Centre d'études stratégiques du bassin du Congo (Cesbc)

Centre d'études stratégiques du bassin du Congo = ISSN  2493-5387

CesbcPresses : Indicateur éditeur : 979-10-90372

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Aimé Dieudonné MIANZENZA

Président du Cesbc

 


 

COOPÉRATION FRANÇAISE : RETOUR À LA CASE MITTERRAND ?

 

On peut se poser la question après les déclarations de Jean-Marie Bockel, en ouverture des Journées de la coopération internationale et du développement 2007.

 

En effet, le secrétaire d’Etat chargé de la Coopération et de la francophonie, a prononcé mardi à Paris un discours définissant les grandes lignes de la politique de la France en matière d’aide aux pays en développement.

Jean-Marie Bockel a annoncé notamment que la France, dorénavant, conditionnera son aide au développement aux engagements en matière de bonne gouvernance, de respect des droits de l’homme et de la lutte contre la corruption.

1. Le discours de La Baule

Il y a 17 ans, le 20 juin 1990 à La Baule, à l’occasion de la 16e conférence des chefs d’Etat de France et d’Afrique, François Mitterrand avait prononcé  un discours historique qui allait devenir un "tournant"  dans les relations entre l’ancienne puissance coloniale et son pré-carré et dans la "libéralisation" des régimes politiques africains.

L’aide de la France aux Etats africains était dès lors conditionnée par l’engagement des chefs d’Etat africains en faveur des processus de démocratisation. Du même coup, François Mitterrand établissait une distinction entre "une aide tiède" destinée aux régimes autoritaires refusant toute évolution démocratique et "une aide enthousiaste" réservée à "ceux qui franchiront le pas avec courage".

Avant de devenir président de la république, Nicolas Sarkozy a occupé des responsabilités qui l'ont placé en première ligne sur les questions de développement des pays du sud : ministère du Budget, ministère de l'Économie et de Finances, ministère de l'intérieur et de l'aménagement du territoire. À ce dernier poste, il a su mesurer le drame du non développement dans les pays du sud, avec la question de l'immigration clandestine en provenance particulièrement de l'Afrique au sud du Sahara. Devenu président de la République, Nicolas Sarkozy a-t-il tiré le bilan du discours de La Baule pour proposer aujourd'hui, ce qu'il faut appeler un retour à la case Mitterrand ? Saura-t-il se démarquer de la Françafrique lui, le fils spirituel de Jacques Chirac, qui déclarait il n'y a pas si longtemps au cours de son voyage en Afrique que la France n'avait pas économiquement besoin de l'Afrique ?

D'emblé il faut dire que le discours de La Baule avait été très mal accueilli par les chefs d’Etat africains présents au Sommet. Quel bilan peut-on tirer en 2007 de l'injonction à démocratiser leur pays faite  par F. Mitterrand aux présidents africains ?

Certains pouvoirs africains ont donné l’impression d’avoir adhéré au discours de façon sincère et en cela, les exemples du Mali et du Bénin ont fait date. D’autres par contre traînent visiblement encore les pieds. Enfin, il y a cette catégorie de pays qui avaient déjà pris une longueur d’avance sur les autres ; cas du Sénégal. Ceux qui n’ont pas montré une réelle détermination à aller de l’avant sont évidemment plus nombreux sur le continent : le Cameroun, la Centrafrique, le Congo-Brazzaville, le Gabon, le Zaïre, le Tchad, le Togo; le Niger, la Mauritanie, le Zimbabwe, l'Ethiopie, le Malawi, etc.

Pour bénéficier de l'aide publique de la France, beaucoup de dirigeants africains se sont sentis contraints "de jouer à l’âne pour avoir du foin. Car, leur conception de la démocratie, c’est celle qui se limite à une simple organisation des élections, sans aucune garantie de transparence, en amont comme en aval" (Le pays, 2005).

"Que vaut une démocratie quand pouvoirs et oppositions s’accusent toujours mutuellement de se livrer à la fraude ? Que vaut cette démocratie quand les résultats sortis des urnes (même logiquement) ne sont jamais respectés ? Comment s’entendre sur une conception unanime de la démocratie quand des Constitutions sont amendées par des majorités parlementaires mécaniques, permettant ainsi à des dirigeants de se donner les moyens d'une présidence à vie ? Comment penser véritablement à une démocratie lorsque la transhumance vers le camp du vainqueur est devenue la règle après chaque élection ; lorsque l'adhésion au parti du vainqueur s'explique par simples calculs alimentaires."

L’injonction faite aux présidents africains par François Mitterrand à La Baule d’aller à la démocratie a-t-elle finalement précédé l’avènement des démocrates en Afrique ? En définitive, La Baule a-t-elle survécu à François Mitterrand ?

