Michel MILANDOU


 

L’ENSEIGNEMENT DE L’ÉCONOMIE POLITIQUE EN AFRIQUE.

L’ÉCONOMIE POLITIQUE : DU CENTRE VERS LA PÉRIPHÉRIE

 

 « Même les Africains formés dans les missions se rebellaient désormais contre leurs églises et accusaient les Blancs de détourner le christianisme pour rabaisser tout ce qui était africain. »[i]

L’économie politique est la science de la gestion des ressources rares. Nous le répétons, l’admettons.

1°) Qu’est-ce que la rareté ?

2°) Qu’est-ce qu’une ressource ?

3°) Comment peut-on gérer des choses qui sont rares ?

Qu'est-ce que la rareté ?

On devrait commencer par là ; mais on n’a jamais aussi mal commencé par là. Du point de vue méthodologique, la rareté n’est pas un simple fait, n’est pas une simple question de constat : l’indicateur de consommation de kWh d’électricité par habitant, la consommation de viande par habitant, comme le nombre de voiture par habitant. Dans l’explication qui était avancée (et qui demeure toujours d’actualité) au niveau de l’enseignement, on affirmait que l’air n’est pas rare, c’est pourquoi il n’est pas encore un bien économique. L'eau aussi naturelle que l’air, se raréfiait bien plus rapidement que l’air ; elle est de ce fait rentrée dans la catégorie des biens économiques : c’est un bien marchand. Toute agglomération humaine atteignant une taille certaine, devient en elle-même un pôle économique en ce qu’elle provoque l’apparition des raretés. Mais la nature précisant les fonctions de l’air et de l’eau, a créé d’office un déséquilibre entre ces deux éléments si indispensables à la la vie. La rareté est liée à la nature de la vie, si cependant  on établie que la vie est elle-même liée au progrès technique.

« Tu gagneras ton pain à la sueur de ton front »[ii]. C’est en cela - cette sanction pour inconduite envers le Créateur - que la rareté apparait dans l’environnement de l’homme. Aussi, toute société humaine connait la rareté dès lors qu’elle se trouve toute occasion de dépenser l’énergie pour subvenir à un besoin. Une telle assertion tendrait à accréditer l’idée que l’économie politique est à l’homme ce que la société elle-même est à l’homme. Ainsi, l’économie politique ne serait pas exclusive d’une étape donnée de l’évolution et des contraintes environnementales. Idée hérétique aux yeux de l’histoire économique.

« Tout à l’heure, si toi et ta sœur vous me faites le plaisir de manger sans chipoter, je vous proposerai du thé. Vous avez remarqué que les Kenyans aimaient bien se vanter de la qualité de leur thé. Mais évidemment ce sont les Anglais qui nous ont transmis cette habitude. Nos ancêtres ne buvaient pas de thé. Et puis, il y a les épices que nous avons utilisées. Elles sont originaires de l’Inde, ou de l’Indonésie. Donc, même pour ce simple repas, vous voyez qu’il n’est pas tout  à fait authentique … même s’il est absolument africain. »[iii] Ce qui pose la question d’une organisation économique dans une société anthropologique, dans la forme d’une structure pensée en vue d’un objectif connu. Dans la société kenyane, on voit le commencement d’un processus total dans ses multiples facettes d’une modification de structure et des contraintes y afférant : un repas sans thé après, c’est méthodologiquement impossible, de même que les épices sont d’une grande valeur ajoutée à la qualité des plats du repas. Thé et épices suggèrent des comportements nouveaux au-delà de la consommation : nouvelle organisation de la production agricole, de la société paysanne et de la société tout court. Ce type de paradoxe fait désormais partie de la culture d’intégration qui est celle véhiculée par l’enseignement. Ainsi, le fait de l’évolution de l’économie politique à la pensée économique ne semble pas gêner. La théorie économique ainsi n’est pas tout à fait authentique, ce qui ne lui enlève en rien le fait qu’elle soit absolument africaine.

Mais les découvertes en pensée économique n’ont pas lieu ailleurs que dans un espace déterminé. Le passage forcé de la pensée à l’émergence de la microéconomie par le biais du marginalisme a donné à l’économie politique ce caractère de science au-dessus de tout soupçon d’impérialisme culturel.

L’économie politique peut bien n’être qu’un art pour la capitalisation et c’est le plus essentiel pour ceux qui y fondent leur foi.

Qu’est-ce qu’une ressource ?

Là, on frise l’hérésie. Peut-il y avoir encore de débats sur ce genre de concept ? Ou faut-il ne pas comprendre quelque chose à l’économie politique pour en être à de telles interrogations. Pourtant, en considération de l’extension du champ de ce concept, l’interrogation n’est pas superflue. Une ressource était essentiellement une matière première, souvent d’origine minérale, rarement agricole ; puis bien plus tard au XXème siècle, l’homme a été happé dans ce champ, devenant du coup une ressource. Ainsi, on peut en déduire qu’une ressource est un processus d’apprentissage, de cognition, de découverte. Elle est au-delà de sa matérialité.

C’est en la réduisant à son acception simple que bien des peuples se trouvent en situation de pauvreté.   « Parfois, je me dis que la pire des choses qu’ait commise le colonialisme, c’est d’avoir voilé notre vision du passé ».[iv] Concevoir l’or, l'argent, le pétrole, l’uranium, le coltan, etc., comme des ressources ne fait pas seulement de ces minerais des ressources réelles et efficientes, tant que ne s’opèrent pas les modifications idéelles et comportementales qui donneront à une pierre, un arbre, la particularité qui fera de ces éléments des ressources, c’est-à-dire des capacités et facultés d’induction de processus nouveau devant servir de faire valoir à une nouvelle conception de la vie et de ses besoins.

