Jean-Placide KEZA Économiste Centre d'études stratégiques du bassin du Congo __________________________ L’État en Afrique : illusion ou absence d’État ? Sommaire I. Introduction II. La problématique de l’État en Afrique subsaharienne 1. Définition de l’État 2. Recours à l’économie pour la mesure de l’État III. Les données institutionnelles 1. La captation de la fonction diplomatique 2. La captation des fonctions socio-économiques 3. La captation des fonctions d’innovation institutionnelle 4. La captation de la production médiatique IV. Données historiques et sociologiques 1. L’absence des sociétés civiles en Afrique 2. La trahison des élites 3. Les peuples africains V. Conclusion VI. Bibliographie * * * * * * * * * I. Introduction L’État en tant que forme structurante de la société internationale héritée de la Société des Nations (SDN) est un legs du colonisateur. Tout laisse à croire que cette structure étatique n’a pas résisté aux épreuves de l’indépendance. Pour connaître la véritable nature de « l’État africain », il est nécessaire de faire appel aux critères juridiques, politiques et socio-économiques retenus comme universels et de faire référence aux données institutionnelles et sociologiques. II. La problématique de l’État en Afrique subsaharienne Il est difficile de parler d’État en Afrique, dans la mesure où ce concept est une notion importée. D’ailleurs l’idée même d’État fait l’objet de nombreuses controverses. S’il est parfaitement admis que dans les sociétés non sédentarisées, comme celles des Pygmées ou des Bochimans, la notion d’État est restée inconnue, l’Afrique précoloniale en revanche connaît des structures organisées qui peuvent être qualifiées d’États selon la définition habituellement retenue de l’État en Europe. Selon le professeur Codjo Huenu : « Si l’on considère l’État comme « un peuple politiquement organisé ou une institution sociale destinée à maintenir à l’intérieur et à l’extérieur l’organisation politique d’un peuple et munie des moyens nécessaires à cette fonction », il est difficile d’affirmer sans parti pris qu’il n’y avait pas d’État en Afrique avant la période coloniale. Celle-ci comptait en effet de nombreux États, certes souvent peu comparables aux États européens, ces derniers étant eux-mêmes le résultat de lents processus de formation et de maturation et se trouvant en outre souvent peu comparables »[ii]. C’est ainsi que, pour la seule Afrique précoloniale, l’observation des différents royaumes, notamment les royaumes Kongo et Téké, révèle l’existence depuis les années 1500 de structures d’organisation politique comparables à celles d’aujourd’hui. En effet, dans chaque royaume, le roi doit composer un « conseil d’État » de dix ou douze fonctionnaires ayant rang de ministres pour diriger le royaume[iii]. Ce qui vaut pour l’Afrique Centrale vaut également pour le reste de l’Afrique Noire précoloniale, avec entre autres les empires du Mali, du Ghana, le royaume très organisé du Bénin, celui d’Abomey célèbre pour son organisation politique, économique et militaire, etc.… Et si certains de ces royaumes avaient des structures de « Cités-États » à la manière des Cités grecques, plusieurs d’entre eux recouvraient de larges régions regroupant diverses populations sous une autorité unifiée. Sans la colonisation et ses conséquences, le processus d’organisation amorcé dans les sociétés africaines aurait peut-être permis aux États les plus forts de s’imposer et de favoriser par leur influence politique et économique l’instauration de structures plus importantes. Il n’est nullement indispensable que ces États fussent en tous points comparables aux États européens pour mériter d’être considérés comme tels. Toutefois, la difficulté de définir l’État africain traverse les époques. Ni le classement au lendemain des indépendances des pays africains en deux groupes, ceux relevant du groupe de Casablanca et ceux du groupe de Monrovia, ni la distinction entre États modérés d’une part et États progressistes d’autre part, en tenant compte du discours et de l’idéologie officiels de chaque pays, ne permettent de repérer indubitablement le contour théorique, idéologique, structurel et économique de l’État africain[iv]. De plus, après l’effondrement du bloc communiste qui a laissé le champ libre au modèle capitaliste ou libéral, définir l’État africain semble particulièrement complexe, car il faudrait au préalable savoir ce qu’est un État ! Or, force est de constater que la difficulté pour définir l’État africain résulte de ce qu’il n’y a pas véritablement de définition de l’État. 1. Définition de l’État L’État est une notion difficile à cerner. Cela s’explique par le fait qu’elle n’appartient pas au monde des phénomènes concrets : l’État est une idée. De manière générale il est reconnu que l’État est une entité de droit, une personne morale de droit public. Cependant, le plus grand désordre règne dans l’approche des conditions d’existence de l’État. Dans l’acception la plus souvent admise, l’État correspond à un territoire délimité géographiquement et sur lequel vit une population politiquement organisée[v]. Ainsi l’État, selon carré de Malberg, est une « communauté d’hommes, fixée sur un territoire propre et possédant une organisation d’où résulte pour le groupe envisagé dans les rapports avec ses membres, une puissance suprême d’action, de commandement et de coercition »[vi]. Il en résulte que l’État est appréhendé à travers une population qui vit sur un territoire et qui est soumise à un pouvoir politique. Pourtant l’ensemble de ces conditions généralement retenues n’échappe pas à quelques critiques. En premier lieu, cette définition de l’État met en exergue trois conditions nécessaires à l’existence de l’État dont aucune n’est suffisante. Il s’agit d’une approche purement qualitative de l’État, en ce sens que l’importance du territoire et celle de la population ne sont pas prises en compte. Par