Festivités marquant le 125ème anniversaire de la mission catholique Saint Louis

et du Village chrétien de Liranga, Département de la Cuvette, République du Congo

(du 21 au 23 novembre 2014)

 

 

La place du monument

A la découverte des lieux de mémoire sur le chemin de la mémoire

 

Contexte

Les festivités marquant le 125e anniversaire de la mission catholique Saint Louis et du village chrétien de Liranga, nous ont permis de suivre les chemins de la mémoire d'un personnage qui, pendant ses 31 ans d'épiscopat, déploiera dans ce domaine immense une activité, une énergie, un savoir faire et un entrain magnifique, ne reculant devant aucun travail, maniant tour à tour la bêche, la hache, la truelle et le marteau, élevant maisons, écoles et églises. Il va chemin faisant apporter l'évangélisation au Congo, successivement, étant parti de Landana (Cabinda) Loango, il s'installe à Linzolo (1882) à Brazzaville(1887) plus tard à Liranga(1889).

Pourquoi donc cette communication ?

C'est pour aller à la découverte de ces « lieux de mémoire », notion clef, dont le mot fait son entrée dans le dictionnaire, le grand Robert de la langue française de 1993, qui devient d'un usage courant, au sens qu’en a donné Pierre Nora, c'est-à-dire viser à redonner toute sa place à l'histoire. En un mot, une manière de faire l’histoire. Tout comme Pierre Nora historien français, il s'agit ici de faire connaitre l’inventaire de ce lieu où la mémoire du père Prosper Philipe Augouard et de ses compagnons : les pères Paris, Allaire, Moreau, Epinette et Remy, s'est incarnée, des lieux matériels et concrets. Ils nous ont laissés un patrimoine culturel et immatériel composé de bâtiments historiques (églises, palais épiscopal, écoles, autres demeures remarquables, des vestiges archéologiques comme les rails du petit train de la mission), les friches industrielles (menuiserie, fabriques des briques cuites et tuiles, etc.) ; Arboriculture (ayant amené une variété de plusieurs plantes nouvelles (fruit à pain, corossolier, orangers, légumes divers). Cela donc a pu nous permettre de lire toute l'histoire de ce missionnaire infatigable. Cet homme du fleuve qui va être l'un des pionniers de la navigation fluviale, lançant sur le grand fleuve trois bateaux à vapeur dont les pièces amenées de la Côte, à dos d'homme sont rassemblées dans le port de la mission (Port Léon à Brazzaville) situé près de la Mairie centrale, sillonnant le Congo, l'Alima et l'Oubangui :

  • 1889 : fondation du bateau à voile Léon XIII (Diata diata).

  • 1889 : transformation de Diata en bateau à vapeur.

  • Novembre 1903 : construction du bateau Pie X.

Un « chemin de mémoire » pour faire vivre les lieux consacrés au souvenir des fondations de ses diverses missions dont la mission de Saint Louis de Liranga le 4 avril l889.

Mais pourquoi donc vouloir porter notre communication sur la place du monument à ce jour dans notre problématique et approche méthodologique pour lire l'époque de l'évangélisation parmi les populations les plus arriérées, jetant à 2000 Km de la Côte la mission de Saint Louis de Liranga ?

Premier point fort

En effet, deux personnages historiques de passage au Congo Français en l'occurrence, les deux premiers blancs arrivés au Congo vont faire susciter à travers des hommes de culture, tel le directeur de la compagnie Hollandaise (NAHV) Anton Gresshof, l'Episcopat de l'époque et le Général de Gaulle.

La place du monument à Brazzaville

On peut surtout dire aussi que l'initiateur des monuments à Brazzaville c'est bien Mgr Prosper Philippe Augouard.

Des 1887, une statue de la vierge, don d'Anton Gresshof, le directeur de la compagnie hollandaise NAHV (Nieuwe Afrikaanshe Handels Venntoshap ) est érigée au centre de la concession des pères missionnaires à la cathédrale, dans cette grande cour intérieure appelée aujourd'hui la Place mariale L'autre monument qui va être érigé, toujours dans cette concession des pères, fut celui de monseigneur Prosper Philippe Augouard, dominant le pied de la butte du village chrétien marquant la fin de ce «  village de la liberté » en 1926, la statue fut sculptée par madame BAYSER-GRATY. Elle est en granit bleu ; deux africains chrétiens agenouillés symbolisent les chrétiens des dix missions dont le prélat fut le fondateur.

On peut citer successivement :

Linzolo (1883) , Saint Paul de Kwamouth dans le Kassai au Congo Belge1886,  Brazzaville (1887), Saint Louis de Liranga (1889), Saint Paul des Rapides à Bangui (Oubangui-Chari (1893-1894), Lekety (1897), Sainte Radegonde de Tsambitso (15 janvier 1899), Saint François Xavier de Boundji (janvier 1910), Saint Philipe de Mbamou (1912).

