Centre d'études stratégiques du bassin du Congo

École congolaise d'Économie


 

 

 

 

 

 

Les enjeux de la valorisation économique

des écosystèmes forestiers dans les pays du bassin du congo

 

 

 

Introduction

La valorisation économique des écosystèmes forestiers est une question qui fait débats dans le milieu scientifique et dans les tribunes internationales. Depuis la conférence des Nations Unies du 16 juin 1972 à Stockholm, un consensus a émergé sur la nécessité de mettre en œuvre des politiques de limitation des pressions subies par les écosystèmes forestiers. La conférence de Rio de 1992 a servit de détonateur à ces préoccupations sous le concept de développement durable.

Ce concept résulte à la fois d’une crise du développement sous forme de rupture entre d’une part un processus d’accumulation et l’ensemble des procédures de régulation des relations sociales et des rapports entre l’homme et la nature (Harribey, 1997) ; et d’une crise du sous-développement. Les effets cumulés des deux crises ont révélé une aggravation dans l’exploitation des ressources naturelles et particulièrement forestières.

Dans les pays du Bassin du Congo1 où la valorisation des écosystèmes forestiers s’est limitée par le passé à l’exploitation et la commercialisation des essences de haute valeur commerciale, cette aggravation a été manifeste.

Cependant, sous l’effet de la crise et des pressions écologiques et internationales à partir du milieu des années 1980, ces pays on fait évoluer leur discours sur la valorisation de leurs ressources forestières. Ce changement repose dorénavant sur une vision multifonctionnelle de la forêt, laquelle incarne dorénavant une chaîne de valeurs.

Plusieurs acteurs se sont fait entendre quant à la valeur des écosystèmes forestiers qu’ils veulent faire « valoir ». Au sud comme au Nord, ces valeurs ne sont pas les mêmes, pas plus qu’elles ne le sont entre les groupes écologistes, la société civile et le secteur privé. Cette pluralité de positionnements recèle des approches de valorisation des écosystèmes forestiers parfois discordantes. Les forêts tropicales se trouvent tirées à « hue et à dia » entre les différentes parties prenantes, sous les feux des exigences environnementales, de réformes macro-économiques et institutionnelles, de maximisation des revenus, et les impératifs d’amélioration des conditions de vie des populations et du développement. Les processus de valorisation renvoient à des débats théoriques complexes dont nous nous gardons de faire l’exégèse ici. Il n’y a pas une approche univoque sur la valorisation des écosystèmes forestiers. Néanmoins, on peut considérer comme approche en termes de valorisation, tout discours qui met en œuvre cette notion dans le but d’intégrer la diversité qualitative des biens et services rendus par les écosystèmes forestiers. Mais, subsiste un certain nombre d’interrogations parmi lesquelles celles des enjeux de cette valorisation. Il s’agit de comprendre en quoi est-il devenu intéressant de valoriser économiquement les écosystèmes forestiers pour les différentes parties prenantes.

Nous essayerons d’abord de comprendre l’émergence et l’amplification de la remise en cause des modes traditionnels d’exploitation de type minier des ressources forestières. Puis, les motifs de recentrage des politiques forestières sur l’objectif de la durabilité forestière seront examinés. Ainsi, apparaîtra la diversité des enjeux et des problématiques.

1. L’émergence de la remise en cause des modes d’exploitation forestière de type minier

L’émancipation politique des pays du bassin du Congo au début des années 60 avait conduit ces pays à promouvoir le développement économique. Mais, cette promotion s’est faite par mimétisme du modèle occidental productiviste de développement et avait abouti en réalité, à une croissance sans développement et particulièrement inappropriée (Kabala , 1994).

Le développement du commerce extérieur des matières premières, des produits agricoles et des bois constituait à la fois le principal facteur de croissance et celui du mode d’insertion de ces économies à l’économie mondiale. Il s’est accompagné d’une interdépendance entre les économies des différentes nations dans la compétition, et dans les déséquilibres économiques aggravés par la crise des années 1973. Le corollaire à celle-ci pour ces pays était d’accroître leurs exportations des matières premières et en particulier des bois bruts.

