché par la mort de juin 1997. Mais entre l’ « amour-alpha » avec Olga et l’ « amour-oméga » avec Caroline, le héros apparait comme un Don Juan tout au long de son séjour en France. La jeune Franco-congolaise Patricia est sa première conquête qu’il croise dans l’avion qui l’emmène à Paris. Leur amour atteint l’idéal quand la jeune femme ne résiste pas aux avances de Ntsiba : « Ils firent la vaisselle avant de se retrouver  dans la chambre. Ils se glissèrent dans la couette (…). Ce contact créa en eux un frissonnement de plaisir (…). Les yeux flamboyant de désir, elle posa tendrement ses lèvres sur les siennes. Elle était irrésistible. Et Ntsiba en fut complètement désarmé. Baisers et câlins se succédèrent. » (p.46). Avec Patricia, l’amour n’ira pas jusqu’au bout du chemin car ils vont se séparer d’une façon rocambolesque avant de transformer leur amour en amitié. Dans sa vie d’étudiant, le héros, par l’intermédiaire de son ami Bounga, fait la connaissance de Christine qu’il a sauvée entre temps d’une situation financière dans un restaurant. Entrainée dans la drogue par son ex-compagnon, cette fille retrouve le goût de vivre avec Ntsiba. Et leurs sentiments vont se concrétiser intimement : « Je [Christine] savais que je pouvais compter sur toi. J’ai envie de toi… est ce qu’on peut faire l’amour ?/ Bien sûr que oui » (p.88). Mais cet amour se termine tragiquement car, ayant découvert sa séropositivité, peut-être à cause de la vie qu’il a menée avec son ex compagnon, Christine met fin à sa vie en se suicidant. Amour éphémère avec Patricia, amour raté avec Christine,  Ntsiba tombe dans l’amertume. Quand il devient employé de son amie Caroline, il sauve cette dernière de son désespoir : elle a été violée par un oncle à seize ans, son amour avec James Salt a été brisé par le cancer de ce dernier et son fiancé Julien, un obsédé sexuel a couché avec leur domestique. De leur affection mutuelle, va naître leur véritable destin qui va se reposer sur leur décision de se marier : « Maintenant elle l’aimait plus que tout. Grâce à lui, elle avait retrouvé la joie de vivre (…) Elle voulait au plus former une famille avec lui » (p.158). Et nous ne serons pas surpris qu’elle porte en elle un enfant de Ntsiba qui, malheureusement ne verra pas la naissance de celui-ci à cause de la guerre de juin 1997. Cet amour, malgré les aléas de cette guerre, l’emmènera au Congo où elle pourra recommencer sa vie avec Ignace, un ami de son beau-frère Ntsanga, lui aussi veuf. L’amour dans « Un chemin rocailleux », c’est aussi cette idylle entre Samba et Graziella qui prend un coup quand cette dernière tombe enceinte, situation que l’homme n’admet pas. Mais tout rentrera dans l’ordre entre les deux amants grâce à la réconciliation prônée par Ntsiba : « Il [Samba] a mon pardon (…) je l’aime (…) Dis-lui que je l’attends. J’ai besoin de lui » (p.163).

L’horreur de la guerre et pédagogie du roman

« Un chemin rocailleux » se fonde grosso modo sur les guerres de Brazzaville des années 90. Se dégage un aspect pédagogique dans le roman quand l’auteur met en évidence l’horreur de la guerre pour que les Congolais disent « Plus jamais ça ! ». A travers ce récit, l’auteur condamne les acteurs politiques qui se révèlent plus tribalistes que patriotes en se servant de la naïveté des jeunes pour assouvir leur dessein. A certains moments du récit, le narrateur nous présente Brazzaville à « feu et à sang » où Cobras, Cocoyes et Ninjas font la loi. Et dans cet enfer de Brazzaville,  l’auteur nous « photographie » certaines horreurs qui assombrissent l’image de la ville ; le héros n’initie, malgré lui, à l’arme que lui apporte un parent : « Arrête tes lamentations (…) J’ai fait mon devoir en t’apportant une arme, c’et dans ton intérêt de savoir t’en servir » (p.180). Et ces horreurs de la guerre sont aussi dévoilées à travers les événements que vit le héros malgré lui. Il ne comprend pas cette jeunesse perdue dans l’utilisation des armes : « Si je ne suis pas recruté [dans l’armée], je me servirais toujours de mes armes pour garder mon train de vie (…)/ Tu crois pouvoir braquer ou piller des gens indéfiniment et impunément (…) Tu risqueras ta vie pour rien… » (p.182). Et à travers cette dénonciation de la mauvaise main mise des politiques sur la jeunesse, se dégage une leçon de pédagogie pour condamner cette mauvaise attitude des acteurs politiques congolais.

Du style : « Un chemin rocailleux », un roman des paradoxes

Le récit de Goulou se construit par une série de « paradoxes-contraires » qui font la spécificité du roman. Le début de chaque destin se remarque par son contraire. Le héros qui réussit « socialement » son retour au pays à Pointe Noire et Brazzaville, sera paradoxalement anéanti malgré lui par la guerre de juin 1997. Christine qui croit à un bonheur avec Ntsiba, se précipite paradoxalement dans le suicide quand elle se voit perdue à cause de son sida que vient de lui révéler des analyses médicales. Caroline qui tombe dans le désespoir après ses mésaventures avec son amant James Salt et son fiancé Julien, retrouve la joie de vivre quand Ntsiba accepte de se marier avec elle. Plus tard, bouleversée par la mort de son mari, elle se découvrira une nouvelle vie quand elle fera la connaissance d’Ignace.

Pour conclure

Affirmer que l’on a tout dit sur ce roman multidimensionnel n’est que pure utopie. Ecrit dans un style alerte qui rappelle à certains moments le langage cinématographique, « Un chemin rocailleux » se définit comme un roman réaliste qui révèle le regard objectif de l’auteur sur un pan de l’histoire congolaise des années 90. Où la dimension idéelle dépasse la fictionnelle. Et s’il y a un auteur qui a su bien « photographier » une partie des guerres de Brazzaville, c’est bien Armand Goulou.

 

 

 

Copyright @ 2006-2012 Centre d'études stratégiques du bassin du Congo   -   Tous droits réservés