Tel fut donc l'érection du premier monument de cette envergure à Brazzaville. Aujourd'hui cette statue est dans l'enceinte du palais épiscopal de la Cathédrale Sacré Coeur.

Deuxième point fort

Avec l'arrivée du Général de Gaulle à Brazzaville le 11 novembre 1940 celui-ci recherche désespérément la statue du fondateur de l'AEF (Afrique Equatoriale Française), Pierre Savorgnan de Brazza, exige qu'on lui crée un monument pour le célébrer, et y aurait donné dit-on le premier coup de pioche pour accélérer sa création. En juin 1941, la décision de construire un monument dédié au « fondateur » de l'A.E.F , Pierre Savorgnan de Brazza relève du Général de Larminat, Haut Commissaire de l'Afrique Française libre qui crée un « comité de Brazza » chargé de l'érection de ce monument.

Troisième point fort

Avec l'intermède de la période coloniale, plusieurs stèles et statues vont être érigées à Brazzaville. Aussi il sied de rappeler que parmi les premiers actes symboliques posés par la République indépendante, le 15 août 1960, fut l'inauguration (entre autres), d'un monument érigé en l'hommage de la ville de Brazzaville au Général de Gaulle, Président de la communauté, dans l'après midi à 17 h, le Président l'Abbé Fulbert YOULOU, accompagné du Président Kasavubu de la République Démocratique du Congo et du ministre de la culture du Général de Gaulle, monsieur André Malraux au square de Gaulle. Ce monument est situé à l'entrée de Bacongo à l'angle entre l'avenue Schoelcher et l'avenue Pierre Savorgnon de Brazza.

Enfin dans le « Chemin d'avenir », ce projet de société de son excellence le président Denis SAssou Nguesso à la page 18 et 19, on peut lire sur la culture :

  • En matière de promotion de la culture, des arts et de la valorisation du patrimoine immatériel de notre peuple, le gouvernement continuera :

  • Eriger des monuments pour perpétuer le souvenir des plus dignes des enfants de la patrie.

Voilà donc l'importance dévolue pour nous au monument.

Problématique

Le patrimoine culturel d'une ville ou d'un autre village comme Liranga peut, se composer des seuls bâtiments historiques :

L'Eglise de 1894 (avec les beaux et joyaux vitraux de l'époque posés en 1894), le presbytère (cette maison d'habitation des pères était l'une des rares constructions sinon la seule des missions du Congo avec sa toiture caractéristique de tuiles métalliques).

Rappelons que l'Eglise fut construite par le frère Thiebaud Kohler (Cf. le père Jean Ernoult dans les spiritains au Congo de 1865 à nos jours page 23).

Le patrimoine culturel à Liranga, c'est aussi son école primaire, le cimetière chrétien, le petit chemin de fer (Decauville), avec les vestiges de la menuiserie et de la briqueterie, en feront désormais également partie la stèle érigée à cette occasion çn honneur de Mgr Prosper Augouard ce qui donne lieu maintenant à un lieu dit : la place Mgr Prosper Augouard, les noms des avenues telles que : les avenues, Madame Antoinette Sassou Nguesso et Prosper Augouard.

Ainsi donc nous avons été amené à faire allusion aux chemins de la mémoire ou pourquoi pas encore aux autoroutes de la mémoire ...

Cela c'est de notre point de vue faire connaître toute œuvre qui du fait de son caractère historique ou architectural, constitue un élément (aujourd'hui) du patrimoine national.

Cela nous donne aujourd'hui un chemin de la mémoire dorénavant à travers le Congo, sur les traces du père Augouard en prélude au lancement du pèlerinage sur les pas de Mgr Augourd tous les ans en partant de la Mission catholique de Linzolo (Brazzaville et Liranga). Le fleuve Congo et certains affluents (Alima, etc.) restent bel et bien les témoins de cette histoire. Cet espace du fleuve, riche d'une époque est fondamentalement le lieu de cette histoire, de l'édification de l'évangélisation et des débuts de la scolarisation, véritable instrument fédérateur.

C'était cela le rôle joué par l'école et la mission de Liranga, première école dans la partie nord du Congo (en témoigne une certaine analyse des données de registres paroissiaux de la mission catholique de Liranga).

Historique du monument

Un spécialiste du moyen âge Robert Fossier, expliquait qu'avant « l'encellulement » dans les villages (X, XIe siècles) en Occident, les seuls repères fixes étaient les cimetières (« c'est autour de morts que se sont rassemblées les descendants»).