Dans cette ambivalence « interdépendance/compétition » de l'économie mondiale, les économies du bassin du Congo n'ont pu véritablement trouver dans l'échange international le principe de leur cohésion au reste du monde. En effet, l'économie mondiale a évolué davantage comme une multitude de réseaux d'échanges et de relations d'asymétrie, qu’un réseau de solidarité et, c'est plus de dépendance que d'interdépendance qu'il convient de parler pour les pays du bassin du Congo. Leur participation au commerce international et, particulièrement celui des bois, répondait à la fois à l'impulsion de la croissance de la demande au Nord, et à une Division Internationale du Travail fondée sur les dotations en facteurs de production. De même, la promotion de l’agriculture s’est faite en favorisant les cultures d’exportation sous les slogans de « l’agriculture priorité des priorités ». L’inadéquation de cette stratégie s’est révélée d’elle-même, laissant apparaître une situation de dépendance quasi-institutionnalisée et une pauvreté comme la seule vraie richesse de certaines populations, conduisant à une dégradation des ressources naturelles et forestières. De «la priorité des priorités » qu’elle était, l’agriculture de ces pays dans nombre de cas s’est retrouvée « la dernière des dernières » alors que l’agriculture sur brûlis et itinérante sous le poids des besoins d’une population en croissance rapide n’a cessé de convoiter les espaces boisés.

Par ailleurs, la dévaluation du franc CFA en 1994, puis l’arrivé des exploitants asiatiques dans ces pays ont eu des conséquences néfastes sur les ressources forestières. Les effets cumulés de toutes ces évolutions se sont répercutés sur le rythme auquel les forêts de ces pays ont été défrichées, faisant rentrer un pays comme le Congo-Brazzaville en 1995

avec une densité à peine de 05hab/km2, au troisième rang mondial en matière de diminution annuelle de la superficie boisée (FAO, 1997).

En fait, le modèle productiviste fut dénoncé dès 1950, lorsque, l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN), publia un rapport intitulé « L'état de la protection de la nature » dans lequel l’accent était mis sur la conservation. Puis, le premier rapport du Club de Rome, « Halte à la croissance » s'est opposé à toutes les théories du développement fondées sur la croissance économique avec le concept de la « croissance zéro ». Le débat qui s'en est suivi entre partisans de la « croissance zéro » et les promoteurs de la « croissance à tout prix », s'est traduit par un rapprochement concrétisé le 16 juin 1972 à Stockholm lors de la « Conférence des Nations Unies sur l'environnement humain » mettant en avant, un modèle de développement respectueux de l'environnement et de la gestion efficace des ressources naturelles.

Qui plus est, la recrudescence des catastrophes écologiques avait déclenché une grande manifestation d’envergure mondiale sur « notre avenir à tous » comme s’intitule le rapport Brundtland (1987). Ainsi la conférence des Nations Unies de Rio de 1992 sur l’environnement et le développement a donné lieu à la signature des grandes conventions internationales reliant l’environnement et le développement, auxquelles les pays du bassin du Congo se sont associés à savoir, la Convention sur la diversité biologique, la Convention Cadre sur les Changements climatiques, et la Convention sur la lutte contre la désertification. Telles sont les prémisses d’une réorientation des politiques forestières.

