Dimanche 21 mars 2010

Aimé D. MIANZENZA

Économiste, Cesbc


 

 

Dette illégitime : la leçon islandaise

 

Le 6 mars 2010 les islandais étaient appelés à se prononcer par référendum sur un accord organisant le remboursement d'ici à 2024 par l'État islandais de 3,9 milliards d'euros avancés par les gouvernement britannique et néerlandais pour indemniser leur citoyens  lésés par la faillite de Icesave, filiale en ligne de la banque privée islandaise Landesbanki.  Depuis, les Pays-Bas et le Royaume-Uni réclament à l'Islande le remboursement des 3,9 milliards d'euros, l’équivalent de 40% du produit intérieur brut de l’île en 2008 ou environ 100 euros par habitant et par mois pendant huit ans soit au total 9600 euros. L'accord conclu entre les différentes parties prévoyait un remboursement des 3,9 milliards d'euros par l'Islande entre 2016 et 2024, assortis d'un taux d'intérêt de 5,5 %.

Mais les contribuables islandais ont jugé injuste de devoir payer les erreurs des banques privés. Face à la vive contestation populaire, le chef de l’Etat islandais a été obligé d’opposer son veto à la signature de cet accord entre-temps voté par le parlement pour lui donner force de loi. Le président islandais a choisi de mettre les Islandais devant leurs responsabilités en soumettant la loi à un référendum.

Le 6 mars 2010 les islandais étaient donc appelés à se prononcer par référendum sur l'accord Icesave. Ils l'ont massivement rejeté avec plus de 90% de "non".

Les Islandais estiment que le fardeau qui leur est imposé est illégitime voire odieux, à l'exemple de celui que supportent les peuples africains, victimes d'un endettement organisé par la finance internationale avec la complicité de leur dirigeants.

1. Les événements

En 2009,  les Pays-Bas et le Royaume-Uni ont indemnisé leurs citoyens lésés par Icesave, une banque privée en ligne rattachée à la banque islandaise Landesbanki. Victime de la crise financière, Icesave a fait faillite en 2008.

Icesave avait bâti son succès en proposant aux épargnants étrangers des taux d'intérêts élevés. La banque avait conquis 229.000 clients depuis son lancement au Royaume-Uni en octobre 2006 et 114.000 aux Pays-Bas, où elle était présente depuis mai 2008.

La faillite de Icesave avait engendré un début de panique aux Pays-Bas et au Royaume-Uni. Très vite les les gouvernement britannique et néerlandais ont cherché à enrayer ce mouvement. Londres et La Haye ont alors indemnisé en grande partie leurs épargnants, mais se sont retournés contre Reykjavik, qui a garanti les avoirs d'Icesave à hauteur d'environ 20.900 euros par client en cas de faillite bancaire.  Depuis, ils réclament fort logiquement à l'Islande le remboursement de ce minimum réglementaire, soit un total de 3,9 milliards d'euros. Cette somme représente tout de même l’équivalent de 40% du produit intérieur brut 2008 de l’île ou 100 euros par habitant pendant 8 ans (2016-2024)9600 euros par habitant sans intérêts ou 12 000 euros par habitant, en comptant les intérêts.

Le gouvernement islandais avait donc négocié un accord avec les gouvernements britannique et néerlandais. Pour arracher la signature de Reykjavik, le Royaume-Uni et les Pays-Bas ont fait pression pour retarder le versement de l'aide promise à l’Islande : 1,8 milliards d’euros promis par les pays nordiques (Danemark, Finlande, Suède) et 2,1 milliards d’euros venant du Fonds monétaire international. L'accord prévoyait un remboursement des fonds entre 2016 et 2024, assortis d'un taux d'intérêt de 5,5 %.  À la suite de plusieurs semaines de débats, le parlement islandais avait voté la loi Icesave dans la nuit du 30 au 31 décembre 2009. Mais les contribuables islandais ont jugé injuste de devoir payer les erreurs des banques privés. Parallèlement l’Islande, qui est candidate à l’Union européenne depuis le 15 juillet 2009 et qui souhaite entrer dans la zone euro,  était invitée à assainir son économie en mettant en œuvre une batterie de mesure destinées à rétablir les équilibres macroéconomiques en conformité avec les critères de Maastricht, préalable à l’ouverture de négociations à l’Union Européenne.