D'ailleurs, poser fut d'abord ensevelir («ici repose» et les plus vieux noms de ville ou village désignent les champs funéraires, les tumuli, les nécropoles, (exemple : le village Mouloango sur la Route nationale n°l (Pointe Noire-Kinkala-Brazzaville).

Quel est l’usage ou la fonction du monument ?

La définition que nous allons donner du monument sera tirée selon une typologie donnée par Régis Debray.

Le monument message a une fonction. Il transmet une histoire (celle ici des missionnaires) mais également un projet (les routes de la mémoire pourquoi pas demain).

Il appellera désormais la cérémonie officielle, le recueillement. Il relève de la croyance mais aussi de l'éducation. Il est tourné vers le futur tout en renvoyant au passé. C'est un lieu de fidélité.

Cette pétrification (de petrus, pierre en latin) monumentale vient appuyer un effort d'éducation dans un éveil culturel.

Où situer les monuments ?

Clémentine Faïk NZUJI a abondamment développé les métaphores de certains signes de la cosmogonie Kongo.

Le carrefour est le symbole de croisement, de rencontre. Le carrefour est redouté et redoutable. Il est le lieu d'échanges. Ainsi les sorciers tiennent leur sabbat au carrefour alors que les villageois s'y rencontrent pour conjurer le mauvais sort et sommier les forces destructives de s'éloigner. Déjà les spéculations vont bon train à Liranga depuis l'avènement de l'érection de la stèle de Mgr Prosper Philippe Augouard. Certains évitent déjà de passer près de la stèle.

La philosophie des lumières qui présuppose que le perfectionnement de l'humanité est possible et s'accomplit grâce à l'éducation fait des hommes de lettres et de sciences, les prophètes d'une terre promise, des exempla virtutis, en remplacement des Saints et ouvre une nouvelle carrière à la statuaire. L'art acquiert une mission pédagogique que Diderot définit comme le devoir de « rendre la vertu aimable, le vice odieux », un portrait sculpté ne constitue plus seulement un hommage à un grand homme. Il signale aussi un modèle de conduite car les statues incarnent aussi des idées et les discours inauguraux permettent de proclamer des opinions à travers l'éloge d'un homme.

De la place du monument dans le département de la Likouala et présentement dans le district de Liranga

Aujourd'hui dans ce district de Liranga, la place du monument va être révélatrice :

Donc un outil anthropologique pour comprendre la région ou cette époque actuelle, de la place du monument dans la culture, pour un certain développement. C'est également un lieu anthropologique (au sens de Marc Auge, Anthropologue français) c'est-à-dire un lieu à travers lequel pourra ou peut se lire l'histoire de Liranga et les valeurs de la culture pour tous. Un véritable lieu marqué, fléché, bourré de signes et d'images dorénavant.

Nous sommes bien ici dans la trame de l'histoire des sociétés africaines où la communication, l'information et l'enseignement s'y opéraient non seulement par voix orale, mais aussi sous la forme des symboles graphiques inscrits appelés en Kongo (Bidimbou) sur des supports divers, des morceaux de calebasses gravés ou pyrogravés de messages, les bas reliefs polychromes des palais royaux, les statues.

Donc véritable lieu de communication par des symboles qui rappellent des proverbes, disent des devises et transmettent des messages de toutes sortes qui entretiennent les relations humaines comme l'affirme Kibanda Matungila au premier collègue du CICIBA (Centre International de Civilisation Bantou) à Libreville en avril 1985.

Les inscriptions, les gravures rupestres, les objets signes constituent un des aspects les plus riches mais les moins connus des créations culturelles des peuples Bantu.

Typologie des monuments

Selon Régis Debray, fondateur des cahiers de médiologie, écrivain militant, on distingue entre autre le monument message, le monument forme et le monument trace.

Définition

Le monument message

 Le premier, le monument message est le plus proche de l'étymologie du terme (celui que nous célébrons), né de la mort ou du mort pour en prolonger la mémoire ; il en avertit les vivants. Du latin monere, moneo, es, monui, monitum c'est-à-dire faire penser à, d'où rappeler, avertir (disais je) d'où éclaircir, instruire, le moniteur (primitivement monitor, c'était un souffleur, celui qui rappelle ou qui avertit, conseille, guide, un instructeur. Le monument matérialise l'absence afin de la rendre signifiante. Le monument message est presque toujours, accompagné d'instructions et placé dans un lieu voyant (carrefour, place). 11 est là pour nous transmettre une mémoire à la postérité.

Le monument se dit de tout ce qui fait souvenir.

C'est ici un « un lieu de souvenir » aussi dont l'existence est liée à la volonté t au devoir de réminiscence, mais également un lieu de mémoire, celui d'un repère matériel ou idéal.

