De la difficulté de mettre en œuvre la lutte contre la déforestation

  

La COP26 qui vient de se tenir à Glasgow s’est achevée avec l’engagement des dirigeants de plus de 100 pays représentant plus de 85% des forêts du monde à mettre fin et à inverser la déforestation et la dégradation des terres d'ici à 2030 pour lutter contre le réchauffement climatique. Parmi les parties prenantes on compte la République démocratique du Congo, pays qui abrite 62 % des forêts du Bassin du Congo. L'initiative devrait bénéficier de 19 milliards de dollars de financement.

Glasgow prend le relais de la Déclaration de New York (2014) sur les Forêts. L’objectif 1 de la Déclaration de New York était l’arrêt de la destruction des forêts naturelles à l’horizon 2030 avec pour but intermédiaire, une réduction d’au moins 50 % avant 2020. Un certain nombre d’autres objectifs découle de l’objectif 1, notamment l’élimination de la déforestation due aux chaines d’approvisionnement agricoles (objectif 2), la réduction de la déforestation liée aux autres secteurs économiques (objectif 3), et le soutien aux alternatives à la déforestation entrainée par la pauvreté et la satisfaction des besoins de base (objectif 4). La Déclaration de New York avait également pour but de restaurer 150 millions d’hectares de terres dégradées à l’horizon 2020, ainsi que 200 millions supplémentaires avant 2030 (objectif 5). Un autre ensemble d’objectifs visait en particulier l’adoption d’un environnement et de conditions propices à la réalisation de la lutte contre la déforestation. Ceux-ci incluent la mise en place d’un cadre international solide (objectifs 6 et 7) et de meilleurs moyens de financement (objectifs 8 et 9) ainsi que l’amélioration de la gouvernance forestière et notamment des droits forestiers et fonciers des communautés locales et peuples autochtones (objectif 10).[1]

Dans le cadre du Partenariat mondial pour la restauration des paysages forestiers (RPF)[2] les pays d’Afrique subsaharienne ont reçu peu de financement (voire aucun financement) par rapport aux pays des bassins de l’Amazonie et de Bornéo-Mékong alors que les engagements africains dans le cadre du Défi de Bonn représentent 54 % des superficies totales à restaure[3]

Pour rappel, depuis 2010 les pays ont dépensé 2,4 milliards de dollars par an en moyenne pour protéger et restaurer les forêts loin des besoins estimés entre 45 et jusqu'à 460 milliards par an selon les défenseurs de l’environnement.

1. Déforestation : les chiffres

La déforestation existe depuis que l’homme est entré dans la forêt pour l’exploiter. On en connait les drivers : l’expansion de l’agriculture, l’extraction du bois, l’urbanisation, l’expansion des infrastructures et de l’exploitation minière.[4] Les activités agricoles, quelles qu’elles soient, ont lieu sur des terres jadis portant un couvert végétal. Leur expansion s’est souvent faite au détriment de celles-ci. La transformation des terres forestières en terres agricoles, par le bouleversement des écosystèmes qu’elle entraine, participe à l’extinction de la diversité biologique et, par effet cumulatif avec l’ensemble des activités anthropiques, au changement climatique. Les indices actuels de la couverture forestière et des émissions de CO2 peuvent être expliqués en grande partie par ce processus.

La couverture forestière mondiale a été réduite de 129,14 millions d’hectares entre 1990 et 2017, soit environ 55 % de la superficie de la République démocratique du Congo (234,54 millions d’hectares). Elle s’établissait à 3 999,13 millions d’hectares en 2017 contre 4 128,27 millions d’hectares en 1990 soit une diminution nette de la superficie forestière mondiale de 1,76 % entre 1990 et 2000 ; 0,56 % entre 2000 et 2005 ; 0,42 % entre 2005 et 2010 ; 0,41 % de 2010 et 2015.[5]

On connait depuis longtemps l’impact direct des cultures à grande échelle sur la déforestation notamment à partir de la FAO qui analyse et compile les données sur l’état des forêts dans le monde dans l’Évaluation des ressources forestières (FRA). La surveillance par satellite a permis l’acquisition de données pour réaliser une étude approfondie du changement de superficie forestière à l’échelle mondiale[6].

