Aimé D. Mianzenza

 

L’AFRIQUE FACE AUX NOUVEAUX PARADIGMES

DU FINANCEMENT INTERNATIONAL DU DEVELOPPEMENT

 

Les efforts financiers pour impulser la croissance économique de l’extérieur n’ont pas manqué en Afrique depuis quatre décennies, en particulier en Afrique subsaharienne. Les sommes versées au titre de l’aide au développement ont été considérables même si les flux n’ont pas été à la hauteur des engagements pris par les pays du Nord, notamment depuis le sommet de Cancun en 1981. Mais les résultats obtenus sur le plan de la croissance économique, du développement humain et démocratique, et de l’intégration du continent à l’économie mondiale sont dans l’ensemble médiocres. Un sentiment de rejet se fait jour dans les opinions publiques et les médias des principaux pays donateurs lassés de voir l’aide internationale « partir en fumée ». On assiste à une résurgence du « cartiérisme ». Face à cet échec, les principaux bailleurs de fond cherchent maintenant à définir des nouveaux paradigmes pour un financement international destiné à soutenir un développement économiquement efficace, écologiquement et socialement soutenable, ainsi que démocratiquement fondé. L’Afrique peut-elle relever le défi ?

1. Le bilan de quatre décennies de développement économique

Au plan économique, le taux de croissance moyen depuis 1990 est de 2,6 % par an. Avec 10 % de la population de la planète et des ressources naturelles considérables, l’Afrique sub-saharienne ne représente que 1 % du PIB mondial. La part de l’Afrique dans le commerce international est passée de 7,7 % en 1963 à 2,2 % à la fin de la décennie 90. En 2000, quinze pays seulement avaient un revenu par habitant supérieur à celui de 1979-80. Dans les autres, le niveau de vie a régressé au point d’être inférieur à ce qu’il atteignait au début des années 60. Quelques pays ont réussi à allier une croissance relativement rapide à une augmentation de l’épargne et de l’investissement intérieur. Mais cette croissance reste très vulnérable aux chocs extérieurs. Pour la plupart des pays, le taux de croissance tendanciel est solidement établi à 3,3 % par an en raison de la faiblesse de l’activité agricole et industrielle atteignant un niveau modeste au cours de la décennie 90. Entre 1980 et 1997, la contribution des services dans le PIB est passée de 38,7 % à 48,6 %, celle de l’agriculture de 22,3 % à 19,5 %, et la part de l’industrie de 39 % à 31,9 %. Le processus de croissance en Afrique est extrêmement fragile. Le continent compte aujourd’hui 33 des 48 PMA, 36 des 45 pays à IDH faible, 33 des 41 PPTE de la planète, plus de 300 millions de pauvres absolus, 28 millions des 40 millions de personnes touchées par le VIH/SIDA dans le monde. L’espérance de vie régresse en partie à cause de la pandémie du SIDA.

Au plan politique, l’Afrique comptait une centaine de coups d’Etat au moins, 26 chefs d’Etat abattus dans l’exercice de leurs fonctions souvent usurpées par les armes et des millions de personnes tuées dans des conflits internes qui touchaient encore quatorze pays en 2000. En Afrique centrale, la guerre et le recours à la violence se sont imposées au point de rendre l’Etat inexistant et de détruire dans plusieurs pays l’essentiel des infrastructures existantes. Des guerres suicidaires qui usent l’Afrique et qui s’enchaînent sans espoir d’en sortir, sans leçons tirées, sans même se donner le temps de reconstruire, marquant ainsi l’échec de toute une période. En dépit des avancées démocratiques qui n’ont pas manqué depuis la fin des années 80, l’Afrique est à la dérive. L’échec est cuisant.

2. Quel niveau de ressources pour « booster » la croissance africaine ?

L’Afrique s’est donnée un cadre indicatif du développement économique pour les prochaines décennies appelé NEPAD (Nouveau partenariat économique pour l’Afrique). Pour atteindre les objectifs du NEPAD, il faudrait porter le taux de croissance du revenu par habitant à une moyenne de 5 % par an. Compte tenu de l’évolution démographique, la croissance globale des économies africaines doit donc passer et demeurer à 7 % par an pendant une quinzaine d’années au moins.

Pour espérer réaliser ce taux, l’Afrique doit d’abord combler impérativement son déficit de ressources. Celui-ci était estimé à 12 % du PIB en 1998-99 (535 milliards de dollars environ), ce qui correspond à 64 milliards de dollars par an. A titre de comparaison, le Rapport Zedillo élaboré pour la Conférence internationale de Monterrey sur le financement du développement évalue l’effort supplémentaire nécessaire pour éradiquer les formes les plus extrêmes de pauvreté dans les pays en développement à 50 milliards de dollars par an, soit un doublement de l’APD actuelle. Quant à la Banque mondiale, elle chiffre le coût de réalisation des objectifs de développement pour le millénaire à 40-60 milliards de dollars par an d’aide supplémentaire pendant 15 ans. Aucune source de financement ne peut à elle seule y pourvoir, qu’il s’agisse de l’IDE ou de l’APD et encore moins de l’épargne intérieure de l’Afrique.