exemple, il n’y a pas de commune mesure entre la Russie, le plus grand État du monde (17.095.000 km2) et les Fidji, l’un des plus petits États du monde (18.000 km2). Cela revient à dire que cette conception de l’État a pour effet de considérer la Russie comme l’égale des Fidji au nom du principe de l’égalité des États (article 2 de la Charte des Nations Unies). En second lieu, ces conditions dites nécessaires à l’existence de l’État s’appliquent à n’importe quelle collectivité territoriale décentralisée ou fédérale car la souveraineté, « le pouvoir qui s’impose à tous sans compensation dans l’ordre interne », n’a pas de sens au regard des relations internationales et de l’interdépendance des États. Encore moins eu égard aux relations États développés et États en développement[vii]. La souveraineté n’a pas de sens précis. Il ne sert à rien d’affirmer que l’État souverain peut s’autolimiter par sa propre souveraineté. En effet la théorie de l’autolimitation de Laband est une théorie de l’auto-contradiction car si l’État souverain peut décider de donner des limites à sa souveraineté, il cesse du même coup d’être souverain et de disposer d’un pouvoir illimité[viii]. En troisième lieu, en l’absence d’une véritable définition de l’État toute collectivité territoriale qui accède à l’indépendance n’a pas d’autre statut possible que celui d’État, quelle que soit l’importance de la population et du territoire. Si la Corse devenait indépendante, elle serait un État, car l’approche traditionnelle de l’État est exclusivement qualitative. En quatrième et dernier lieu, il faut surtout observer que les trois conditions présentées comme nécessaires à l’existence de l’État n’en font logiquement que deux : le territoire et la population politiquement organisée. En effet, les pouvoirs publics ou l’autorité politique ne peuvent pas être dissociés de la population, sinon le pouvoir politique pourrait être étranger à la population, comme dans le cas des territoires non autonomes (Chapitre 11 de l’article 73 de la Charte des Nations Unies, appelée par certains « charte coloniale », car elle légitimait la colonisation de 1945 à 1960)[ix]. Dans ces conditions, il ne pourrait s’agir d’un État mais d’une collectivité non autonome ou sous tutelle. C’est pour cette raison que la décolonisation (résolution 1514 des Nations Unies), avec la substitution à l’autorité coloniale d’une autorité locale librement choisie, a débouché en particulier sur les indépendances et la naissance des États africains (ce qui constitue une révision de fait de la charte, art. 73, dont on a bien peu souvent parlé)[x]. Il en découle qu’une population qui s’administre elle-même est un État parce qu’il n’y a pas d’autre solution. Ce qui explique la multiplication des États : de 51 en 1945, leur nombre est passé aujourd’hui à 193 (membres de l’ONU), le club des États sous-développés n’ayant cessé de s’élargir, au point d’acquérir la majorité des 2/3 au sein de l’Assemblée Générale. En définitive, la notion d’État est une notion ambiguë et confuse malgré l’importance des compétences et des fonctions reconnues à l’État. C’est pourquoi le pari de Bastiat tient toujours : « Je voudrais qu’on fondât un prix, non de cinq cents francs, mais d’un million, avec couronnes, croix et rubans, en faveur de celui qui donnerait une bonne, simple et intelligente définition de ce mot : l’État. Quel immense service ne rendrait-il pas à la société ! L’État ! Qu’est-ce ? Où est-il ? Que fait-il ? Que devrait-il faire ? Tout ce que nous en savons, c’est que c’est un personnage mystérieux, et assurément le plus sollicité, le plus tourmenté, le plus affairé, le plus conseillé, le plus accusé, le plus invoqué et le plus provoqué qu’il y ait au monde […] »[xi]. L’État est, en fait, une fiction et toute la société internationale repose sur cette fiction. Il apparaît clairement que le droit public ne suffit pas à lui seul à permettre d’appréhender le phénomène de l’État dans sa totalité, d’où la nécessité de faire appel à d’autres disciplines comme l’économie. L’économie définit l’État à partir de ses fonctions et de son degré d’intervention dans le domaine économique. De ce fait l’intervention économique de l’État et l’étendue des libertés économiques ne se comprennent que par un examen attentif des institutions et de leur impact sur le développement et la croissance économique. 2. Recours à l’économie pour la mesure de l’État L’étude de l’État n’est plus le seul apanage des juristes : en tant qu’acteur à part entière de la vie économique, il intéresse la théorie économique. D’autant que depuis quelques années, la qualité des institutions est devenue un critère d’évaluation qui permet d’apprécier les performances et les effets d’un système économique sur le développement et la croissance. L’analyse économique interpelle l’État à partir des indicateurs de liberté et, en la matière, l’indicateur de liberté le plus utilisé a été proposé par Raymond Gastil[xii] qui réalise, à partir d’un échantillon de pays, un classement selon deux critères : les droits politiques et les libertés civiles. Les droits politiques représentent principalement la possibilité de choisir les gouvernants, tandis que les libertés civiles recouvrent les libertés d’expression. Pour chaque indice, la notation va de 1 pour l’État le plus libre à 7 pour le moins libre. Pour les droits politiques, le rang 1 concerne les pays pour lesquels existe une véritable compétition électorale, avec un droit qui est le résultat d’un processus démocratique. Les pays pour lesquels il existe des restrictions relativement à la participation électorale mais qui, pour autant, disposent d’un système de décisions démocratique, obtiennent l’indice 2. En dessous de ce niveau, entre 3 et 5, se trouvent des États dont les systèmes démocratiques sont peu développés, avec cependant une grande marge de liberté des élus. L’indice 6 représente les États où il n’existe