La déforestation s’explique par l’expansion de l’agriculture, l’extraction du bois, l’expansion des infrastructures et de l’exploitation minière ; ce sont les cause immédiates ou directes. ou sous-jacentes (indirectes)[7]. Elle est également le résultat de causes sous-jacentes ou causes indirectes : les facteurs économiques, les facteurs démographiques, les facteurs technologiques et les facteurs institutionnels. Le phénomène varie énormément d’un continent à l’autre voire d’une à l’autre sur un même continent. Sur les 129 millions d’hectares de forêts perdus entre 1990 et 2017 au niveau mondial, les terres affectées aux cultures permanentes représentent 52,3 millions d’ha (40,5 %). Selon M. Barthel et al. et V. Vijay et al. 45 % des plantations en Asie du Sud-Est proviendraient de zones qui étaient forestières en 1989. Ce taux est moindre dans les autres régions du monde : 31 % en Amérique du Sud, 7 % en Afrique et 2 % en Amérique Centrale.[8] La production agricole contribue à hauteur de 29 % de la déforestation.[9] Une autre étude analysant des données nationales portant sur quarante-six pays tropicaux et subtropicaux abritant environ 78 % des forêts tropicales montre que l’agriculture de grandes plantations est à l’origine de 40 % de cette déforestation. Les autres facteurs sont l’agriculture de subsistance locale (33 % de la déforestation), l’expansion des zones urbaines (10 %), l’infrastructure (10 %) et les activités d’extraction (7 %).[10] Cependant, le changement d’utilisation des terres était dans certains cas précédé par une dégradation des forêts, due par exemple à l’exploitation forestière non durable ou illégale.[11] S’agissant du bassin du Congo, le couvert forestier a longtemps été protégé par la faible pression démographique, la difficulté d’accès et le manque d’infrastructures.[12]

La déforestation trouve ses responsables bien au-delà des pays forestiers. En effet, selon le WWF[13], « Les forêts tropicales subissent une forte pression en raison des importations massives de matières premières - soja, huile de palme, viande de bœuf - mais aussi de produits dérivés du bois, du cacao et du café » par les pays industrialisés… Par exemple « en 2017 le commerce international des produits agricoles a entraîné la déforestation dans les pays tropicaux de 1,3 million d’hectares dont la responsabilité associée incombe principalement à la Chine (24 %), l'Union européenne (16 %), l'Inde (9 %), les États-Unis (7 %) et le Japon (5 %). »[14]

2. Situation des forêts dans le bassin du Congo

Le bassin du Congo couvre une superficie de 530 millions d’hectares. La couverture forestière y est d’un seul tenant. Elle s’étend sur environ 300 millions d’hectares (soit 70 % de la couverture forestière de l’Afrique), du Golfe de Guinée à l’Est à la vallée du rift à l’Ouest et est constituée à plus de 99 % de forêts primaires ou naturellement régénérées dont les tourbières contiennent environ 30 milliards de tonnes de CO2.

Répartition du couvert forestier dans le bassin du Congo

Pays

Superficie

(en km²)

Superficie forestière

En hectares

En % de la superficie territoriale

En % total Forêt

du bassin du Congo

Cameroun

457 422

26 855 005

58,71

10,02

Centrafrique

623 000

22 248 466

35,71

8,3

Congo

342 000

25 757 611

75,31

9,61

Gabon

268 000

23 993 144

89,52

8,95

Guinée Équatoriale

28 052,46

2 627 513

93,84

0,98

République démocratique du Congo

2 345 000

166 660 144

71,07

62,15

Total

372 187 252

268 142 144

72,04

100,00

 Le bassin du Congo est considéré aujourd’hui comme une zone aux taux de déforestation les plus faibles de la planète[15]. La déforestation n’est que de 0,15 % de la surface forestière de la sous-région (450 000 ha) contre 0,51 % en Amérique tropicale ou 0,58 % en Asie tropicale.[16] De même, la perte de la biodiversité y est contenue en comparaison aux autres massifs forestiers tropicaux.[17] Cependant, les processus qui entrainent la destruction du couvert forestier dans les régions tropicales des autres continents sont déjà à l’œuvre dans le bassin du Congo[18] comme le montre l’étude sur la déforestation dans la Réserve de biosphère de Yangambi (RDC) menée par une équipe internationale composée de chercheurs du CIFOR[19], du Cirad[20] et des universités de Kisangani[21], Rennes 2[22] et Montpellier[23].