3. La problématique du financement de l’investissement en Afrique

Le financement de l’investissement pose plusieurs types de problèmes.

Au niveau de chaque pays

Une première catégorie de problèmes porte sur la capacité d'absorption du capital. Il s’agit des éléments qui caractérisent le climat des investissements ou les possibilités de rentabilité du capital investi (organisation institutionnelle, politique, économique, sociologique, culturel et technique) Une seconde catégorie de problèmes concerne les sources de financement, la mobilisation des ressources et le fonctionnement du système financier d'une part, et, d'autre part, les contraintes qui affectent la marge d'autofinancement des entreprises.

Au niveau international

On peut retenir pour l’APD, les problèmes relatifs à son orientation et à son efficacité, et pour l’IDE, le fonctionnement et à l'évolution des marchés des capitaux d'une et, d'autre part, les conditions de transferts et à l'évolution du volume des capitaux provenant de ces marchés.

4. Epargne et investissement en Afrique : expérience passée

Au cours des quatre décennies écoulées, l’Afrique n’a pas réussi à mobiliser des ressources intérieures relativement importantes. Cette situation a réagi négativement sur le taux d’investissement. En effet, de 18 % environ en cours de la période 1963-68, le taux d’épargne intérieure et le taux d’investissement exprimés en pourcentage du PIB ont atteint leur niveau le plus élevé au cours de la deuxième moitié des années 70 avant d’amorcer un reflux. L’épargne intérieure est passée de 23,9 à 17,5 % du PIB de 1975-79 à 1990-1999 et l’investissement de 23,9 à 19,1 % du PIB pendant la même période. Hoeffer, qui a travaillé sur une période qui va de 1960 à 1994, estime que le ratio annuel moyen de l’investissement sur le PIB mesuré aux prix internationaux a été de 9,6 % pour l’Afrique contre 15,6 % pour les autres pays en développement (Hoeffer, 1999). L’investissement a donc peu réagi aux réformes économiques. De même l’aide internationale n’a été d’aucun secours pour stimuler l’investissement.

5. Mobilisation des ressources extérieures

Les flux de capitaux vers les pays en développement connaissent trois phases distinctes en partant du milieu de la décennie 70. Entre 1975 et le début des années 80, les flux de capitaux connaissent une croissance rapide en raison de l’augmentation des prêts consortiaux. L’APD est également soutenue, même si elle marque une tendance à la baisse. Cette évolution favorable s’inverse brusquement au début des années 80, avec la crise de la dette et le reflux de l’IDE et des autres capitaux privés extérieurs. Les années 90 sont caractérisées par une reprise très forte grâce aux flux de capitaux privés, notamment de l’investissement de portefeuille et de l’IDE. Au cours de cette période, l’APD diminue.

Au sud du Sahara, les flux nets de capitaux en pourcentage du PNB de la région, passent de 8,6 % en 1975-82 à 9,3 % en 1990-98 après avoir atteint 9,9 en 1983-89. En Afrique du Nord, les entrées de capitaux étaient sont à 13 % du PNB régional sur la période 1975-82. Elles s’établissent à 3,2 % du PNB régional en 1990-98 (CNUCED, 2000).

L’aide publique au développement

En dépit de l’engagement pris par les pays riches au Sommet de Cancun, l’appui fourni est très éloigné des annonces. L’APD, exprimée en pourcentage du PNB des pays donateurs, ne cesse de diminuer, ce qui donne naissance au néologisme de « Aid Fatig ». En 2000, son niveau équivaut à un tiers des objectifs internationaux convenus.

En Afrique subsaharienne, les entrées nettes de capitaux publics, toutes natures confondues, est passée de 5 à 8 % du PNB de la région de 1975 à 1982. Ils constituent 81 % des entrées nettes de capitaux en 1990-98 contre 55 % en 1975-82. L’évolution est opposée en Afrique du Nord : les flux publics ne représentent plus que 3,2 % du PNB (75 % des entrées nettes) de la région au cours de la décennie 90 contre 6 % (45 % des entrées nettes) en 1975-82. Les crédits publics bilatéraux et multilatéraux sont en recul, certainement en raison de la crise de l’endettement et de la difficulté à mettre en œuvre les politiques de reforme, le déblocage de ces fonds étant conditionnel. Pendant la même période, l’APD est devenue progressivement la première source d’entrée de capitaux extérieurs. En Afrique subsaharienne, l’APD passe de 1,7 % en 1975-82 à 5,4 % du PNB de la région au cours de la décennie 90. En Afrique du Nord l’APD a constitué 1,3 % du PNB régional en 1975-82 et 1,7 % au cours de la décennie 1990-98.