Si on confrontait cette inquiétude à la réalité, on déblaierait une partie du terrain trop encore touffue de la pauvreté. De nombreux territoires africains possèdent des mines d’or et de diamant. Leur exploitation, artisanale et libre en grande partie, est cependant officielle. Mais la confrérie des économistes recensant les faiblesses économiques responsables du sous-développement, évoquent entre autres, la faiblesse de la classe d’entrepreneurs due elle-même aux faibles ressources financières disponibles.  Ce genre d’analyse ne permet que de se satisfaire de sa qualité de colonisé. Il n’y a pas de faiblesse de moyens financiers. Il n’y a, à la limite, qu’une faiblesse de politique. Il n’y a pas non plus absence de vision globale au niveau de l’élite. Il y a assurément une fonction de préférence collective à stratégie spécifique. Considérons les consommations ostentatoires en billets d’avion, nuits d’hôtel, consommation de luxe dans les pays du nord par des citoyens des pays pauvres, le non-sens épistémologique de la faiblesse des moyens financiers n’ébranle pas, malgré tout, les convictions pédagogiques. Devant les mêmes convictions que l’impossible extension du champ opératoire du concept « d’économie émergente » à la sphère africaine est due particulièrement à la mauvaise gouvernance qui caractérise les élites dirigeantes dans ces pays, j’ai été tenté de me réjouir d’un fait plutôt terrible qui s’abattit sur le Congo en 1989.[v] Il eut mort d’hommes, parfois même par famille entière. Mais l’économie congolaise en tira grand bénéfice bien des années plus tard. Les indemnisations atteignirent des montants très pesants pour l’économie. Malheureusement, ce poids se fit très léger sur la production congolaise. Quand j’opposai ce cas pour annuler l’argument très productif sur la mauvaise gouvernance gouvernementale, l’auditoire des étudiants s’en offusqua, habitué qu’il était à recevoir des critiques très acerbes envers l’action gouvernementale.

L’économie africaine peut manquer de réelles capacités de financement, comme de réelles capacités à engendrer des entrepreneurs locaux, en réalité elle manque plutôt ce qui lui donnerait sa vraie conscience à exister en tant que système.

Comment peut-on gérer des choses, des ressources, qui sont rares ?

Dans une civilisation agricole, la gestion de la rareté passe par la pratique de la jachère. Cette technique permet au sol de se reconstituer, mais dans bien des cas, elle n’est pratiquée volontairement que lorsque la propriété est saturée : l’espace agricole est rare. Et c'est peut-être là l’unique cas de rareté vraiment vécu par bien des sociétés humaines africaines. La contrainte de gérer est consubstantielle de l’obligation de vivre. Vivre pour beaucoup n’est qu’une des multiples facettes de l’expression des besoins. La frénésie avec laquelle les citoyens d’un pays diamantifère explore le moindre espace susceptible de porter quelques pépites n’est pas induite par la rareté de ce minerai ni dans sa quantité disponible ni dans sa capacité sensorielle.[vi] Il faut se tourner vers ce que les analyses marxistes de la deuxième moitié du XXème siècle qualifiaient de mode de vie du capitalisme. Le diamant, l’or, le mercure, ne sont rien qu’une expression des nouvelles valeurs de goût et de bien-être. Mais ce sont des valeurs qui n’ont aucune racine sociale, ce qui explique que cette frénésie de possession des pépites de ces minerais est plus assise sur l’illusion.

La poétique de l’objet, le contenu d’un objet n’est pas aisément transférable d’une société à une autre[vii]. Du même coup, il n’est pas aisé pour un africain de l’équateur de s’imprégner de l’inquiétude du risque climatique par la déforestation, dès lors qu’un arbre abattu, repousse toujours dans cette zone climatique[viii]. Mais tout le combat se situe donc au niveau des capacités de transfert de la poétique d’un objet d’une société à une autre. Combat qui n’est pas du ressort, estime-t-on, de l’économie politique. Le fait que Keynes dit que ces analyses économiques ne sont pas applicables au système socialiste, ni aux économies sous-développées, me parait émettre le message que l’environnement socioéconomique est une donnée non négligeable dans l’analyse d’un système économique. « La propension », concept keynésien semble issue d’une analyse psychologique; elle est l’expression de la conviction que la consommation et même la production sont bien psychologiquement motivées.


 

[i] Obama B. H.; les rêves de mon père. Roman. P.540

[ii] la bible; Gn

[iii] Obama B.; les rêves de mon père, roman, p560

[iv] Op. cit.

[v] En 1989, un vol reliant Brazzaville à Paris, s’arrêtait tragiquement au dessus du désert du Ténéré. Il y avait plus d’une centaine de passagers congolais. Les assurances(peut-être un pays accusé dans cet accident) versèrent un million d’euros par passager. Le calcul simple porte jusqu’à 70 milliards de francs CFA versés aux Congolais. Cette manne alla grossir le poste « importation de biens de consommation courante. »

[vi] La pierre précieuse doit parvenir à éveiller le sentiment de son caractère de précieux. Elle est souvent ainsi conçue par sa capacité à engendrer une valeur en monnaie. Mais cela n’a rien à voir avec le schéma keynésien, qui lui-même a galvaudé la réalité de la culture millénaire des sociétés occidentales et orientales qui ont fait de certaines pierres des données sociales d’abord, puis économiques ensuite.

[vii] Ainsi des conflits dans les ménages à propos de la valeur des objets.

[viii] Les ministres des gouvernements signent à tout venant les accords sur la protection de la nature qu’ils mettent en quarantaine aussitôt regagner leurs bureaux ministériels. Ils signent exclusivement comme pour parader devant l’assemblée des gouvernements internationaux; le risque climatique n’est pas vécu avec la même intensité que les habitants des pays sahéliens.

 

 

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