pas un déroulement normal du processus électoral : il y a bien des élections, mais elles sont truquées ou elles portent seulement sur des partis autorisés. L’indice 7 est utilisé pour les États dans lesquels il n’y a pas d’élections, le pouvoir étant confisqué par un despote. Pour les libertés civiles, le rang 1 caractérise les pays à liberté d’expression totale. Il n’y a pas de censure de la presse d’opposition. Cet indice a une signification étendue puisqu’il inclut non seulement l’indépendance des médias et du judiciaire, mais également la liberté de création de nouvelles formations politiques, de groupes de pression, de syndicats, et la reconnaissance de la propriété privée. La classification de 2 à 7 représente des atteintes croissantes à ces principes généraux. Un État caractérisé par un gouvernement qui utilise les sources d’information à des fins de propagande et où le droit de réunion n’existe pas occupe le rang 6. L’indice 7 représente les pays en état de guerre civile, avec loi martiale et toutes les restrictions aux libertés qui en découlent. La mesure des libertés, surtout civiques, permet donc d’opérer une distinction entre État démocratique et État non démocratique. En s’appuyant sur la durée (ancienneté) de la démocratie et sur la variable « transferts publics en pourcentage du PNB » Pierre Coulanges a pu, pour 79 États, interpréter l’influence des facteurs institutionnels sur l’économie[xiii]. Comme le souligne Pierre Coulanges[xiv] la part des transferts dans le produit national brut augmente avec l’ancienneté de la démocratie, puis décroît à partir d’une ancienneté approximativement égale à 100… Ce résultat suscite, entre autres, la remarque suivante : les États les moins démocratiques sont aussi les moins développés et également les plus inégalitaires. Pour la variable démocratie, 1 représente un État démocratique ; à l’inverse, 0 symbolise un État moins démocratique, sinon un État non démocratique. Ce rapprochement entre le droit et l’économie suggère qu’une gouvernance démocratique induirait un cercle vertueux du développement : les libertés politiques et civiles donnent aux individus les moyens de faire pression pour que soit adoptée une politique à même d’élargir leurs opportunités sociales et économiques. L’influence de la qualité des institutions et de leur caractère plus ou moins démocratique sur les résultats et performances économiques est confirmée par un grand nombre d’études économiques de ces dernières années. Ainsi une étude du F.M.I. montre que les institutions agissent par leur qualité sur le revenu et la croissance. Selon l’étude en question, les institutions et leur qualité ont un effet statistiquement significatif sur les résultats économiques : elles croissent substantiellement avec le niveau du P.I.B. par habitant, et peu importe que cette qualité des institutions soit mesurée à l’aide d’indicateurs globaux ou plus spécifiques[xv]. L’étude montre également que les institutions exercent un effet robuste et significatif sur la croissance du Pib par habitant, qui s’explique en partie par le fait qu’elles renforcent la crédibilité et la viabilité de l’action des pouvoirs publics. Les résultats de l’étude indiquent aussi que la qualité des institutions a un effet prononcé sur l’instabilité de la croissance (mesurée par l’écart type du taux de croissance du Pib par habitant) : plus la qualité des institutions est élevée, moins la croissance est instable. Cependant, pour jouer un rôle dans le développement économique, les institutions doivent exercer des fonctions précises. Dani Rodrik et Arvind Subramanian en distinguent quatre : - Les fonctions créatrices de marchés, qui protègent les droits de propriété et qui garantissent l’exécution des contrats ; - Les fonctions de réglementation des marchés, qui s’occupent des effets externes, des économies d’échelle et des informations imparfaites ; - les fonctions de stabilisation des marchés, qui garantissent une inflation faible, réduisent au minimum l’instabilité macroéconomique et évitent les crises financières ; - les fonctions de légitimation des marchés, qui fournissent une protection et une assurance sociales, organisent la redistribution et gèrent les conflits. Forte de ces connaissances, l’étude de Rodrik sur plusieurs États d’Afrique subsaharienne montre que leur situation économique désastreuse est due au fait que l’État n’exerce pas ces fonctions. Qu’en est-il en définitive de l’État africain ? III. Les données institutionnelles L’ambiguïté de la souveraineté prétendue de l’État, même comprise comme un attribut plutôt que comme un droit supposant l’existence d’un ordre juridique antérieur et supérieur à l’État, ne manque pas d’apparaître lorsqu’il s’agit d’États bénéficiaires de l’aide, notamment lorsqu’il s’agit de l’État africain. L’observation des relations internationales révèle qu’aucun État africain, comme beaucoup d’autres, ne peut se dire totalement souverain. En effet, la souveraineté de l’État africain est limitée au moins dans quatre domaines : la fonction diplomatique, la coordination des fonctions socio-économiques, l’organisation de l’espace public, et enfin la production médiatique. 1. La captation de la fonction diplomatique Elle est de loin la plus importante, car elle constitue la preuve de l’appartenance à la société des États. Cette captation découle d’une part d’un déséquilibre de puissance entre État dominant et État dominé et, d’autre part, elle aboutit dans le contexte africain à une aggravation progressive du démantèlement de la souveraineté de l’État. Une « souveraineté de façade » est certes en général ménagée, mais la fonction diplomatique, marque juridique fondamentale de la souveraineté de l’État, est mise à mal par une banale logique de clientèle : « l’État dominant s’érige en État patron, en s’imposant comme prestataire d’une ressource rare qui lui permet d’obtenir en contrepartie la participation ou le soutien de l’État dominé à son entreprise diplomatique, notamment au sein des institutions internationales ou dans le cadre de conflits militaires régionaux »[xvi]. Par exemple, c’est ce qui explique que les pays d’Afrique francophone aient aliéné leur souveraineté en votant, aux côtés de la France, le refus des résolutions présentées devant l’assemblée générale des Nations Unies (1986 et 1987) condamnant la politique française en Nouvelle-Calédonie. La plupart des États africains sont aussi souverains que l’étaient les démocraties populaires à l’égard de l’URSS. La dépendance est en vérité la négation de la souveraineté revendiquée. 