2. Le recentrage des politiques forestières vers la durabilité forestière et la valorisation des ressources

forestières

Ayant souscrits aux conventions internationales reliant développement et environnement, les pays du bassin du Congo semblaient avoir pris la mesure des enjeux que représentent les ressources forestières. Aussi, des mesures étaient-elles prises pour promouvoir la sauvegarde du patrimoine forestier avec deux grandes recommandations à savoir, la protection des zones forestières et la gestion durable des forêts. Le coût d’opportunité élevé de la première recommandation avait conduit la majorité des Etats africains à adopter plutôt une démarche de gestion durable des forêts. Cependant, la stratégie des firmes du secteur forestier n'avait pas rapidement évolué dans le sens de la durabilité. La différence de temporalité entre la rentabilité du capital financier et le capital forestier ainsi que les coûts de la gestion durable et les incertitudes sur le modèle de gestion approprié à la forêt tropicale dont on ignorait encore la dynamique des peuplements semblaient justifier le retard de la mise en oeuvre des modèles d’aménagement durable par les entreprises.

Cependant, l'engagement des Etats n’était presque pas suivi de moyens adéquats pour promouvoir la durabilité forestière. Dans beaucoup des pays du bassin du Congo, les politiques forestières n'ont pas pu arrêter la dégradation forestière ou l'ont accélérée. La combinaison excessive des procédures de commande et de contrôle et la capacité limitée de les appliquer ont réduit l'impact des bonnes intentions de politique forestière et des initiatives législatives. Il eut fallut une série de mesures et des législations pour inciter davantage les entreprises à "jouer le jeu" qu'à enfreindre la loi (Karsenty, Maître)  Le recentrage des politiques forestières en faveur de la durabilité répondait ainsi à l’engagement des Etats, à l’implication des organisations non gouvernementales écologistes et, à celle des institutions internationales.

Ainsi, la FAO a mené des activités à divers niveaux, depuis la protection et l'entretien des écosystèmes forestiers et a participé à l'élaboration des critères et des indicateurs pour l'aménagement durable des forêts, conformément à son rôle de maître d'oeuvre du Chapitre 11 d'Action 21 de la Conférence des Nations Unies pour l’Environnement et le Développement. De son côté, l’Organisation Internationale des Bois tropicaux diffusait dès 1990 ses directives pour l’aménagement durable des forêts tropicales naturelles, et en 1993 ses directives sur la conservation de la diversité biologique dans les forêts tropicales de production. La Banque Mondiale quant à elle, a soutenu directement les gouvernements et les initiatives internationales à formuler et à mettre en oeuvre les politiques et programmes avec une approche multisectorielle.

 Cette implication internationale d’institutions s’est accompagnée dans ces pays d’une part, d’une floraison d’initiatives régionales dans le domaine forêt/environnement, d’autre part, d’une cristallisation des débats internationaux sur des thématiques d’envergure mondiale. Les initiatives régionales ont répondu à la pluralité des projets d’envergure sous-régionale nécessitant des mécanismes sous-régionaux de coordination (Réseau d’Aires Protégées Afrique Centrale, CARPE…) ou, des réseaux d’association de partenaires sur une base thématique ou sectorielle (Agence pour le Développement de l’Information Environnementale, Conférence des Ecosystèmes des Forêts Denses Humides d’Afrique Centrale…) L’absence de synergie entre ces institutions et leur cloisonnement a finalement conduit les Etats du bassin du Congo à instituer lors de la déclaration dite de Yaoundé en 1999, la Conférence des Ministres en charge des Forêts d’Afrique Centrale –COMIFAC-, afin d’oeuvrer à une cohésion de ces différentes initiatives (FOTEU, 2004)

Les débats internationaux de leur côté cherchent entre autres, un dénouement sur les problèmes d’éligibilité des forêts tropicales au Mécanisme de Développement Propre (MDP) définis dans le protocole de Kyoto, ceux de la part de l’illégal dans l’exploitation des forêts tropicales et le commerce des bois et ceux de la certification des bois. Le cumul de ces évolutions a fait jaillir le problème de la pauvreté sous un jour nouveau et en rapport avec l’accès des populations aux ressources forestières. La forêt constituant pour beaucoup des populations rurales le point de départ de leur subsistance, elle procure à ces populations de nombreuses richesses en produits ligneux et non ligneux, mais également en terres agricoles. Considérée comme l’un des trois poumons verts de la planète, la forêt des pays du bassin du Congo ne pouvait plus être considérée comme la simple annexe du secteur agricole. Prise ainsi dans son acception multifonctionnelle, la forêt est devenue, si elle est gérée de façon maîtrisée l’élément central du développement des populations et des pays. La lutte contre la pauvreté est donc apparue comme une nouvelle entrée de la politique forestière dont la valorisation des écosystèmes constitue l’un des axes majeurs. Ce qui fait apparaître des enjeux importants et des nouvelles problématiques.

