Le 31 juillet 2008

L'Échec des NÉGOCIATIONs DE GENÈVE :

un rÉpiT pour l'agriculture africaine ?

Par Aimé MIANZENZA, Cesbc

Les négociations sur la libéralisation du commerce mondial dont l’accord devait sanctionner la fin cycle de Doha ont abouti à une rupture. Menées dans le cadre de l'Organisation Mondiale du Commerce à Genève, l’accord était destiné à ouvrir les marchés intérieurs des 153 pays membres aux produits étrangers notamment en baissant les taxes sur les importations et les subventions publiques. C’est dans la capitale du Qatar, que furent initiées et lancées ces discussions d’où le nom de « cycle de Doha ». Ce raté n’est pas une première. En effet, des échecs retentissants parsèment le chemin parcouru jusqu’à présent par le cycle de Doha depuis son lancement, il y a près de sept ans, le 14 novembre 2001 :

  • en septembre 2003, le cycle de Doha avait déjà connu un échec lors de la conférence de Cancun (Mexique) qui s'était transformée en affrontement Nord-Sud autour de la question agricole ;

  • le 22 juin 2007, les responsables des négociations commerciales internationales des États-Unis, de l’Union européenne (UE), du Brésil et de l’Inde, qui s’étaient réunis à Postdam, n’ont pas trouvé de compromis sur les aides agricoles et sur l’ouverture des marchés aux produits non agricole des pays en développement ; ce compromis était impératif pour relancer les négociations.

I. L'OMC ou la marche  à sens unique vers le libre-échange

L'Organisation Mondiale du Commerce  a été créée afin d'établir les règles régissant le commerce international entre les pays membres afin de faciliter le libre-échange entre les producteurs de marchandises et de services, les exportateurs et les importateurs.

1. Le cycle de Doha et l'émergence du Sud

En 2001 à Doha au Qatar, à la 4e Conférence interministérielle de l'OMC les pays membres ont lancé un nouveau cycle de négociations multilatérales, baptisé « le cycle du développement ». Le cycle de Doha était prévu pour durer trois ans. Au terme de cette période, les négociations devait aboutir à la conclusion d'un accord qui devait permettre, entre autres, aux pays en développement, un meilleur accès aux marchés des pays riches, notamment en ce qui concerne les produits agricoles. Mais très vite des divergences d'intérêt majeures sont apparues entre les pays du Nord et ceux du Sud. Les négociations ont pris du retard si bien qu'au lieu de s'achever en 2004, le cycle continue faute d'accord. Le 28 juillet 2006, le cycle de Doha était officiellement suspendu.

Par ailleurs les États-Unis, l’Union européenne, le Brésil et l'Inde sont devenus progressivement les acteurs principaux de la négociation dans le cycle de Doha. Jusque là, tout se passait entre les États-Unis et l’Union Européenne.

La montée en puissance des pays du Sud dans les négociations du cycle de Doha s’explique par le fait que considérés globalement, les pays du Sud sont devenus des acteurs majeurs du commerce international. En effet en 15 ans, de 1990 à 2005, leur part dans les échanges internationaux passe de 25 % à 34 %. Parallèlement, les pays du Sud amorcent une évolution doctrinale et pratique, avec l'appui des organisations de solidarité internationale comme ATTAC, Oxfam, le réseau Caritas, etc. Cette évolution permet la création d'un front commun face aux pays riches, comme à l'époque du groupe des pays non alignés.

L’affrontement entre les États-Unis et l’Union Européenne d’une part, le Brésil et l’Inde d’autre part a ainsi pris l'allure d'une opposition entre les pays du Nord et ceux du Sud.

2. Genève 2008 ou la reprise de négociation suspendue

Genève 2008, devait donc relancer le cycle de Doha. Or aucune des questions pendantes opposant les pays du Nord à ceux du Sud n'avait été réglée, notamment celles relatives aux modalité de la libéralisation de l'agriculture et de certains produits industriels. Dans ces conditions un accord à Genève apparaissait comme une gageure d'autant qu'en échange d'une baisse de leurs subventions agricoles, les pays du Nord exigent des pays émergents qu'ils ouvrent davantage leurs frontières à leurs produits industriels. Mais ces derniers estiment que les subventions accordées par les pays riches à leurs agriculteurs sont toujours trop importantes. En réponse, l'Union européenne,  par la voix du porte-parole du commissaire européen au Commerce Peter Mandelson a fait savoir qu'elle était prête à abaisser ses droits de douane agricoles de 60 % en moyenne, contre 54% proposés précédemment.