La démocratie ne se décrète pas, il faut tout de même avouer que l’attitude quasi silencieuse de la France de Jacques Chirac vis-à-vis des Etats qui se comportent en véritables fossoyeurs de la démocratie, est suspecte. On pourrait même se demander si ce piétinement continu ou ce crime de lèse-démocratie, n’arrange pas la France de la Droite.

La France se  défend de vouloir intervenir dans les affaires intérieures des Etats africains amis. Cependant un certain nombres d'affaires politico-judiciaires, dont certaines sont venues devant les tribunaux,  ont montré les liens troubles existant entrent les dirigeants africains et une partie de la classe politique en France : affaire Elf, succession de Gnassingbé Eyadema, affaire des disparus du Beach, etc. Les nombreux ouvrages publiés ces dernières années sur ce qui est communément appelé la Françafrique conduisent à poser la question de savoir si les présidents africains n'ont pas finalement financer des partis politique français pour avoir une bienveillance de la France à leur égard. Ce qui expliquerait peut-être que  la France a maintenu à bout de bras la plupart des régimes du pré-carré français en Afrique.

" En fait, un ensemble de réseaux d’amitiés et de complicités entre dirigeants français et africains, connu sous l’appellation - plus convenable - de Françafrique et qui a, entre autres, permis à des entreprises de l’ancienne métropole, à son industrie de l’armement, de garder leurs positions face à des concurrents américains et européens. Ce sont ces relations occultes qui ont sans doute amené Jacques Chirac à féliciter le président togolais Gnassingbé Eyadema, avant même la proclamation officielle des résultats de l’avant-dernière élection présidentielle, bien que ce dernier ait fait, quelques années plus tôt, le serment devant lui de ne plus se présenter. Au lendemain de la mort du dictateur togolais, c’est le même président français qui déclarait que le disparu était à la fois "un ami personnel et un ami de la France". C’est dire que même quand la démocratie a été prise en otage dans ce pays, cela se faisait sous le regard bienveillant de la France." (Le Pays, Burkina Faso, 2005),

À l’actif du discours de La Baule il y a, sur le plan politique, la disparition des régimes de parti unique. Cependant la plupart des présidents, après s'être donné les moyens d'être président à vie,  ont crée des républiques monarchiques où les enfants sont préparés à succéder à leur père comme au Togo. Sur le plan économique, l'évolution relativement favorable de quelques  pays (Afrique du Sud, Sénégal, Botswana, Seychelles) n'arrive pas à faire oublier la marginalisation de l'Afrique subsaharienne sur le plan international. Le développement économique a conduit au développement du sous-développement. Le continent compte aujourd’hui 33 des 48 PMA, 36 des 45 pays à IDH faible, 33 des 41 PPTE de la planète, plus de 300 millions de pauvres absolus, 28 millions des 40 millions de personnes touchées par le VIH/SIDA dans le monde. L’espérance de vie régresse en partie à cause de la pandémie du SIDA. Le délitement des économies africaines aboutit à la désespérance de centaines de millions de jeunes qui ne formulent plus qu'un seul projet : fuir un continent qui ne leur réserve aucun avenir. Près d'un demi-siècle après la décolonisation l’Afrique reste sous perfusion.

2. Monterrey, Kananaskis et retour à La Baule

a. Monterrey

Dans le cadre de la Conférence de l’ONU sur le financement international (Monterrey 2002), en France, le Haut Conseil à la Coopération Internationale avait formulé des recommandations qui dessinaient les nouveaux paradigmes de l’APD, les anciens étant devenus pour la plupart inopérants. Pour cette institution, le nouveau cadre de cohérence doit intégrer des objectifs de transformation sociale, en faisant du développement humain, de la lutte contre les inégalités et les formes de domination et d’oppression, des priorités. [..] Pour se développer un pays a besoin d’un contrat social minimum visant à assurer sa stabilité sur le plan politique et à promouvoir la démocratie, la transparence et le respect des droits fondamentaux, tels qu’ils résultent, notamment, de la Déclaration universelle des droits de l’Homme (1948) et des textes subséquents. L’aide comme les autres sources de financement, devrait contribuer en priorité, directement ou indirectement, à la création de richesse dans les pays bénéficiaires. L’attention des bailleurs de fonds doit aussi porter sur les actions qui contribuent à faire des populations les acteurs de leur propre développement, notamment par le renforcement des acteurs de la société civile et leur participation aux mécanismes de décision.(HCCI, 2002)

b. Kananaskis : l'Afrique astreinte au contrat

Juin 2002 à Kananaskis (Canada), sur invitation du G8, quatre Chefs d’Etats africains (Afrique du Sud, Algérie, Nigeria et Sénégal) sont allés défendre le NEPAD (Nouveau Partenariat pour le Développement de l’Afrique). Le NEPAD est présenté par ses concepteurs comme une approche novatrice susceptible de permettre à l’Afrique de combattre efficacement la pauvreté et la misère qui touchent très largement les populations du continent.