3. De la diversité des enjeux et des problématiques

La prise en compte de la multifonctionnalité de la forêt a conduit à une évolution de la conception même de la valorisation des écosystèmes forestiers. D’une simple valorisation limitée à la valeur commerciale des essences exploitées, on est passé dorénavant à une valorisation pour les parties prenantes. Autrement dit, valoriser pour qui, et pour quoi est devenue la trame des préoccupations. Cette vision multifonctionnelle a engendré une élévation de la chaîne de valeurs de la forêt et une diversification de l’assortiment des produits attendus.

Le rôle de la forêt dans la réduction de la pauvreté rurale, dans les équilibres écologiques et la régulation climatique sont les enjeux autour desquels semble se former un consensus. Mais, celui-ci vole en éclat lorsqu’on considère la diversité des objectifs et des processus de valorisation des parties prenantes comme le montre la controverse toujours d’actualité entre les tenants de l’aménagement durable des forêts et les défenseurs de sa protection. Ils laissent entrevoir une multitude d’enjeux qui peuvent se résumer en : enjeux économiques, enjeux écologiques et enfin enjeux de pouvoirs.

a. Les enjeux économiques

Ils peuvent s’appréhender au regard des avantages que fournit l’écosystème forestier et auxquels sa dégradation implique de renoncer. Plus qu’une renonciation, c’est la valorisation des ressources qui préoccupe les différentes parties prenantes. Ainsi, pour les pouvoirs publics détenteurs des ressources forestières, la valorisation des écosystèmes forestiers est intimement liée à la capture de la rente forestière via les redevances des entreprises exploitantes, mais également l’amélioration des conditions de vie des populations rurales. L’accroissement des recettes issues du secteur forestier permettrait de jouer un rôle important dans le rétablissement des équilibres macroéconomiques et le financement des projets. Pour les entreprises du secteur forestier, cette valorisation passerait, avec l’expérience accumulée des plans d’aménagement, par une exploitation intensive (30 à 40m3 à l’ha et par rotation de 30 ans sans rompre la continuité de la canopée (Landrot J.J, 2001).

L’intérêt d’une telle démarche serait pour elles, de maximiser les revenus de leurs activités. Pour les ONG écologistes, cette valorisation implique de mettre l’accent sur le poids économique des biens et services environnementaux par rapport aux produits ligneux. Ces organisations ont ainsi attiré l’attention sur les incidences économiques négatives de la déforestation en termes de perte d’option future pour les générations à venir (Guéneau, S. 2004). Enfin, s’agissant des organisations de coopérations internationales, cette valorisation est sujette dans certains cas à certains ajustements macroéconomiques conditionnant ainsi l’assistance financière internationale.

Ces enjeux dépassent le cadre national ou régional et s’appréhendent également à partir du dialogue international dans la mise en oeuvre des recommandations issues des négociations internationales. La diversité des attentes au niveau international sur les forêts tropicales se cristallise entre le Nord et le Sud sur l’insistance de la conservation des biens et services écologiques fournis par ces forêts pour le premier, la mise en avant des potentialités de développement économique liées aux ressources forestières sur lesquelles il exerce sa souveraineté pour le second. L’inclusion ou non des forêts naturelles dans le Mécanisme de développement Propre illustre les enjeux pour les pays du bassin du Congo de pouvoir attirer les investissements propres.