Face à la vive contestation populaire, près du quart des islandais ont signé une pétition demandant au chef de l’Etat d’opposer son veto à cette loi, le président islandais a choisi de mettre les Islandais devant leurs responsabilités en soumettant la loi à un référendum.

Le samedi 6 mars 2010 les islandais étaient donc appelés à se prononcer par référendum sur un accord organisant le remboursement d'ici à 2024 par Reykjavik de 3,9 milliards d'euros avancés par Londres et La Haye plus les intérêts.  La question posée aux Islandais peut se résumer de la manière suivante : « Souhaitez-vous rembourser d’ici à 2024, les 3,9 milliards d'euros d'indemnisation versés par le Royaume-Uni et les Pays-Bas à leurs citoyens clients de Icesave ? » Ils ont massivement rejeté l’accord financier Icesave avec plus de 90% de "non", une sorte de bras d’honneur aux diktats de la finance internationale et aux grands pays.

Les grands centres de décision de la finance internationale ont peur que l'exemple islandais fasse tâche d'huile d'autant plus que comme l'Islande, plusieurs États sont en situation de cessation de paiement : la Grèce, l'Espagne, l'Irlande et certains pays émergeants de l'Europe centrale et orientale comme l'Ukraine qui dit être incapable à payer le gaz russe, etc.

Qu'appelle-t-on dettes illégitimes ? Quelles est la différence à la notion de dettes odieuses ?

1. Dettes illégitimes

La notion d’illégitimité d’une dette n’a aucune base juridique. Elle est essentiellement une appréciation morale ou politique comme le souligne J. MERCKAERT (2007). Pour, Eurodad, réseau européen sur la dette et le développement, il n’y a pas de définition universellement reconnue de ce que constitue la dette illégitime. Celle-ci peut vouloir dire au sens large toutes ces dettes qui n’ont jamais bénéficié à la population d’une manière ou d’une autre ou simplement, comme dans le cas de nombreux pays d'Afrique subsaharienne, des dettes qui juridiquement n’existent pas, voire des dettes fictives.

La notion de dette illégitime est apparue pour la première fois en 2000 dans le cas de la dette de l’Argentine. Elle a été utilisée pour la première fois par une instance officielle dans la sentence rendue par la cour fédérale argentine pour qualifier la dette contractée par le régime dictatorial de 1976 à 1993. Plus récemment le 2 octobre 2006, au cours d’une conférence de presse donnée à Oslo, le Ministre norvégien du Développement International, Erik SOLHEIM, annonce que la Norvège annule unilatéralement et sans condition les dettes de certains pays, reconnaissant de fait la part de responsabilité de la Norvège dans ces dernières. Le gouvernement norvégien utilise le terme pour renoncer au remboursement de certaines de ces créances.

Pour la première fois dans l’histoire, un pays créancier, membre de l’OCDE, admet être responsable de pratiques irresponsables ou de politiques de prêt inadéquates, et prend les mesures qui s’imposent (ABILDSNES, Kjetil G., 2007).

En définitive, parce que peut-être le prêt a été contracté par un régime despotique qui a détourné et transféré les fonds dans des paradis fiscaux, ou qui achète des armes pour oppresser la population (dette odieuse) ou parce que le prêt a été contracté pour mener des projets de développement très mal conçu et qui ont échoué ou qui n’ont jamais vu le jour. Des « ponts » pourraient ainsi exister entre les dettes illégitimes et la criminalité financière internationale.

2. De la dette illégitime à la dette odieuse

La doctrine de la dette odieuse trouve son origine au 19ème siècle. Une de ses applications remonte à l'année 1898, lorsque les Etats-Unis prirent le contrôle de Cuba après la guerre contre l'Espagne et que celle-ci leur demanda d'assumer la dette cubaine à l'égard de la couronne espagnole, conformément au droit international. La Commission de négociation des Etats-Unis refusa cette dette, la qualifiant de poids imposé au peuple cubain sans son accord. Selon ses arguments, la dette fut créée par le gouvernement de l'Espagne pour ses propres intérêts et par ses propres agents. Cuba n'a pas eu voix au chapitre. La Commission ajouta que les créanciers ont accepté le risque de leurs investissements. Le litige fut éteint par la conclusion d'un traité international entre les Etats-Unis et l'Espagne signé à Paris en 1898. La dette fut entièrement annulée.