En réponse au NEPAD, les dirigeants des huit premières puissances du monde ont opposé un PAA (Plan d’action pour l’Afrique). Le PAA, déjà évoqué au G8 de Gènes en Italie en juillet 2001, est la dernière initiative d’une série déjà longue de plans et programmes, etc., dont les premiers remontent aux années 1960 avec la résolution de l’Organisation des Nations Unies (1961) qui adoptait la Première décennie du développement (1961-70) avec comme objectif : une croissance de 5 % pour les pays en développement ; par ailleurs, les pays du Nord devaient sous forme d’aides et de prêts, transférer 1 % de leur PIB (produit intérieur brut) vers les pays en développement. A la suite de la première décennie du développement les Nations Unies déclarait une deuxième couvrant la période 1970-1980 avec comme objectif de croissance : 8 % pour l’industrie et 4 % pour l’agriculture.

Cependant, lassés de voir l’aide internationale « partir en fumée », les pays donateurs ont posé, des conditions à tout octroi d’aide aux pays africains. Le Premier Ministre du Canada, Jean Chrétien, qui présidait le sommet a tenu à mettre les choses au point : « les pays africains qui ne rempliront pas leurs engagements dans le cadre du PAA ne recevront rien. » En d’autres termes, seuls les pays qui respecteront le « contrat de partenariat » seront aidés. Les principaux bailleurs de fonds ont donc défini des nouveaux paradigmes du financement international axés autour d’un développement économiquement efficace, écologiquement et socialement soutenable, ainsi que démocratiquement fondé (Haut Conseil à la Coopération Internationale, 2002).

c. Conditionner l'aide à la bonne gouvernance ou le retour au discours de La Baule

Jean-Marie Bockel a annoncé que la France, dorénavant, conditionnera son aide au développement aux engagements en matière de bonne gouvernance, de respect des droits de l’homme et de la lutte contre la corruption. Il s’est également exprimé en faveur de la poursuite des efforts budgétaires en matière d’aide publique au développement  (APD) . Jean-Bockel constate : « Les inégalités se creusent entre les nations. En dépit des engagements pris à l’aube du XXIe siècle par la Communauté internationale, les pays qui étaient les plus pauvres en l’an 2000 le sont tout autant ou presque en 2007. En Afrique, à quelques rares exceptions près, l’écart avec le reste du monde ne cesse de se creuser ».

Selon le Secrétaire d'État « tout ne peut pas venir de l’aide extérieure et qu’il ne suffit pas d’organiser la charité pour redonner espoir à tous les exclus de la croissance et de la prospérité.  (…) Il faut par conséquent sortir de la logique de l’aide, vécue comme un simple don, pour entrer dans une logique d’investissement, où bailleurs et récipiendaires sont conjointement responsables ». « Il n'est pas normal que les Etats aidés le soient de manière indifférenciée sans prendre en compte le sérieux de leurs engagements, notamment en matière de gouvernance. » On assiste donc à un retour à la case Mitterrand.

L’Afrique peut-elle relever le défi ? On peut en douter quand on voit l'état de corruption généralisée qui sévit partout, la dilapidation des fonds publics et l'exploitation des ressources naturelles au mépris de la protection de l'environnement. Il faut espérer que cette fois-ci le nouveau président français saura rester ferme face aux pays qui ont relancé leur endettement alors que des remises de dettes importantes leur ont été consenties dans le cadre de l'initiative PPTE. En cela, il ne fera que suivre les conclusions des experts du Trésor français qui s'inquiètent de la résurgence de l'endettement de nombreux pays africains de la zone Franc. 

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Bibliographie

Aimé. D. Mianzenza, " Financement du développement : l'Afrique astreinte au contrat", In Marchés Tropicaux et Méditerranéens,  25 octobre 2002, pp. 2230-2231.

 


 

Sur le ré-endettement des pays en développement, lire l'article d'Emmanuel ROCHER de la Direction des Relations internationales et européennes, Service de la Zone Franc.

Cliquez sur le titre pour accéder à l'article : " Les risques de ré-endettement des pays en développement après les annulations de la dette"  in Bulletin de la Banque de France, n° 157, janvier 2007.

 

 

 

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