Selon cette étude, le taux de déforestation du territoire (forêt primaire et secondaire) étudié est passé de 3,1 % entre 1986 et 2003 à 4,9 % entre 2003 et 2016 soit un doublement des taux de déforestation moyenne annuelle entre la première et la seconde période (0,18 % à 0,38 % par an). « Les principales causes de déforestation mentionnées par les habitants sont l’agriculture itinérante sur brulis (54 % des ménages), l’exploitation artisanale des minerais (17 %) et la fabrication des pirogues (8 %). La pression démographique, sans amélioration du niveau de vie des communautés ou des techniques agricoles, et le developpement du réseau routier, favorisant les échanges commerciaux, en sont les causes sous-jacentes. »[24]

3. Les obstacles qui freinent la lutte contre la déforestation dans le bassin du Congo

En Afrique subsaharienne la forêt est la principale source de revenu pour une fraction non négligeable de la population particulièrement en milieu rural où elle représente jusqu’à 90 % des pauvres dans certains pays ; 80 % d’entre-eux dépendent de l’agriculture, principale responsable de la déforestation dans la région. Par ailleurs, face à la raréfaction des terres cultivables en Asie, les investisseurs asiatiques se tournent vers le souscontinent africain, attirés par les énormes réserves foncières dans des pays plus ou moins indifférents à la question de la durabilité de l’exploitation des ressources naturelles[25]

 3.1. La pauvreté endémique

L’Afrique Subsaharienne compte 33 des 46 pays les moins avancés (PMA)[26] et 21 des 25 pays les plus pauvres de la planète parmi lesquels se trouve la République démocratique du Congo, pays richissime par l’importance et la diversité de ses ressources naturelles et de ses 100 millions d’habitants répartis sur un territoire de 2,3 millions de km2.[27] Le nombre d’Africains vivant dans la pauvreté était d’environ 430 millions en 2020. L'intensité de la pauvreté - c'est-à-dire la mesure dans laquelle les revenus sont inférieurs au seuil de pauvreté - est plus grande en Afrique subsaharienne que partout ailleurs dans le monde.

La plupart vivent dans les zones rurales et tirent principalement leurs revenus de l’agriculture de petite exploitation. Celle-ci est essentiellement extensive. Elle utilise du travail familial et la main-d’œuvre féminine y est dominante. Les exploitations paysannes vivent dans une situation de vulnérabilité permanente. Elles sont confrontées à des difficultés structurelles en termes d’accès pérenne à des ressources indispensables : l’énergie, les semences, les infrastructures, l’outillage de base, le financement, le conseil, etc. Les exploitations n’ont ni ressources ni savoirs nécessaires pour investir dans une évolution des techniques de production, dans une intensification de la production susceptible de leur permettre une amélioration significative de leur productivité et de leurs revenus. Un changement inattendu dans la situation du ménage (maladie, décès, etc.), et leur vulnérabilité aux risques économiques voire écologiques augmentent. L’augmentation de la production pour faire face à l’accroissement de la demande due à l’accroissement de la taille de la famille ou au marché s’obtient essentiellement par l’extension des superficies cultivées sur des terres prises à la forêt qui fournit également les ressources énergétiques (bois de cuisson et charbon) et le bois d’œuvre. C’est la principale source directe de la déforestation observée en Afrique subsaharienne, dans le bassin du Congo particulièrement.

Mais, la relation des exploitations paysannes avec le milieu naturel est complexe voire paradoxale. En effet, « Les agricultures familiales participent largement à la valorisation et à la protection des ressources naturelles » (Martine Laplante, 2014). L’exploitation du milieu naturel se fait dans le respect des lois ancestrales basées sur les tabous et autres interdits[28] qui permettent en même temps la reconstitution des espèces et la préservation des ressources naturelles. La production paysanne est essentiellement biologique, sans utilisation d’OGM et de produits chimiques. « Elle contribue à la préservation de la biodiversité grâce à des pratiques culturales qui augmentent le taux de matière organique dans les sols, réduisent l’érosion ou favorisent la protection d’espèces menacées. Les agriculteurs familiaux participent également au maintien de la diversité génétique des semences et des races animales autochtones. ... La préservation des ressources naturelles est également favorisée par la logique patrimoniale prévalant dans les exploitations familiales, qui sont amenées, dans un souci de transmission intergénérationnelle, à gérer leur activité de manière durable » (Martine Laplante, 2014). Par ailleurs, « les agricultures familiales, grâce à leur enracinement local et à la connaissance approfondie qu’elles ont de leurs territoires, constituent des foyers d’innovations empiriques adaptées à leurs contextes locaux respectifs. »[29] C’est pourquoi, la lutte contre la dégradation des écosystèmes telle qu’on veut la leur imposer est perçue comme une tentative de renforcement du contrôle des pouvoirs publics sur les populations rurales et les communautés forestières, comme une tentative pour les insérer dans un processus qui les ferait entrer dans un cercle vicieux d’endettement quasi à vie pour acheter des équipements, des semences améliorées, des intrants chimiques et autres produits nécessaires à la production et à la transformation de leur production, etc.