Une dette est dite odieuse quand elle a été contractée par un gouvernement illégitime ou dont l’usage est contraire aux besoins et intérêts du peuple. C’est Alexander Nahum SACK, ancien ministre russe de NICOLAS II et professeur de droit à Paris, qui est le premier à conceptualiser la notion de dette odieuse. Pour SACK, « Si un pouvoir despotique contracte une dette non pas selon les besoins et les intérêts de l'Etat, mais pour fortifier son régime despotique, pour réprimer la population qui le combat, cette dette est odieuse pour la population de l'Etat entier. Cette dette n'est pas obligatoire pour la nation : c'est une dette de régime, dette personnelle du pouvoir qui l'a contractée ; par conséquent, elle tombe avec la chute de ce pouvoir » (1927).

La doctrine de la dette odieuse s’oppose au principe de succession d’Etat énoncée par la Convention sur la succession d'Etats en matière de biens, archives et de dettes d'Etats de 1983. Selon la doctrine de la dette odieuse, le gouvernement successeur peut se soustraire aux obligations de son prédécesseur, qui lui incombe normalement, car ces « dettes ne répondent pas à l'une des conditions qui déterminent la régularité des dettes d'État, à savoir celle-ci : les dettes d'État doivent être contractées et les fonds qui en proviennent utilisés pour les besoins et dans les intérêts de l'État. » (SACK, A. N, 1927). Ce point de vue est aujourd’hui défendu par plusieurs organisations de la société civile internationale qui, en France, sont regroupées au sein de « Dette & Développement », plateforme sur la dette des pays du Sud à laquelle adhèrent une vingtaine d’associations et organisations non gouvernementales[1].

Pour Alexander N. SACK, le principe de succession d’Etat ne concerne donc pas les dettes de régime. De plus, face aux préoccupations des créanciers, SACK argumente en faveur d’une responsabilisation de ces derniers. S’ils connaissent les desseins de l’emprunteur, ils commettent « un acte hostile à l’égard du peuple » et s’exposent eux-mêmes au risque de non-remboursement si le régime est déchu. Ils ne peuvent donc pas réclamer leur dû. Les dettes de régime ne sont donc pas soumises au principe de droit international pacta sunt servanta, selon lequel : «Tout traité en vigueur lie les parties et doit être exécuté par les parties de bonne foi ».[2]

En 2003, J. KING confronte A. N. SACK aux travaux d’auteurs comme E. FEILCHENFELD, D.P O’CONNELL, J. FOORMAN & M. JEHLE, G. FRANSKENBERG et R. KNEIPER. Il propose une définition plus opérationnelle des dettes odieuses. Il établit trois critères, sur lesquels les auteurs étudiés s’accordent, qui fondent le caractère « odieux » d’une dette :

  • l’absence de consentement : la dette a été contractée contre la volonté du peuple ;

  • l’absence de bénéfice : les fonds ont été dépensés de façon contraire aux intérêts de la population ;

  • la connaissance des intentions de l’emprunteur par les créanciers.

3. Conclusion

On remarque que l’affectation des fonds constitue un critère plus pertinent que celui de la nature du régime dans la distinction des obligations privées et publiques. En effet, elle détermine la régularité des dettes souveraines.

Dans le cas de l’Islande, les sommes que les islandais sont obligés de rembourser n’ont pas été détournées par un quelconque dictateur, l'Islande est un pays démocratique. De même ces sommes n'ont pas été investies dans des "éléphants blancs". Il s’agit de l’argent de clients britanniques et néerlandais placé dans une banque islandaise privée qui a bénéficié de la garantie de l'État islandais en cas de faillite bancaire à hauteur de 20 900 euros par compte. C'est sur la base de ce minimum règlementaire que les Pays-Bas et le Royaume-Uni ont calculé le remboursement demandé à l'Islande.

Il n'est donc pas possible de comparer la situation des États africains avec celle de l'Islande même si, au final, les conséquences sont les mêmes pour les peuples : rembourser une dette qu'ils n'ont pas contribuer à créer.

 

 


[1] AFVP, AITEC, ATTAC France, Comité, CADTM, CCFD, CFDT, CGT, CRID, CSM, DCC, DEFAP, Justice et Paix, Oxfam France – Agir Ici, Réseau Foi et Justice Afrique-Europe, Secours Catholique – Réseau Mondial Caritas, SEL, Survie, World Vision France.

[2] Convention de Vienne sur le droit des traités, Partie III : Respect application et interprétation des traités, Section 1, Art.26, 1969

 

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