3. Les leçons de l'Uruguay Round et le cycle de Doha pour les pays du Sud

Pour les pays du Sud, aux termes de l'Uruguay Round,  les États-Unis et l’Union Européenne n’ont fait que des concessions de pure forme sur l’agriculture, alors qu’eux-mêmes ont concédé de nouvelles règles et des baisses de droits qui jouent en leur défaveur. En d'autres termes, les résultats du cycle de l’Uruguay ont été globalement défavorables aux pays du Sud.

Fort de cet enseignement et face aux concessions américaines et européenne dans le cycle de Doha, le ministre brésilien des Affaires étrangères, Celso Amorim, a comparé la stratégie des pays riches à celle de Goebbels, le chef de la propagande du IIIe Reich « Si l'on répète un mensonge plusieurs fois, cela devient la vérité ». Celso Amorim entendait ainsi démontrer que contrairement à leurs déclarations, les pays riches sont loin d'avoir fait des concessions suffisantes en matière d'agriculture.

4. La sauvegarde de certains secteurs économiques du Sud causes de l'échec de la négociation ?

La cause finale de la rupture des négociations à été la confrontation entre les États-Unis et l'Inde. Cette dernière, rejointe par la Chine et les pays africains les plus pauvres, exigeait une clause de sauvegarde, c'est-à-dire la possibilité de mettre en place des barrières douanières si les importations de produits agricoles s'avèrent supérieures à 10 % d'un niveau fixé à l'avance. Les États-Unis demandaient le relèvement de ce seuil qu'ils jugeaient trop faible,  car eux, celui-ci revenait à une mesure protectionniste.

Par ailleurs, neuf pays membres de l'Unions Européenne dont la France et l'Italie, ne voulaient pas d'un accord susceptible de déstabiliser leurs agricultures sans contreparties importantes. Ils exigeaient le droit d'exporter leurs produits industriels sans restriction aucune vers l'Argentine, le Brésil et la Chine, tous des pays émergents. Or ces derniers étaient opposés à des efforts d'ouverture supplémentaires pour ne pas déstabiliser leurs productions nationales.

C'est donc la question de la sauvegarde de la production agricole dans les pays du Sud et de la production industrielle dans les pays émergeants qui explique l'échec de la négociation.

Comme l'ont souligné les observateurs à Genève, deux conceptions de l'agriculture se sont affrontées :

  • Celle des États-Unis et des grands exportateurs comme le Brésil. Pour eux, les produits agricoles sont des denrées commerciales ordinaires. Chaque pays est en droit de tirer partie de ses avantages concurrentiels.

  • Et l'autre conception est soutenue par les plus pauvres, mais aussi par la France. Ils défendent le principe de protections douanières permettant aux paysans de vivre dans leurs structures actuelles tout en nourrissant les populations locales.

5. Qui sont les gagnants ? Qui sont les perdants ?

Les gagnants

Les agriculteurs des pays du Sud sont les principaux gagnants. En effet cet échec repousse à une échéance  plus ou moins lointaine l'abolition totale des frontières douanières qui aurait conduit à une "dépaysanisation" accélérée d'un secteur dont l'importance est devenue stratégiques au regard des événements (les émeutes de la faim) que la planète a connu depuis le début de 2008.  Au Sud, l'agriculture est encore très loin d'avoir le niveau de productivité de  l'agriculture du Nord. La différence de productivité entre les deux agricultures est en moyenne de 1 contre 100 (M. Dufumier, 1999), voire, dans les cas les plus défavorable de 1 contre 200 (M. Dufumier, 2008). Par ailleurs les agricultures du Nord bénéficient de soutien multiforme, ce qui fausse le niveau des prix sur les marchés d'exportation des produits agricoles.

Les gagnants c'est également les agriculteurs du Nord. Certains secteurs, comme la production sucrières avaient tout à redouter la concurrence des pays émergents. Enfin de compte, ils plus  à gagner du maintien de la protection européenne que d'une ouverture sur les marchés exports.

Les perdants

Les exportateurs, en premier lieu, qui n'ont ni la puissance ni les accords déjà existants pour développer leurs ventes. C'est le cas du Brésil. Très en pointe dans les négociations précédentes, il a fait monter les enchères tout en n'obtenant rien à l'arrivée. Autres déçus, les pays industriels comme le Japon ou l'Allemagne, qui comptaient sur une plus grande ouverture des marchés de l'industrie.

II. L'échec de Genève : quelles perspectives pour les APE ?

La conformité aux injonctions de l'Organisation Mondiale du Commerce est un des arguments avancé par l'Union Européenne pour forcer les pays Afrique-Caraïbes-Pacifiques à signer les accords de partenariat économique. Avec les APE, l'UE cherche à terme à créer une zone de libre échange avec les ACP. Après l'échec de Genève, quelles sont les perspectives pour les négociations UE-ACP ?  

 

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