2. La captation des fonctions socio-économiques C’est à travers celles-ci que la plupart des États africains sont amenés à aménager leur environnement socio-économique conformément aux vœux des États dominants, c’est-à-dire l’application des règles de l’économie du marché. Pour le cas de l’aide au développement par exemple les institutions internationales imposent aux Africains, en échange de l’aide, des programmes d’ajustements structurels fortement teintés d’orientation néoclassique. Il faut signaler, dans ce domaine, le rôle prépondérant, parfois nocif, des multinationales et des réseaux internationaux. Les groupes multinationaux, par l’intermédiaire des flux transnationaux, disposent de ressources de puissance qui leur permettent, en contournant leurs États, d’imposer leur volonté aux États africains, bafouant ainsi leur souveraineté. De même nature, mais moins visible, la Franc-maçonnerie possède des moyens permettant d’influencer moralement ou politiquement un État. Sans nier ses mérites dans la réalisation des idéaux, des progrès sociaux et dans l’accomplissement philosophique dans toute société humaine, la Franc-maçonnerie, dans son aspect réseau, est une véritable « gangrène » en Afrique Noire. En effet, elle a infiltré l’élite dirigeante et cultive avec le pouvoir des liens étroits : la plupart des chefs d’État sont des « initiés » et tissent des liens avec les dirigeants économiques dans le seul but de mettre en place un système d’échanges pour servir des intérêts, au détriment des valeurs morales. Selon Pierre Péan : Pour travailler en Afrique, la GLNF est effectivement une bonne porte d’entrée : « En Afrique plus qu’ailleurs, écrit l’Express en 2008, la saga des "Frères trois points" s’est trouvé un terreau fertile, tant ses codes et usages font écho à la magie des rites initiatiques, ou du bois sacré, et à la force ancestrale du clan. Le désir d’accéder à ce sanctuaire laïc de l’élite blanche, puis le souci d’instaurer avec l’ex-métropole coloniale des canons inconnus des profanes, discrets vecteurs d’influence, ont fait le reste. Au-delà des fables, un fait : sur le continent une douzaine de chefs d’État de l’espace francophone ont « reçu la lumière ». La plupart des chefs d’État africains et de très nombreux décideurs en Afrique, qu’ils soient africains ou français, en font partie, mais aussi nombre de grands flics, de journalistes, de militaires et de businessmen »[xvii]. 3. La captation des fonctions d’innovation institutionnelle Elle réside dans le fait que chaque État africain a copié la configuration politique de L’État colonisateur. La plupart des constitutions des États africains présentent des similitudes avec celles des anciennes métropoles, car elles ont été le plus souvent élaborées par des spécialistes étrangers à l’Afrique. Ceci est d’autant plus préjudiciable que ces « constitutionnalistes » européens ont des structures mentales inadaptées aux sociétés africaines. La non prise en compte des spécificités culturelles africaines est en grande partie responsable de l’échec des institutions parlementaires. Même si, sur le plan des principes, ces constitutions font référence à l’unité nationale et condamnent toute discrimination d’ordre ethnique régional religieux, sur le plan des pratiques, elles sont très proches de leur modèle. La Constitution Française de 1958, par exemple, a inspiré largement celles des États africains francophones dans lesquels la conception gaulliste du pouvoir a conduit à l’élimination « des veaux et des godillots »[xviii] et au présidentialisme à vie. 4. La captation de la production médiatique L’importance des médias dans le développement d’une société n’est plus à démontrer. Les informations diffusées par les médias peuvent influer sur les idées et les comportements, créant ainsi un mouvement favorable au changement et à la réforme. La presse, la radio, la télévision et les nouveaux médias comme l’Internet contribuent à stimuler la concurrence dans les sphères économiques et politiques. Pour obtenir ces résultats, les médias doivent être indépendants et de grande qualité. Or, l’État africain voit sa souveraineté s’effriter même à l’intérieur de son propre territoire, à cause du grand déséquilibre dans la possession des moyens financiers et technologiques qui existe entre lui et les grandes puissances. Le modèle culturel occidental s’impose par exemple aux Africains par le biais de quatre agences qui ont le monopole de la circulation de l’information. Il s’agit d’Associated Press et United Press International (États-Unis), de Reuters (Grande-Bretagne) et de l’Agence Française de Presse. Selon Geoffrey Geuens : « Structurellement, intégrées aux dispositifs de maintien de l’ordre politique, idéologique et symbolique du capitalisme, ces agences de presse demeurent, aujourd’hui, l’un des principaux relais des intérêts des multinationales et le cœur même du complexe médiatico-industriel. Haut-parleur de la haute finance, « lubrifiant du capital », selon l’expression désormais célèbre de Marx, l’information est plus que jamais sous contrôle du pouvoir économique.