Par ailleurs, les conventions issues du sommet de Rio ont conduit à la dénonciation de la bio-piraterie avec la Convention sur la diversité biologique par exemple et établit la reconnaissance d’un marché des ressources génétiques. Il s’est donc agi de mettre fin à l’exploitation abusive de ressources naturelles et culturelles locales par des firmes multinationales. L’enjeu réside dans le partage juste et équitable des avantages découlant de l’exploitation des ressources génétiques, (C. Aubertin, 2002). Au bout du compte, l’enjeu économique fondamental est de faire un développement économique sans destruction des ressources naturelles, mais mieux encore, c’est de faire du secteur forestier un levier au développement.

Toutefois, ce débat international a évolué, le paradigme de la « conservation » chère au Nord a laissé progressivement la place à celui de l’action concertée qui rend la préservation possible et durable en l’articulant aux impératifs de développement et de lutte contre la pauvreté (le monde du 1er février 2005). De la protection des forêts, le débat a glissé à la comptabilisation de tonnes de carbone qui sont puisées dans l’atmosphère chaque année par hectare de forêt. Les États-Unis, un des plus grands pollueurs au monde luttent pour faire comptabiliser dans le calcul des émissions auxquelles ils ont droit, le moindre hectare d’herbe dans leur territoire (Smouts 2002). Aux enjeux économiques s’ajoutent donc des écologiques, planétaires et politiques colossaux.

b. Les enjeux écologiques et planétaires

Deuxième massif mondial après l’Amazonie, les forêts du bassin du Congo sont l’un des plus importants réservoirs de la diversité biologique. Ce faisant, leur valorisation répond à l’importance des fonctions écologiques qu’elles remplissent. En particulier, les forêts d’altitude, celles du massif du Chaillu par exemple, jouent un rôle dans la régulation des cycles hydrologiques du fait des populations qui vivent en aval. D’autres fonctions écologiques dans l’ensemble sont liées aux sols sous forêt pour l’agroforesterie, le stockage d’eau ou de carbone. Leur diversité biologique leur confère semble t-il, une certaine résistance aux perturbations, et donc une certaine capacité à maintenir les fonctions écologiques face à certains changements de l’environnement (Cleroux, Motte, 1996).

Bien que la convention de la diversité biologique ait décidé de reconnaître la souveraineté des Etats sur leurs ressources forestières, les avantages issus des forêts ou les maux qui peuvent les affecter dépassent largement les frontières des Etats. Au-delà de leur rôle dans la prévention du risque de changement climatique mondial, 60% de nos médicaments sont issus du règne végétal (Fischesser et Dupuis-Tate, 1995). La mondialisation économique expose les pays du bassin du Congo à la concurrence internationale, elle suscite la mise en place d’une stratégie de protection de la biodiversité qui doit à la fois responsabiliser les pays riches et les pays pauvres afin d’arrêter « le pillage global » de la biodiversité. La conservation de la biodiversité est donc d’un

enjeu planétaire dont les réflexions ont conduit à la protection des espèces menacées et au milieu dans lequel ils vivent.

C’est à cette volonté de protection de la nature que répond la mise en place d’aires protégées, réserves ou parcs naturels.

Ainsi des initiatives ont été prises dans ces pays à ce sujet comme en témoignent de nombreuses activités en matière de création de parcs naturels. Ce réseau d’aires protégées compte aujourd’hui un peu plus de 140000 Km2, soit entre 7 et 8% de la surface terrestre de l’Afrique centrale (Ndinga, 2004). Il conduit potentiellement à favoriser la durabilité des ressources de la biodiversité dont les enjeux écologiques, dépassent les frontières des Etats.

Toutefois, ces initiatives dans lesquelles les population locales ne sont pas véritablement associées, font ouvent fi des règles du droit coutumier, malgré, les discours sur l’importance des populations villageoises dans les projets ruraux. La transposition dans un milieu non préparé, des procédures de conservation de la biodiversité si bénéfiques soient-elles, est sérieusement contrariée au mieux par l’indifférence des populations villageoises et au pire, par des conflits d’intérêts entre les parties prenantes à la valorisation des écosystèmes forestiers. La diversité des acteurs et de leurs procédures de valorisation corrélativement avec leurs attentes éclairent au bout du compte, les conflits d’intérêts et les enjeux politiques qui en résultent.

c. Les enjeux politiques

Les enjeux de la valorisation des écosystèmes forestiers dépassent la dimension économique et écologique.