L’expérience des agriculteurs ayant intégré les projets de développement agricole mis en œuvre en Afrique sub-saharienne avec l’appui des ONG et des organisations internationales est là pour les conforter dans leur méfiance, voire leur certitude. « L’utilisation des produits phytosanitaires a été présentée comme une démarche permettant de sécuriser l’alimentation familiale … en protégeant les cultures pour ne pas avoir à acheter des aliments de base à un prix élevé sur les marchés »[30], notamment pendant la période de soudure. … « Dès lors qu’un agriculteur adopte cette logique, il lui devient quasiment impossible d’en sortir car la réduction des doses de produits phytosanitaires conduits à une perte de production. C’est pourquoi plusieurs petits producteurs considèrent comme irréalisables les projets d’agriculture durable. »[31] Les petits exploitants agricoles accusent ainsi les ONG environnementalistes de chercher à leur faire payer les conséquences du dérèglement climatique planétaire alors que ce sont les puissances industrielles avec leur modèle de développement qui en sont les premiers responsables.[32]

3.2. Croissance économique ou préservation de l’environnement

L’intégration à l’économie mondiale est présentée comme l’une des clés du développement économique, car la richesse augmente pour un pays s’il se spécialise et échange. C’est la division du travail ricardienne[33] qui repose sur des avantages comparatifs relatifs. La théorie ricardienne a été renforcée par la théorie des dotations factorielles. L’idée générale qui sous-tend ces théories est le libre-échange. En effet, en intégrant les marchés, le libre-échange stimule la concurrence et entraîne une allocation plus efficiente des facteurs de production. Les pays s’adonnant au libre-échange s’insèrent dans les chaines de valeur mondiales. Ils voient ainsi leur richesse augmenter.

La théorie des avantages comparatifs est une des théories fondamentales de la science économique[34]. Elle a longtemps été soutenue par de nombreux économistes et les institutions internationales. En conséquence, les pays subsahariens se sont lourdement endettés pour exploiter au mieux les avantages concurrentiels que représentaient leurs ressources naturelles.[35]

Cette stratégie a permis à quelques pays (les émergents) de faire des gains importants à partir de l’exportation de produits manufacturés de plus en plus élaborés.[36] Cependant, elle porte une part de responsabilité dans l’absence de diversification économique et la faible de résilience des économies en développement exportatrices de produits de base face aux chocs extérieurs.

À cause de l’histoire et de la proximité géographique l’Europe Occidentales (Union Européenne) a toujours été le principal marché de l’Afrique subsaharienne. Mais, en raison de préoccupations environnementales, sanitaires, éthiques et face au dérèglement climatique mondial, les autres pays industrialisés (l’Union Européenne en tête) ont commencé à édicter des normes de plus en plus draconiennes destinées à réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES) et des principes de diligence raisonnable exigeant des producteurs le respect des normes en matière de droits de l’homme et d’environnement dans leurs chaînes de valeur[37]. Ces mesures interdisent, de facto, l’entrée sur leurs marchés des produits agricoles et forestiers dont les standards de production ne répondent plus aux principes de durabilité. C’est le cas de la plupart des produits de base de l’Afrique subsaharienne.

Les producteurs subsahariens auraient dû saisir cette occasion pour rendre leurs productions durables. Mais, engagés dans des stratégies de développement économique et social pour sortir de la pauvreté, les pays africains au sud du Sahara sont obligés à des choix aujourd’hui difficiles à tenir :

- accroitre l’exploitation des ressources naturelles pour augmenter les exportations et obtenir des devises nécessaires au remboursement de la dette, et créer des richesses pour réduire une pauvreté endémique ;

- ou sacrifier l’économie pour conserver les écosystèmes.