[xix] En dehors des relations internationales, la souveraineté de l’État africain est aussi bafouée sur le plan interne. Au regard du droit interne, la souveraineté suggère implicitement le principe de continuité de l’État. Or il n’est pas de changement de gouvernement, voire de régime en Afrique, qui n’entraîne dans la plupart des cas une rupture dans les engagements pris par l’ancien ordre. Au-delà de la souveraineté, l’examen du système institutionnel laisse perplexe. La plupart des constitutions africaines ont retenu le principe de la séparation des pouvoirs : pouvoir législatif, pouvoir exécutif et pouvoir judiciaire. Seulement la pratique des institutions est très éloignée de la théorie. Le caractère présidentialiste de la plupart des régimes politiques africains s’oppose à tout équilibre entre les trois pouvoirs. Le président tient de la constitution (quand elle existe ou quand elle est appliquée) le monopole du pouvoir réglementaire. De plus, il a le pouvoir de « légiférer » par voie d’ordonnance entre les sessions parlementaires. Une telle pratique va totalement à l’encontre du régime présidentiel, fondé lui aussi sur le principe de la séparation des pouvoirs. Il faut ajouter qu’en Afrique, le juge n’est pas indépendant, le chef de l’État, guide suprême de la Nation, appuyé souvent sur un parti unique dévoué à sa volonté, étant toujours en mesure d’éliminer sans rencontrer d’obstacle toute opposition susceptible de nuire à la cohésion nationale ou au développement du pays comme l’a bien noté J.P. Masseron[xx]. D’une manière générale en Afrique subsaharienne, la règle paraît être l’État de non-droit, et l’État du droit d’exception. IV. Données historiques et sociologiques L’État est toujours appréhendé à travers une histoire commune, un sentiment commun d’appartenir à une même communauté nationale : l’État-Nation. Or en Afrique, la réalité est tout autre. Le découpage territorial actuel des États africains est totalement artificiel, ce qui constitue largement, d’ailleurs, un legs de la colonisation : les Haoussa ont été éparpillés entre le Cameroun, le Tchad, le Nigeria et le Niger ; les Fangs entre le Gabon, le Congo, le Cameroun et la Guinée Équatoriale ; les Kongos entre le Congo, l’Angola, la République Démocratique du Congo. S’il fallait corriger les frontières en fonction des territoires ethniques, certains États africains disparaîtraient purement et simplement. Si le principe d’intangibilité des frontières issues de la colonisation (article 3, alinéa 3 de la Charte de l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA) d’Addis-Abeba remontant à 1963) empêche cela, il faut dire que le principe de la souveraineté de l’État-Nation cher aux révolutionnaires de 1789 et 1849 a disparu pour faire place en Afrique à celui de la souveraineté de l’ethnie. Cette souveraineté ethnique est dominante parce qu’elle est utilisée à des fins sociales et politiques par le pouvoir et la bureaucratie. Ce qui fait dire : « Le tribalisme et le racisme sont un fait et un état d’esprit. Comme faits, ils signifient que les États africains ne sont pas en général des États-Nations dans lesquels la coïncidence serait réalisée entre l’État et la Nation. Tout au plus peut-on dire que, dans la majorité des cas, le processus de formation des nations a été amorcé pendant la période coloniale »[xxi]. Un autre trait de caractère universaliste de l’État classique est l’existence des sociétés civiles, qui font cruellement défaut en Afrique. 1. L’absence des sociétés civiles en Afrique Dieu étant mort et le sacré déchu, pour ne pas vivre dans un monde uniquement profane, les sociétés civiles se dotent de nouveaux cultes : l’argent, le travail et l’organisation, qui jouent un rôle de régulation. En reprenant Bertrand Badie, le concept de société civile repose sur trois principes discriminants : la différenciation des espaces sociaux privés par rapport à l’espace politique ; l’individualisation des rapports sociaux, qui confère aussi à l’allégeance citoyenne une valeur prioritaire ; l’horizontalité des rapports à l’intérieur de la société, qui fait préférer la logique associative à la structuration communautaire et qui, à ce titre, marginalise les identifications particularistes au profit de l’identification stato-nationale[xxii]. Il en résulte qu’avec la société civile, le phénomène du communautarisme n’est plus que résiduel et se trouve appelé à disparaître. Or cette évolution ne cadre pas avec la réalité africaine, car le tribalisme d’une part empêche la construction d’une société civile capable de transcender les particularismes et, d’autre part, bloque le processus d’avènement d’une société moderne universelle reproduisant partout les mêmes caractéristiques. La persistance du tribalisme, du clanisme, voire du régionalisme, entravant la formation de la société civile en Afrique, entraîne l’apparition d’une société duale composée d’un côté de l’ensemble des associations, et de l’autre d’un ordre communautaire non résiduel qui fait partie intégrante de l’histoire africaine. Cependant, il faut signaler l’apparition depuis quelque temps, l’émergence en Afrique, des mouvements de la société civile qui commencent à peser sur la qualité de la gouvernance et la stabilité politique allant jusqu’à jouer un rôle déterminant dans l’alternance du pouvoir. Au Burkina Faso, l’association Le Balai citoyen composée de musiciens, de magistrats, de journalistes et d’étudiants dans un sursaut démocratique et pacifique majeur a conduit au soulèvement du peuple responsable de la chute du régime de Blaise Compaoré en 2014. De même, en septembre 2015, lors du coup d’État orchestré par le régiment présidentiel, cette association a fait pression sur l’armée pour l’obliger à restituer le pouvoir aux civils. En 2011 et 2012, le mouvement sénégalais Y en a marre s’était illustré pour avoir milité pour l’amélioration des services publics du pays. D’autres mouvements, qui veulent promouvoir le principe de l’alternance démocratique, existent mais ils sont tellement fragiles et peu crédibles qu’ils ont de la peine à se faire entendre. Dans la société civile deux acteurs méritent une attention : les élites et les peuples. Les premiers trahissent et les seconds sont malléables. 