Ils renvoie à l’omniprésence de la question foncière d’une part, à la compétition entre les parties prenantes au regard des ressources que peuvent générer les écosystèmes forestiers, l’autorité et le pouvoir qui résultent de leur prise de contrôle d’autre part. La valorisation des ressources forestières et particulièrement leur gestion dans ces pays ne consiste à organiser une relation ‘ population locale-milieu forestier ‘ que de manière accessoire. L’objet central se trouve dans le choix que les acteurs font de l’utilisation de ce milieu et de ses ressources. Ce choix, et donc ce renoncement à d’autres usages de ces espaces n’autorise guère d’angélisme compte tenu des intérêts en jeu pour chaque partie prenante. Au contraire, il débouche sur des conflits dont la solution dépend des rapports de pouvoir entre ces parties.

Ces conflits mobilisent en particulier les autorités publiques qui dans certains cas sont eux-mêmes en proie à des conflits internes. Ainsi, les rumeurs entendues, (si elles sont vraies) sur l’empoignade au Congo-Brazzaville en 2003, entre le responsable de l’administration de l’économie forestière et son homologue de l’administration des finances et du budget sur l’itinéraire des revenus forestiers, de la perception à la ré-affectation ne sont que la manifestation au plus haut sommet de ces conflits de pouvoir. Notre expérience de terrain nous a en outre appris la défiance des autorités publiques locales/provinciales vis–à-vis de l’administration centrale en instaurant des taxes forestières locales sans rapport avec les directives de l’administration centrale. Ces conflits de pouvoir interne sont le reflet de la primauté des enjeux de pouvoir sur les autres.

Détenteurs des ressources forestières, les États du bassin du Congo dont la fonction est en principe de réguler les conflits autour de ces ressources et faire prévaloir l’intérêt général semblent avoir pris conscience de ces conflits et du rôle des populations villageoises. Mais cette prise de conscience reste quelque peu « émotionnelle » sinon « romantique » au regard des évolutions constatées au niveau des populations rurales. La faiblesse de leurs moyens, mais encore, leur « capabilité » limitée, contrarient leur pouvoir vis-à-vis des autres parties prenantes. Du coup, leur mobilisation pour les ressources forestières, pourtant salutaire, apparaît comme une simple réponse à la pression internationale tout en révélant avec acuité, la vacuité de certaines prescriptions des experts qui entourent les décideurs.

Aussi, la mobilisation internationale qui n’est pas la moins efficace trouve là le terreau de mettre à profit son influence et ses ressources pour créer les conditions d’une valorisation des ressources forestières conforme à ses attentes. Celles-ci peuvent bien entendu coïncider avec celles des autres parties prenantes. Mais, force est de constater une certaine asymétrie entre elles. Comme le montre l’article « 1 » de la Convention sur la Biodiversité, la question de la conservation et de l’utilisation durable de la biodiversité semble être secondaire. L’enjeu réside dans « le partage équitable des avantages découlant de l’exploitation des ressources génétiques, notamment grâce à un accès satisfaisant aux ressources génétiques, et à un transfert approprié des techniques pertinentes, compte tenu de tous les droits sur ces ressources et aux techniques, et grâce à un financement adéquat ». La convention reconnaît à son article « 8j » aux populations locales et indigènes leurs droits et leurs savoirs sur leurs ressources.