Face aux marchés nord-américains et européens qui se ferment, les pays d’Afrique sub-saharienne exportateurs de produits de base sont contraints à la réorientation de leurs courants d’échanges vers les marchés asiatiques peu exigeants quant à la protection de l’environnement, la protection sociale et par rapport aux droits de l’homme.

Ces ajustements enferment les pays d’Afrique subsaharienne dans un cercle vicieux dans lequel la recherche de la croissance économique sacrifie la protection de l’environnement. Ils créent les conditions d’une dégradation des écosystèmes qui se poursuit en s’accentuant.[38] De ce fait, la destruction des ressources naturelles conduit à la dégradation de l'environnement et à la baisse de la productivité.

3.3. La faiblesse des États

Depuis la Conférence de Rio (1992), les États africains au Sud du Sahara ont progressivement construit un cadre législatif et réglementaire pour la protection de l’environnement. Ces pays sont tous parties à de nombreux textes et conventions internationales relatifs au développement durable dont : la Convention sur la diversité biologique, signée à Rio en juin 1992, la Convention de RAMSAR du 02 février 1971 relative aux zones humides d’importance internationale, le Défi de Bonn, la Convention des Nations Unies pour la Diversité Biologique, la Déclaration de New York sur les forêts, l'accord de Copenhague, officialisé lors de la conférence d'Oslo le 27 mai 2010, le Plan stratégique des Nations Unis sur les forêts 2017-2030 la Déclaration TFA 2020 de Marrakech, l’Initiative pour la restauration des paysages forestiers africains (AFR 100), etc. Pour les pays du bassin du Congo on peut retenir également des initiatives sous-régionales comme la Déclaration de Yaoundé, le Traité COMIFAC de Brazzaville, la Résolution de Brazzaville, le Plan de Convergence de la COMIFAC, l’Initiative pour la forêt de l’Afrique centrale (CAFI), le Fonds Bleu pour le bassin du Congo, etc.

Le Partenariat mondial pour la protection des forêts tropicales, initié dans le prolongement de Copenhague, s’est traduit par un engagement financier des pays industrialisés (Allemagne, Australie, Danemark, Etats-Unis, France, Japon, Norvège, Royaume-Uni, Suède) en faveur des pays forestiers du Sud (une quarantaine d'États). Quatre milliards de dollars avaient été mobilisés pour la période 2010-2012 afin de financer des programmes de lutte contre la déforestation.

Au mépris des engagements pris au niveau international, les États subsahariens, particulièrement ceux du bassin du Congo, ont attribué des dizaines de concessions de plusieurs centaines milliers d’hectares en zones forestières à des investisseurs (essentiellement IDE) pour des cultures industrielles. Ils ont autorisé des activités extractives (mines, exploration des hydrocarbures, exploitation forestière, etc.) dans les zones humides ; or ces zones renferment d’énormes tourbières, pièges de GES responsables du dérèglement climatique de la planète. Ces investisseurs sont souvent proches de la sphère publique quand ils ne sont pas simplement les prête-noms d’hommes politiques ou de personnes bien placées au somment de l’État. L’absence de séparation claire pouvoir public/pouvoir politique/secteur privé crée des situations de conflit d’intérêts, le lit de la corruption. Dans ce contexte, les représentants de l’État, quel que soit leur niveau, ont une attitude de « protection »[39] par rapport au secteur privé.[40] Ce qui explique le laxisme dans l’application des accords internationaux, de la réglementation, des sanctions, etc., de la loi en dernière analyse.

Cette gouvernance revient, de fait, à fouler aux pieds les engagements pris par les États dans le cadre des traités internationaux, notamment l’Initiative pour la forêt de l’Afrique centrale (CAFI)[41] et le Fonds Bleu[42]. Pour les partenaires au développement cette contradiction laisse penser que l’adhésion des pays subsahariens aux traités est essentiellement une stratégie pour capter les financements des donateurs. Dans ces conditions, les contributeurs sont de moins en moins enclins à honorer leurs promesses de financement d’autant plus que l’affectation des sommes déjà décaissées est parfois difficile à tracer.

À titre d’illustration, dans le cadre du Partenariat mondial pour la restauration des paysages forestiers (RPF)[43] les pays d’Afrique subsaharienne reçoivent peu de financement par rapport aux pays des bassins de l’Amazonie et de Bornéo-Mékong alors que les engagements africains dans le cadre du Défi de Bonn représentent 54 % des superficies totales à restaurer.[44] À fin septembre 2019, le Gabon était le seul pays subsaharien admis à recevoir des paiements internationaux en récompense de ses efforts en matière de préservation de sa forêt et de lutte contre la déforestation. Ceux-ci s’élèvent à 150 millions de dollars (environ 88,5 milliards de FCFA). Ils couvrent une période de dix ans (2016-2025) et vont être effectués par la CAFI.