2. La trahison des élites Passés la période coloniale et le début des indépendances qui a vu une génération d’élites africaines mener un véritable combat pour l’égalité des droits avec les blancs, les élites d’aujourd’hui ont presque baissé les bras à l’exception de quelque uns. Elles ont comme préoccupation première, celle d’imiter les blancs en tous points et d’afficher les signes extérieurs d’européanité. Le responsable est l’aliénation ou plus exactement l’hégémonie aliénante d’une civilisation - celle de l’Occident sur les autres. Ce qui n’est pas sans conséquences, car le résultat n’est pas l’assimilation, sauf d’une infime minorité. Pour la majorité, c’est la dislocation, l’écrasement et la dépersonnalisation. Les sociétés africaines se retrouvent sans repères. L’élite africaine qui a été plus ou moins admise dans la mouvance de la civilisation européenne est en général tellement subjuguée par l’extraordinaire supériorité organisationnelle et technique des européens et leurs remarquables qualités intellectuelles, qu’elles ne voient le salut de leurs propres peuples que dans la généralisation rapide de cette assimilation dont elles ont été les premiers bénéficiaires. À cela, il faut ajouter la bêtise et l’égoïsme dont elles font preuve car trop corrompues et incapables. D’ailleurs, gouvernementales ou citoyennes, ces élites ont scié la branche sur laquelle elles sont assises en dilapidant inconsidérément les revenus de leurs pays en se remplissant les poches mais aussi en finançant les dépenses somptuaires et improductives et même en se trompant de modèle de développement. Comme le dit, Ahmed Baba Miske : « Ces élites ne voient pas, ou pas assez, que l’assimilation qu’elles appellent modernisation, développement, n’est pas à la portée de leurs peuples ; en tout cas pas avant que ceux-ci n’aient surmonté le traumatisme qui les inhibe, retrouvé leur souveraineté sur leur espace intérieur - celui des valeurs morales et spirituelles, de la confiance et de la dignité du moi collectif, de son identité - quelques décennies »[xxiii]. Pourquoi, les cadres, les intellectuels, considérés comme la lumière dans tous les pays, ceux qui éclairent le pays, qui montrent le chemin, se comportent aujourd’hui dans les pays africains comme des aveugles ? Problème culturel essentiel s’il en est parce que l’intelligentsia est capable d’aider une société à prendre conscience d’elle-même et à prendre en charge sa propre modernisation. Dans la plupart des sociétés africaines, l’intelligentsia n’est pas encore parvenue à se constituer. Les conditions de la formation des élites ne sont pas seulement tributaires des capacités d’absorption dans le système productif et administratif, elles renvoient aussi la distance culturelle introduite par l’aliénation qui procède d’abord de l’accès privilégié aux biens et aux services de l’économie moderne mais qui participe encore plus de caractère extraverti des systèmes d’éducation. L’élite intellectuelle n’a pas construit de modèle alternatif au modèle Occidental. En un sen l’aliénation culturelle des élites est un aspect de la crise des valeurs de la société, tout comme les problèmes de l’identité collective sont aggravés par l’aliénation des élites et l’absence d’une intelligentsia. Pire encore l’élite du continent africain au lieu d’encadrer le peuple l’a trahi. Elle soutient le pouvoir puisque le pouvoir leur est profitable plus qu’à d’autres dans la mesure où elle lui sert de caution. C’est pourquoi, elle s’amasse autour du Président de la République pour avoir leur part de butin. Pour se donner bonne conscience, certains parmi l’élite évoquent l’amitié pour expliquer cette proximité. L’argument ne tient pas car : « L’amitié, c’est un nom sacré, c’est une chose sainte, elle ne naît jamais qu’entre gens de bien, et ne vient qu’avec une mutuelle estime ; elle ne s’entretient non pas tant par des bienfaits que par une vie vertueuse. Ce qui rend un ami assuré de l’autre, c’est la connaissance qu’il a de son intégrité ; les cautions qu’il en a, ce sont son caractère bon, la foi et la constance. Il ne peut y avoir d’amitié là où se trouve la cruauté, là où se trouve la déloyauté, là où se trouve l’injustice ; de sorte qu’entre méchants, quand ils s’assemblent, c’est un complot, non pas une compagnie. Ils ne s’entr’aiment pas, mais ils s’entre craignent, ils ne sont pas amis, mais ils sont complices »[xxiv]. Cette élite africaine n’a jamais pris la peine de se rapprocher du peuple afin de lui demander son avis sur le processus du développement. Jamais une réflexion n’a été menée sur le bien-fondé de l’évolution en cours. Au contraire, aliénée par la culture Occidentale, elle s’est contentée avec dévouement d’accélérer le cours comme moyen de sortir du sous-développement. Ainsi les États africains sont devenus aujourd’hui les lieux de production, par l’élite au pouvoir et par une classe d’intellectuels dégénérés, d’une sous culture se muant peu à peu en idéologie antinationale, antipopulaire et anti-progressiste. Dès lors, l’intellectuel africain est condamné à ne plus rien prouver. Reste que les peuples africains ne sont pas exempts de reproches, ils ont aussi leur part de responsabilité. 