Selon la théorie de l’économie de l’environnement, la solution aux « externalités » environnementales issues d’un mauvais usage de bien collectif se trouve d’abord dans la mise en place d’un système d’appropriation, puis, dans la création d’un marché permettant d’attribuer des prix à ces droits. Partant de cette considération, la convention a demandé aux pays du Sud de se doter d’un système de droits sur les ressources génétiques afin de permettre via le marché, le partage « juste et équitable » des avantages tirés de la biodiversité. De cette reconnaissance des droits résulte un compromis selon lequel, les brevets issus du monde industriel sont présentés comme équivalents à des droits reconnus aux pays du Sud et aux populations détentrices de savoirs.

L’usage des droits de propriété intellectuelle en outils de protection stipulée à l’article « 16-5 » fait le jeu des industriels des biotechnologies (Aubertin, 2002). Elle est également source de conflits ou du moins de frustrations politiques au regard même de l’itinéraire de ces brevets. Non seulement le marché des contrats de la bio-prospection n’a pas encore vu le jour, mais encore, le travail de conservation et les savoirs des populations indigènes se trouveront phagocytés par ces brevets.

Une autre mobilisation est celle des Organisations non gouvernementales. Accusées par certains de faire preuve d’usentimentalisme issu des cultures occidentales et mal compris des pouvoirs et des populations africaines (G. Sourina 2002), ces organisations sont devenues des acteurs incontournables dans les questions internationales sur la conservation. Elles constituent le contrepoids du paradigme dominant dans les institutions financières internationales. Mais Leur action et leurs rapports avec les autres parties prenantes n’a cessé d’évoluer. Des alliances ont vu le jour telles que celle du WWF avec la Banque Mondiale, et celle de l’UICN avec l’O.I.B.T et même avec certaines entreprises. Ce qui fait dire à certains et non les moindres, que ces organisations trouvent dans la conservation de la biodiversité une opportunité de drainer l’argent des donateurs afin d’assurer le fonctionnement d’un nombre considérable de structures et alimenter de vastes supports médiatiques (Bahuchet, 2004). Il n’en reste pas moins vrai que ces organisations sont des acteurs importants de la conservation avec un pouvoir d’influence qui ne peut être ignoré par les décideurs locaux et internationaux.

C’est donc l’ensemble de ces enjeux qu’il faut décrypter pour mesurer les contraintes et les chances de réussite dans la recherche d’une valorisation des écosystèmes forestiers. Mais ce décryptage révèle des nouvelles problématiques en rapport avec la faiblesse des institutions et la mauvaise gouvernance, mais également avec le financement de la conservation qui à lui seul constitue un champ entier d’investigation.

CONCLUSION

La question de la valorisation des écosystèmes forestiers des pays du bassin du Congo reflète l’un des axes actuels de recherche d’un développement durable. Découlant d’une prise de conscience globale de l’inadéquation entre le modèle productiviste et la sauvegarde de l’environnement, le recentrage des politiques forestières vers l’objectif de valorisation des écosystèmes forestiers dans ces pays s’est fait de façon quelque peu clinquante. La prise de conscience des enjeux économiques et politiques a conduit les Etats finalement à prendre des mesures allant dans le sens d’une valorisation durable des ressources forestières. Aussi, face à la différence des rapports de force entre les parties prenantes un certain nombre d’initiatives à caractère sous-régional ont été prises par ces pays. A plus d’un titre de telles initiatives sont encourageantes, mais leur effectivité et leur efficacité réside dans leur coordination et dans l’évaluation sans complaisance de leurs résultats. La valorisation des ressources forestières constitue l’un des exemples types des dynamiques en cours au niveau mondial et dans lesquelles les pays du Bassin du Congo se sont engagés. Ils se sont donnés une grande ambition avec le Plan de convergence, mais doivent se donner aussi les moyens de l’atteindre. C’est à ce prix qu’ils pourront valoriser durablement leurs ressources forestières pour améliorer les conditions des populations, tout en participant à la régulation des équilibres climatiques globaux.

 

 

Références bibliographiques

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Fischesser, B., Dupuis-Tate, M.F, (1995),

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Ndinga, (2004),

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