En définitive, ces lacunes qui sont souvent analysées comme des faiblesses institutionnelles sont révélatrices de l’absence de l’État de droit.

4. Conclusion

Les dispositifs internationaux de lutte contre la déformation offrent une opportunité de ressources pour financer des investissements favorables aux pauvres. Mais pour que les promesses faites à Glasgow par les donateurs se transforment en transferts effectifs, les États doivent levers les obstacles qui empêchent les pays de tenir leurs engagements internationaux et qui sont à la base des opportunités ratées dans le cadre du Partenariat mondial pour la restauration des paysages forestiers. Ces obstacles peuvent être regroupés en deux catégories.

1. En Afrique subsaharienne, l'agriculture est la principale responsable de la déforestation. L'expansion du phénomène traduit l'échec de la lutte contre la pauvreté conséquence de l'échec des politiques agricoles. Or plus de la moitié de la population africaine tire l'essentiel de ses ressources de l'agriculture. Sans un recul conséquent de la pauvreté, la déforestation va se poursuivre en s'amplifiant.

2. Les problèmes de gouvernance qui se manifestent ouvertement par un laxisme dans l'application des lois et règlements. On assiste ainsi au développement de l'exploitation illégale des ressources naturelles souvent avec la complicité des agents publics qui sont censés les faire respecter voire des dirigeants. Améliorer la gouvernance implique de progresser dans l’État de droit, avec des lois qui sont appliquées, un système judiciaire qui fasse effectivement appliquer les sanctions prévues par les textes en vigueur et des mécanismes de transparence et de responsabilité qui permettent de réduire les possibilités de contourner impunément la loi. Il faut ensuite des mécanismes de contrôle administratif avec des pouvoirs renforcés de répression, des contre-pouvoirs institutionnalisés et des organismes de surveillance indépendants qui associent recherche scientifique, société civile, populations locales et auditeurs non étatiques.

3. Enfin il est nécessaire de faire émerger des choix collectifs plus tournés vers un développement économique mieux régulé, un renforcement de la lutte contre la pauvreté, une réduction des inégalités et la préservation de la nature.

 


 

[1] CLIMATE FOCUS, (2015), Progress on the New York Declaration on Forest – An Assessment Framework and Initial Report, Prepared by Climate Focus, in collaboration with The Alliance for Clean Cookstoves, Environmental Defense Fund, Forest Trends, The Global Canopy Program, Executive Summary, p. 5.

[2] https://www.forestlandscaperestoration.org/images/gpflr_french_final_30jan.pdf

[3] IUCN, (2018), Commitments to Bonn Challenge.

[4] GILLET Pauline, VERMEULEN Cédric, FEINTRENIE Laurène, DESSARD Hélène, GARCIA Claude, (2016), « Quelles sont les causes de la déforestation dans le bassin du Congo ? Synthèse bibliographique et études de cas, Biotechnologie, Agronomie, Société et Environnement, 20 (2), pp. 183-194.

[5] FAO et CCR. 2012, idem, p. 10

[6] FAO et CCR. 2012. Changement d’utilisation des terres forestières mondiales 1990-2005, par E.J. Lindquist, R. D’Annunzio, A. Gerrand, K. MacDicken, F. Achard, R. Beuchle, A. Brink, H.D. Eva, P. Mayaux, J. San-Miguel-Ayanz, H.-J. Stibig. Étude FAO: Forêts No 169, Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture et Centre commun de recherche de la Commission européenne, Rome, FAO, p. viii.

[7] ANGELSEN Arild and KAIMOVITZ David, (eds), Agricultural Technologies and Tropical Deforestation, New York, CABI Publishing – Jakarta, CIFOR, 1999. Également : ANGELSEN Arild  and KAIMOVITZ David, (eds), 1999. "Rethinking the causes of deforestation : lessons from economic models) ". The World Bank research observer, Volume 14, no. 1 (February 1999), pp. 73-98

[8] BARTHEL, Mark, JENNINGS, Steve, SCHREIBER, Will, SHEANE, Richard. et ROYSTON, S. (2018). Study on the environmental impact of palm oil consumption and on existing sustainability standards, Brussels, European Commission, DG Environment, Final Report and Appendices, p. 51.