L’investissement direct extérieur

De 1970 à 1999, l’IDE en Afrique est passé de 15 % à 5 % du total reçus par les pays en développement. Vers la moitié des années 70, l’Afrique accueillait 25 % des flux de l’IDE des pays en développement (soit 5 milliards de dollars environ), sensiblement le même montant que l’Amérique latine et les Caraïbes ou l’Asie. Cette part a régulièrement diminué pour se situer 0,7% en 1999 contre 0,9 % en 1998 et 1,8 % en 1997.

En 25 ans les flux nets de l’IDE ont baissé de 54 % en Afrique subsaharienne et 65 % en Afrique du Nord. Désormais ils ne représentent plus que 1,8 % du PNB de la région en 1990-98 contre 4 % en 1975-82 en Afrique subsaharienne tandis que leur contribution aux entrées nettes totales descend de 45 à 19 % de 1975-82 à 1990-98. Leur part passe ainsi de 55,4 % en 1975-82 à 25 % des entrées nettes totales en 1990-98. Les capitaux privés se caractérisent donc par un désengagement important au cours de la période.

Les capitaux sortants

Les années 80 et 90 sont également marquées par un accroissement des flux sortants. En Afrique subsaharienne, les sorties nettes de capitaux ont atteint 3,8 % du PNB régional au cours de la décennie 1990-98 contre 2,9 % en 1975-82. En Afrique du Nord les sorties nettes restent relativement stables : 3,8 % du PNB régional en 1990-98 contre 4 % en 1975-82. C’est donc une part importante des capitaux reçus par l’Afrique qui est repartie vers les pays créanciers en raison du service de la dette et de rapatriement des bénéfices. En Afrique subsaharienne les flux sortants ont atteint 41 % des entrées nettes totales en 1990-98 contre 34 % en 1975-82. En Afrique du Nord ces flux ont atteint 119 % des flux rentrants en 1990-98 contre 31 % en 1975-82.

Flux nets

Le mouvement combiné des entrées nettes et des rapatriements de capitaux montre que les transferts nets c’est-à-dire les entrées nettes de capitaux moins le service de la dette extérieure et les bénéfices rapatriés sont en recul. En Afrique subsaharienne les transferts nets sont passés de 66 % en 1975-82 à 59 % des entrées nettes de capitaux en 1990-98. En Afrique du Nord les transferts nets ont connu un véritable effondrement ; de 1975-82 à 1990-98, leur part est passée de  69 % à -19 %. Il est donc sorti plus de capitaux que la région en a reçus.

En définitive, au cours des trois dernières décennies, l’APD a augmenté en pourcentage du PNB en Afrique subsaharienne, alors qu’elle a stagné en Afrique du Nord. Toutefois, les dons ont progressé alors que les prêts marquaient plutôt une tendance à la baisse. Cette évolution s’explique par la contraction très marquée des flux privés qui se sont dirigés préférentiellement vers les pays producteurs de pétrole et autres matières premières. L’Afrique subsaharienne n’a donc pas pu attirer les capitaux privés ; la part de la région dans les apports totaux aux pays en développement est tombée à 10 % seulement, contre plus de 20 % dans les années 80.

Obstacles à la mobilisation des ressources

La faiblesse de l’investissement est imputable à la faible rentabilité du capital. Le phénomène est lié à un manque d’incitation à investir, à l’insuffisance de l’épargne et à la faible productivité des facteurs. A cause des risques en Afrique, il faut une rentabilité très élevée du capital pour convaincre les investisseurs potentiels de s’engager. Or cette rentabilité n’existe pas. En ce qui concerne les risques, les sociétés d’assurance crédit européennes comme la COFACE ne cessent d’attirer l’attention des pays africains depuis des années : l’instabilité politique est un frein significatif à l’investissement en Afrique.

La faible disponibilité de l’épargne est un autre obstacle à l’investissement en Afrique. Grâce aux réformes économiques menées au cours des années 90, le secteur bancaire plombé par la crise économique et la faillite du secteur public a été assaini. Mais la crise économique et financière a provoqué un raccourcissement des horizons temporels. Selon la BAD, pour accélérer le rythme de la croissance économique à long terme, il sera nécessaire d’accroître la productivité et le volume d’investissement. Par ailleurs, il faudra consolider les progrès récemment accomplis sur le plan de la réforme macroéconomique, structurelle et de la gouvernance. La CNUCED affirme que des politiques adéquates s’appuyant sur une croissance bien amorcée pourraient déboucher sur une hausse sensible du taux d’accumulation interne. L’idéal est que cette hausse précède une accélération de l’investissement et de la croissance. Ce qui est exclu pour la plupart des pays africains compte tenu de leur situation interne. L’investissement en Afrique sera encore longtemps tributaire des apports financiers extérieurs.