3. Les peuples africains Un peuple n’a pour gouvernants que ceux qu’il mérite. Les peuples africains, conglomérats d’une multitude d’ethnies, sont médiocres du fait de l’absence d’une intelligence collective. Pris dans l’engrenage du tribalisme, ils deviennent des moutons de panurge malléables à volonté et parfois le prolongement de la main du pouvoir dans l’exécution de basses œuvres afin de dompter ceux qui sont réfractaires à la dictature imposée. (Cas du Rwanda en 1994, les Hutus proches du pouvoir ont massacré les Tutsis considérés comme des opposants au régime). Le tribalisme reste une épine sous les pieds des africains. Hormis quelques rares exceptions, dans la plupart des pays, l’ethnocentrisme ne cesse de prendre le dessus sur le patriotisme. Le Président de la République dirige le pays avec son clan et son ethnie qui constituent l’essentiel de la garde présidentielle. L’ethnie se sent obligée de défendre coûte que coûte le fils du village ou de la région devenu Président même devant l’indéfendable. Et, le pouvoir le leur rend bien puisqu’ils font l’objet d’une attention particulière de sa part (nominations dans l’appareil d’État, distribution de prébendes etc.). Pour le reste de la population, en dehors de la force militaire, le pouvoir use de plusieurs stratégies pour l’affaiblir. Parmi elles, l’utilisation des passe-temps ludiques. C’est ainsi que l’africain passe plus de temps à danser et à se vautrer dans la débauche qu’à travailler (les africains peuvent dansent et boire jusqu’au matin sept jours sur sept) par manque de réglementation dans la plupart des cas mais aussi par manque de conscience professionnelle à tous les niveaux de la pyramide administrative. Ce temps de loisirs avec les autres temps (de travail, des services, des funérailles, de mariages etc.) constituent l’horloge socio-économique qui, rythme l’ensemble des activités socio-économiques d’une communauté nationale. Il est évident que sa mauvaise gestion nuit considérablement à la productivité. Dans la plupart des analyses, la nation est supposée précéder l’État ce qui confère d’ailleurs à la Nation et à elle seule, un statut d’exogénéité qui est plus souvent contesté à l’État. L’État émanerait donc de la Nation comme le confirme l’analyse de Renan où la nation est fondée sur l’histoire. Derrière la théorie de Renan se cache celle de Barres, mais derrière celle de Barres, sommeille celle de Renan : la Nation n’est en définitive qu’un vouloir vivre ensemble construit sur des mœurs et des coutumes partagées, largement héritées. Peu importe que l’État précède la Nation ou vice versa, État et Nation sont interdépendants. L’État est l’instrument de la Nation ; la Nation une construction de l’État. Une Nation ne peut exister sans qu’un État lui confère son administration et l’aide à obtenir sa reconnaissance internationale, un État ne peut pas forger une Nation qui ne lui préexiste pas d’une manière ou d’une autre. Seulement, il n’y a pas de Nation sans peuple unifié or, le tribalisme provoque l’éclatement du peuple et par la même occasion sa désunion et ce faisant empêche la formation d’État-Nations en Afrique. La Nation africaine n’a jamais vu le jour. De toutes les façons, les peuples d’Afrique, anciens peuples coloniaux ignoraient l’existence de l’idée de nation et n’ont jamais eu conscience de leur identité nationale avant que les puissances colonisatrices la leur inculque. Enfin, pour être complet dans l’appréciation du concept d’État, il est utile d’avoir recours aux indices de libertés. La lecture du tableau sur les indicateurs de liberté du Rapport mondial sur le développement humain 2002[xxv] et de sa légende débouche sur un verdict impitoyable : pour tous les supposés « États » africains, aucun ne peut être qualifié de démocratique ou de libre. V. Conclusion Finalement, à partir des conditions d’existence de l’État et de leur exploration dans le cas des États africains, l’observation empirique montre que l’État africain est différent de l’idée de l’État héritée du colonisateur. Le territoire est artificiel, la population est constituée par les habitants de communautés ethniques juxtaposées, et le pouvoir est exercé par des individus représentant un clan ou une ethnie. D’ailleurs, la plupart des chercheurs intéressés par le sujet ne s’y sont pas trompés, s’agissant de qualifier l’État africain. Pour Jean-François Bayart, l’État africain est un État « rhizome » dont les traits fondamentaux sont l’existence : - des stratégies d’extraversion des groupes dominants et de leurs acteurs, qui mobilisent le rapport à leur environnement pour fonder leur pouvoir. - du réseau du pouvoir auquel l’État donne sa surface et non sa profondeur ; ce réseau, dans sa coupe verticale, est constitué des multiples lignes du pouvoir, dont l’assise première reste la parenté et ses lignages. - enfin, des pratiques de chevauchement qui rendent dérisoire l’opposition entre capital public et capital privé[xxvi]. Dominique Darbon, quant à lui, pour rendre compte des spécificités de l’État africain, utilise les concepts de : « État prédateur », « État rentier » et « État prébendier »[xxvii]. Pour André Gunder Frank, l’État périphérique, l’État africain par exemple, est un État « fantoche », qui entretient l’illusion juridique et politique d’une indépendance que le contexte économique rend de toute manière impossible[xxviii]. Toutes ces définitions, qui prétendent rendre compte de la nature de l’État africain, souffrent d’une grande faiblesse : celle d’être entachée d’un excès d’optimisme, voire de courtoisie. En effet, derrière les différents qualificatifs, l’idée sous-jacente de l’État demeure, alors qu’à la lumière des faits et idées relatifs aux caractéristiques de l’État, il est permis de dire sans ambages et sans se voiler la face, que l’État en Afrique n’est pas encore une institution. En Afrique l’État n’existe pas, ou tout au plus s’agit-il d’un embryon d’État, où le pouvoir, aux mains d’un homme ou d’un groupe, est tout-puissant, sans contrôle et sans limitation. L’État africain n’est que le résultat du langage diplomatique et conventionnel. Alors que l’État moderne se caractérise par la mise en place d’une administration où la compétence et le sens du service public sont en principe la norme, dans le cas de l’Afrique le sens de la chose publique est inexistant, l’administration est en déliquescence, le service public évanescent, la justice parodiée et le droit protecteur du citoyen inexistant. Le pouvoir personnel du Président