Le monument forme

C’est le monument historique traditionnel (église, château, école, maison historique, (presbytère), commune, palais de justice, ou gare, port (des esclaves), poste centrale(PTT) hôtel de ville, parc etc.)

Placé dans un cadre exceptionnel hors normes, hors échelle, il est visible de loin et affirme ainsi sa valeur esthétique, indépendante de sa fonction. Il est lui-même le message à délivrer.

Le monument trace

Enfin le monument trace est d'abord un document et ne relève pas forcement d'une catégorie architecturale, ce peut être un mur (d'une ancienne prison), une tranchée, un rail (train), une friche industrielle voire une activité ancienne (palmeraie, huilerie ou savonnerie, briqueterie, menuiserie, bref constructions navals).

Le monument trace peut devenir un monument forme c'est le cas de certains bâtiment industriels dont on a découverts les vertus architecturales.

Le monument trace joue sur le passé. C'est un lieu où s'enracine l'identité.

En conclusion

La mission catholique Saint Louis et le village chrétien de Liranga en ces 21, 22 et 23 novembre 2014, qui a retrouvé sa mémoire cosmopolite à travers les festivités marquant le 125ème anniversaire a fait plonger tout ce village dans son histoire.

Pour notre part, à travers cette communication nous avons pu étudier et faire connaitre cette œuvre gigantesque à Liranga qui du fait de son caractère artistique ou archéologique, constitue aujourd'hui un élément du patrimoine national grâce à monseigneur Augouard et ses compagnons. Notre souhait est que ce patrimoine architectural (L'église en premier), véritable joyau d'une telle qualité (avec les vitraux d'origine (datant de 1894), d'une telle beauté), puisse demain être restaurés afin de préserver ces vitraux d'origine et toute l'architecture mais aussi devenir la première carte postale du district et même du département, mieux du village de Liranga.

Nous voulons surtout terminer par le témoignage d'un congolais: l'Abbé

Fulbert Youlou, Dans un article, Mgr Augouard et les œuvres sociales (dans l'Eglise au Congo) Annales spiritaines : 62 année n°6-7 juin - juillet.

« Au Congo français, il est difficile de parler d'oeuvres sociales sans évoquer le nom de Mgr Augouard. Mgr Augouard a vécu avec ce peuple primitif et a souffert avec lui. 11 en avait épousé les aspirations. Il savait en effet qu'il n'est guère possible d'évangéliser sans vivre avec lui. et souffrir avec lui. En réalisant sa mission spirituelle qui est de conduire les hommes à la vérité surnaturelle, il s'est aussi occupé de son peuple dans l'ordre temporel.

Ces esclaves qu'il avait achetés et remis à la liberté, ces orphelins dont il avait assuré l'entretien, tous ceux en faveur de qui il était intervenu auprès de telle et telle autre autorité civile, perpétuent sa mémoire. C'est en témoignage de gratitude envers lui qu'ils transmettent son nom de père en fils (...). Tel père, tel fils. C'est vraiment pour nous montrer dignes d'un tel père, que nous croyons de notre devoir de suivre le chemin qu'il nous a tracé (...). Mon seul but est de montrer, ici combien nous désirons demeurer fidèiêTa Mgr Augouard en continuant son esprit et en perpétuant ses traditions »

Mais enfin, nous ne pouvons terminer cette communication sans relever ce qui suit, (toujours dans les annales spiritaines de la même année) pour montrer la place que va occuper la mission de Liranga durant l'episcopat de Mgr Augouard :nommé en 1890, vicaire apostolique de l'Oubangui, il prend en charge toute la rive droite du fleuve Congo depuis Brazzaville (partant des bords du Djoué ) jusqu’au confluent de l'Oubangui, puis la rive droite de l'Oubangui jusqu'au 10eme degré Nord.

Il y avait alors deux résidences sur ce territoire immense : Brazzaville et Liranga. Un personnel de six(6) pères, deux(2) églises chapelles, 250 chrétiens, 125 enfants dans les 2 missions. C'est bien le petit grain minuscule qui devait grandir et se multiplier malgré les nombreux obstacles venant du dedans comme du dehors ».

 

  

 

Monseigneur Prosper Philippe AUGOUARD

 

 

 

 

 

 

Eglise Saint Louis

 

 

 

 

 

L'ancienne église de Linzolo

 

 

 

 

 

 

 

Statut de la Vierge Marie à la Cathédrale

don d'Anton GRESSHOF en 1887

 

 

 

 

 

 

 

La Place mariale de la Cathédrale du Sacré-Coeur

Au fond en bleu : la statut de la Vierge Marie

don d'Anton GRESSHOF

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Eglise du Séminaire de Mbamou

Copyright © 2006-2020 Centre d'études stratégiques du bassin du Congo   -   Tous droits réservés