- Cf. également : VIJAY Varsha, PRIMM Stuart L., JENKINS Clinton N. and  SMITH Sharon J., “The Impacts of Oil Palm on Recent Deforestation and Biodiversity Loss”, PLoS ONE. 2016, 11(7): e0159668.

https://doi.org/10.1371/journal.pone.0159668

[9] BARON, Victor, RIVAL, Alain et MARICHAL Raphaël, (2017), « Non, l’huile de palme n’est pas responsable de 40% de la déforestation ». En ligne sur : https://theconversation.com/non-lhuile-de-palme-nest-pas-responsable-de-40-dela-deforestation-76955 (consulté en décembre 2017).

[10] HOSONUMA Noriko, HEROLD, Martin DE SY, Véronique, DE FRIES Ruth S., BROCKHAUS Maria, VERCHOT, Louis, ANGELSEN, Arlid.; ROMIJN, Erika., « An assessment of deforestation and forest degradation drivers in developing countries », IOP Publishing Ltd Environmental Research Letters, Volume 7, Number 4, 2012.

[11] Idem

[12] MEGEVAND Carole, Carole. Dynamiques de déforestation dans le basin du Congo: Réconcilier la croissance économique et la protection de la forêt. Washington, DC: World Bank. doi: 10.1596/978-0-8213-9827-2.

[13] World Wide Fund for Nature

[14] WWF, (2021), Quand les européens consomment, les forêts se consument, Rapport Union Européenne, p 5. Disponible sur : https://www.datapressepremium.com/rmdiff/2005445/SousembargoWWFRapportUE.pdf

[15] DE WASSEIGE C. et al., éds, Les forêts du bassin du Congo : état des forêts 2013. Neufchâteau, Belgique: Weyrich, 2014.

Également :

GILLET, Pauline Gillet, VERMEULEN Cédric, FEINTRENIE Laurène, DESSARD, Hélène et GRACIA Claude,

« Quelles sont les causes de la déforestation dans le bassin du Congo ? Synthèse bibliographique et études de cas », Biotechnologie, Agronomie, Société et Environnement, Volume 20, 2016, Numéro 2, pp. 183-194

[16] BELLASEN V., CRASSOUS R., DIETZSCH L. et SCHWARTZMAN S., Réduction des émissions dues à la déforestation et à la dégradation des forêts : quelle contribution de la part des marchés du carbone, Étude Climat, n° 14, septembre 2008, 42 pages.

[17] DE WASSEIGE, C., op. cit.

[18] MIANZENZA, Aimé Dieudonné, (2021), L’huile de palme à l’épreuve des marchés mondiaux et de la protection de l’environnement, Évry-Courcouronnes, CesbcPresses.

[19] David Andrew Wardell

[20] Charles Doumenge,

[21] Justin Kyale Koy, Jean-Fiston Mikwa, Joël Masimo Kabuanga et Alphonse Maindo Monga Ngonga

[22] Johan Oszwald

[23] Carles Doumenge

[24] Kyale Koy J., Wardell D. A., Mikwa J.-F., Kabuanga J. M., Monga Ngonga A., M., Oszwald J., Doumenge C., 2019. « Dynamique de la déforestation dans la Reserve de biosphère de Yangambi (République démocratique du Congo) : variabilité spatiale et temporelle au cours des 30 dernières années », Bois et Forêts des Tropiques, 341 : 15-28. Doi : https://doi.org/10.19182/ bft2019.341.a31752

[25] WWF, (2015), Termes de référence de l’étude diagnostique et prospective de la filière huile de palme dans la zone de la Communauté Économique des États de l’Afrique centrale (CEEAC).

Cf. également :

- RIVAL, Alain, (2013), Palmier à huile : défis et questions a la recherche, Paris, Cirad, 16 pages.

- HOYLE David et LEVANG Patrice, (2012), Le développement du palmier à huile au Cameroun, Paris, WWF., 16 pages.

[26] UNITED NATIONS, Lis of Least Developed Countries (as of 11 February 2021), New York, Committee for Development Policy (CDP).

[27] IMF, World Economic Outlook Update, January 2021.

[28] Par exemple interdiction de la pêche, de la chasse, de la cueillette, dans des cours d’eau ou des espaces sacrés comme les cours d’eau ou les forêts, les montagnes, etc., pendant une durée plus ou moins longue.