est la clé de voûte du système. Tout part de lui et revient à lui. Le Président africain est omniscient et omnipotent, il se prend pour un dieu. Dans ces conditions, sa seule stratégie consiste à s’approprier l’espace public et, à partir de celui-ci, les principales ressources que compte le pays. La crainte de voir aussi se constituer une élite rivale le conduit à déployer tout un ensemble de parades, entre autres à s’ériger en intermédiaire obligé dans la négociation et le « drainage » de l’aide au développement, et surtout à orienter cette aide prioritairement vers le financement des dépenses publiques et l’alimentation de ses propres réseaux « clientélaires » sans contrôle et sans limitation : c’est le règne du non-droit. Dans ces conditions, les fonctions de l’État, qui devraient être exercées par les organes qualifiés et assumées selon des choix politiques préalables, sont caduques et inefficaces. Cette situation explique l’absence d’une gestion macroéconomique solide et de politiques structurelles saines nécessaires aux fondamentaux de l’économie africaine, sans laquelle il ne peut pas y avoir de développement. VI. BIBLIOGRAPHIE AMIN, Samir, (1989), La faillite du développement en Afrique et dans le Tiers-Monde. Une analyse politique, Paris, L’Harmattan, 384 pages. 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PETTITEVILLE, Franck, (1998), « Les figures mythiques de l’État dans l’économie du développement », In : Problèmes économiques, n° 2587, Octobre.
[i] Par exemple en France, la miniaturisation des composants électroniques des téléphones ou des ordinateurs portables repose sur des connaissances fondamentales développées en physique et ainsi que sur des techniques pointues comme le microscope à effet tunnel. De telles connaissances sont actuellement disponibles parce que des recherches menées dans des laboratoires publics et financées par l’État ont été réalisées dans les années 80/90. [ii] HUENU, C., La question de l’État et de la Nation en Afrique – in Colloque sur la problématique de l’État en Afrique noire – Dakar, 29 novembre – 3 décembre 1982, Paris, Présence africain 1982, 3ème et 4ème trimestres 1983, p. 333. [iii] DUVAL DEMBI, A., La spécialisation par la concurrence : le cas des pays de l’UDEAC/CEMAC, (2001), Thèse pour le doctorat, Sciences économiques, Université Aix Marseille III, décembre 2001, pp. 208-224. [iv] Le groupe de Casablanca rassemblait, à la fin des années 50 et au début des années 60, les pays dits « progressistes » et le groupe de Monrovia comprenait les États « modérés ». [v] Sauf exception rarissime, des pygmées de la forêt équatoriale ou des esquimaux dans le grand nord qui ignorent les frontières. [vi] BRUYAS, J., « Apparition et mort de l’État : signification et portée de la « conjoncture 1980 », deux applications du calendrier scientifique », p. 101, in L’État moderne horizon 2000, aspects internes et externes – Melanges à P. Gonidec, LGDJ, 1985. [vii] Exemple, la Convention européenne des droits de l’homme en toute hypothèse dispose d’une autorité supérieure à celle des lois françaises. Les individus peuvent donc invoquer telle ou telle disposition de la Convention et de ses protocoles additionnels devant le juge national. [viii] Cf. FOUILLOUX Gérard, (198), La définition de l’État - Cours de maîtrise de droit international public, Université de Brazzaville (Congo). [ix] Cf. Annexe 3 : Charte des Nations Unies. [x] Cf. Annexe 4 : Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux. [xi] BASTIAT, F., Journal des Débats, numéro du 25 septembre 1848, p. 138. Cité par GARELLO, J., Aimez-vous Bastiat ? – Paris, Romillat, 2002, p. 150. [xii] GASTIL, R.D., Freedom in the world – Wesport, Greenwood Press, 1982, cité par COULANGE, Pierre, (1992), « La mesure du facteur institutionnel en Économie », In : In : Journal des économistes et des études humaines, volume III, numéros 2/3, juin-septembre 1992, pp. 289-318. [xiv] COULANGE, Pierre, (1992), « La mesure du facteur institutionnel en économie », In : Journal des économistes et des études humaines, Vol. III, n° 2/3, Juin/septembre, pp. 289-318. [xv] La qualité des institutions est mesurée soit à l’aide d’indicateurs globaux (tel qu’un indicateur agrégé des perceptions de la gestion du secteur public) ou spécifiques (tels que le degré de protection des droits de propriété ou d’application de l’État de droit). [xvi] BADIE, Bertrand, « L’État importé, l’occidentalisation de l’ordre politique », Fayard, pp. 54-58. [xvii] PÉAN, Péan, (2011), La République des mallettes, enquête sur la principauté française de non-droit, Paris, Fayard, p. 331. Dans le même livre il relate l’itinéraire d’un personnage sulfureux de la République Française, ancien malfrat notoire devenu franc-maçon et acteur incontournable de la vie politique française, surtout en politique étrangère (cf. Pierre Péan, op. cit. pp. 323-335). [xviii] « Veaux et Godillots » sont les qualifications des parlementaires, représentants élus du peuple. [xix] Geoffrey Geuens, Les agences (de presse) du nouvel ordre mondial, http://www.investigaction.net 03 avril 2002. [xx] J.P. Masseron, cité par AGONDJO-OKAWE, P.L., « L’État africain, un État hybride, néocolonial » in L’État moderne horizon 2000, aspects internes et externes, op. cit., p. 27. [xxi] Gonidec, cité par AGONDJO-OKAWE, P.L., op. cit., p. 26. [xxii] BADIE, B., op. cit., p. 116. [xxiii] Lettre ouverte aux élites du tiers monde, p. 132. [xxiv] Étienne de La Boétie, Discours de la servitude volontaire, Paris, Folio plus, p. 53. [xxv] PNUD, Rapport mondial sur le développement humain, 2002, pp. 37 et 41. [xxvi] BAYART, Jean-François, L’État en Afrique, la politique du ventre, Paris, Fayard, 1989, 439 pages. [xxvii] PETITEVILLE, Frank, (1998), « Les figures mythiques de l’État dans l’économie du développement », In : Problèmes économiques n° 2587, octobre 1998, pp. 14-20. [xxviii] BADIE, Bertrand, op. cit., p. 31. |