Améliorer la mobilisation des ressources et réorienter l’aide au développement

Les problèmes les plus déterminants des économies africaines sont donc l'accumulation et la formation intérieure du capital par l'utilisation productive des capitaux. Les problèmes de la capacité d'absorption du capital sont surtout d'ordre structurel, c'est-à-dire relatifs à la taille du marché intérieur, au niveau de revenu par habitant, à la dotation en ressources, aux coûts des facteurs. La faiblesse de cette capacité d'absorption réduit considérablement les opportunités de rentabilité et d'accumulation du capital productif.

L'effort de développement en Afrique doit en effet aller dans le sens d'un recul des limites de l'accumulation. Des progrès considérables restent à faire pour mobiliser des ressources extérieures en évitant le surendettement, mais aussi pour que ces ressources soient effectivement investies et non pas dépensées sous forme de consommation publique (salaires, projets de prestige, etc.) ou privée (détournement de fonds, abus de bien sociaux, etc.).

Dans le cadre de la Conférence de l’ONU sur le financement international (Monterrey 2002), en France, le Haut Conseil à la Coopération Internationale a formulé des recommandations qui dessinent les nouveaux paradigmes de l’APD, les anciens étant devenus pour la plupart inopérants. Pour cette institution, le nouveau cadre de cohérence doit intégrer des objectifs de transformation sociale, en faisant du développement humain, de la lutte contre les inégalités et les formes de domination et d’oppression, des priorités. [..] Pour se développer un pays a besoin d’un contrat social minimum visant à assurer sa stabilité sur le plan politique et à promouvoir la démocratie, la transparence et le respect des droits fondamentaux, tels qu’ils résultent, notamment, de la Déclaration universelle des droits de l’Homme (1948) et des textes subséquents. L’aide comme les autres sources de financement, devrait contribuer en priorité, directement ou indirectement, à la création de richesse dans les pays bénéficiaires. L’attention des bailleurs de fonds doit aussi porter sur les actions qui contribuent à faire des populations les acteurs de leur propre développement, notamment par le renforcement des acteurs de la société civile et leur participation aux mécanismes de décision.

La France avait déjà avancé certaines de ces conditions à la Conférence franco-africaine de la Baule en juin 1990, lorsqu’il avait été question de conditionner l'aide française aux pays africains à l'ouverture démocratique. Le Plan d’action pour l’Afrique (PAA) adopté par le G8 à Kananaskis au Canada en juin 2002 en réponse au NEPAD va dans le même sens. Le Premier Ministre du Canada, Jean Chrétien, qui présidait le sommet a tenu à mettre les choses au point : « les pays africains qui ne rempliront pas leurs engagements dans le cadre du PAA ne recevront rien. » En d’autres termes, seuls les pays qui respecteront le « contrat de partenariat » seront aidés.

L’Afrique restera longtemps tributaire de l’aide internationale. Il appartient donc aux pays africains de créer les conditions nécessaires pour améliorer la mobilisation des ressources extérieures et leur emploi. Sans une réforme fondamentale des Etats et une réorientation de leurs politiques nationales, il sera quasiment impossible d’améliorer le sort de l’Afrique et des Africains.

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Note : Cet article s’appuie sur une série d’études sur l’investissement international menées par la Banque mondiale et la Conférence des Nations Unies pour le commerce et le développement (CNUCED) entre 1998 et 2001.

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Bibliographie :

  • BAD, (2001), Rapport sur le développement en Afrique 2001, Paris, Economica.

  • CNUCED, (1998, 1999, 2000 et 2001), Rapport sur l’investissement dans le monde, New York, Genève ; World Investment Report 2001. Country fact Sheets.

  • Berthélemy J.C., Söderling (L.), (2000), L’Afrique émergente, Paris, OCDE.

  • HCCI, (4 décembre 2001), Avis. Conférence de l’ONU sur le financement du développement, Paris, Primature.

  • Hugon Ph., (11 janvier 2002), Comment comprendre les conflits en Afrique, Marchés Tropicaux et méditerranéens.

  • Leymarie Ph., (avril 1999), Espoirs et renaissance, dérive d’un continent. Ces guerres qui usent l’Afrique, in Le Monde diplomatique.

  • OMC, (2001), Statistiques du commerce international 2001, Genève.

  • ONUSIDA, (26 juin 2002, Communiqué de presse, Genève.

 

 

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