[29] LAPLANTE, Martine, (2014), L’agriculture familiale. Avis du Conseil économique, social et environnemental, Paris, Les éditions du Journal officiel, décembre 2014, 65 pages ; p. 22.

[30] COLLARD, Anne-Laure et BURTE Julien, (2014), « La non-adhésion des agriculteurs du Sertão brésilien à la conversion de leur modèle agricole », Études rurales, N° 194, 2014, Altérités, inégalités et mobilités dans les iles de l’océan 1ndien, pp. 219-238 ; p. 230.

[31] Idem

[32] COMMISSION Européenne, Consommer et Consommer de manière durable, Bruxelles, Office de publication, Juin 2009, p. 2. Document disponible en ligne sur : https://ec.europa/environment/pubs/pdf/factsheets/scp/fr.pdf

[33] RICARDO, David Ricardo, (1817), On the Principles of Political Economy and Taxation, London, J. Murray.

[34] RODRIK, Dani, (1998), « Symposium on globalization in perspective: an introduction », The Journal of Economic Perspective, vol. 12, no. 4, Fall 1998, pp. 3-8.

[35] MIANZENZA, Aimé Dieudonné, (2015), Notes sur l’émergence économique, Évry, Centre d’études stratégiques du bassin du Congo.

[36] KINZOUNZA, Firmin Kitsoro, (2017), La mécanique de l’émergence économique et sociale en Afrique, Préface d’Aimé Dieudonné MIANZENZA, Évry, CesbcPresses, 116 pages.

[37] Selon Lara WOLTERS, rapporteuse au Parlement Européen du projet d’initiative législative (INL) sur la responsabilité des entreprises, « Une nouvelle législation sur la diligence raisonnable des sociétés établira une norme de conduite responsable des entreprises en Europe et au-delà. D’après celle-ci, les entreprises ne pourront plus nuire aux citoyens et à la planète sans être tenues pour responsables ». Cf. 2020/2129 (INL) Devoir de vigilance et responsabilité des entreprises.

[38] MIANZENZA, Aimé Dieudonné, (2021), L’huile de palme à l’épreuve des marchés mondiaux et de la protection de l’environnement, Évry-Courcouronnes, CesbcPresses.

Cf. également : ADAMS, William. M. and al. (2004), "Biodiversity conservation and the eradication of poverty", Science, Volume 306, Issue 5699, pp. 1146-1149.

[39] Au sens mafieux du terme.

[40] Pour échapper à cette pression ou au phénomène de captation de la part des représentants de la puissance publique, beaucoup d’opérateurs économiques préfèrent rester dans le secteur informel.

[41] https://www.cafi.org/content/cafi/fr/home.html

[42] https: brazzavillefoundation.org/fr/nos-actions/protection-de-l-environnement/le-fonds-bleu-pour-le-bassin-du-congo

[43] https://www.forestlandscaperestoration.org/images/gpflr_french_final_30jan.pdf

[44] IUCN, (2018), Commitments to Bonn Challenge.

À sujet, « fin septembre 2019, le Gabon est devenu le premier pays d’Afrique admis à recevoir des paiements internationaux en récompense de ses efforts en matière de préservation de sa forêt et de lutte contre la déforestation. Ceux-ci s’élèvent à 150 millions de dollars (environ 88,5 milliards de FCFA). Ils couvrent une période de dix ans (2016-2025) et vont être effectués par la CAFI.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le taux annuel de déforestation est passe de 0,18 % au cours de la période 1986-2003 a 0,38 % en 2003-2016. Durant cette dernière période, la forêt primaire a connu un taux de déforestation plus élevé qu’en forêt secondaire (respectivement 4,5 % et 0,4 %).

 

Les principales causes de déforestation mentionnées par les habitants sont l’agriculture itinérante sur brulis (54 % des ménages), l’exploitation artisanale des minerais (17 %) et la fabrication des pirogues (8 %). La pression démographique, sans amélioration du niveau de vie des communautés ou des techniques agricoles, et le developpement du réseau routier, favorisant les échanges commerciaux, en sont les causes sous-jacentes.

 

 

Cette dynamique de déforestation dans une forêt rattachee au reseau mondial des reserves de biosphere entame l’objectif fixe par l’Etat d’etendre le reseau d’aires protegees a 15 % du territoire national.