Centre d'études stratégiques du bassin du Congo (Cesbc)

Centre d'études stratégiques du bassin du Congo = ISSN  2493-5387

   
 

 

 

Émile-Didier LOUFOUA-LEMAY1/  et Espérance Edmond KOMBO2/

 

1/ Sociologue, Ecole nationale d’administration et de Magistrature),

Université Marien Ngouabi, Congo Brazzaville

E-mail : diplolouf@yahoo.fr; anneberthempemba@gmail.com

Tél : 00 (242) 06 664 02 07

 

2/ Espérance Edmond KOMBO, Economiste,

ISG, (Institut supérieur de gestion),

Université Marien Ngouabi, Congo Brazzaville

Courriel  : ekesperance@gmail.com

Tél : 00 (242) 06 636 67 97

 


 

 

Pauvreté urbaine et mobilité sociale au Congo :

les enfants des pauvres sont-ils condamnés d’avance ?

 

 

“Urban Poverty and Social Mobility in Congo

Are children condemned in advance ?”

 

 



 

RÉSUMÉ

Cet article nous permet d’analyser le dysfonctionnement qui existe entre la mauvaise gouvernance politique, administrative, économique et financière de la classe dirigeante au pouvoir et la manne pétrolière dans la gestion des êtres sociaux en l’occurrence les jeunes congolais issus des familles pauvres qui n’ont pas de chances à poursuivre des longues études.

Il s’est agi de comprendre que l’inégalité des chances devant l’école a une incidence sur la mobilité selon que les taux de scolarisation sont plus ou moins élevés. L’enquête a été menée en milieu estudiantin de 2000 à 2008 au Congo, et les résultats révèlent que les enfants des pauvres ne bénéficient pas d’opportunités à poursuivre des études universitaires.

Mots clés :

Pauvreté urbaine, Mobilité sociale, Pauvreté, Inégalité, Enfants, Études universitaires, Congo.

ABSTRACT

This article enables us to analyze the dysfunction which exists between the bad political, administrative, economic and financial governance of the ruling class in power and the oil manna in the management of social beings as it happens to the Congolese youth from poor families who have not the opportunity to further their education.

There is here a way to understand that the inequality of opportunities in schools has an incidence on the mobility whether the schooling rates are more or less high. The survey has been carried out in the student environment from 2000 to 2008 in Congo, and the outcomes reveal that the children from poor families do not benefit from opportunities to further their education at the university level.

Key Words :

Urban poverty, Social mobility, Poverty, Inequality, University studies, Congo.

 


 

 

Introduction

En dépit des forts taux de croissance de l’économie au cours de ces dernières années ; la très grande majorité des congolais subissent un appauvrissement sans cesse croissant ; ce que de nombreux observateurs [J.F.Bayard, 2006] qualifient de « malédictions de la manne pétrolière » en Afrique subsaharienne. La rente pétrolière n’a pas permis de mettre en place les conditions permissives du développement économique et social du Congo-Brazzaville [H. Bertrand,1974] qui, pourtant a adhéré aux objectifs du millénaire pour le développement en matière de réduction de la pauvreté. Aujourd’hui, le concept de développement est devenu restrictif ; l’on parle de développement durable. Depuis 1987 avec la publication du rapport Brundtland, il existe un consensus général sur la définition du développement durable : «  développement économiquement viable, écologiquement durable, socialement équitable qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs »

Lorsqu’il s’agit de réfléchir autour d’un indicateur qui couvrirait l’ensemble des dimensions du développement durable, le niveau d’instruction est pris en compte comme élément fondamental du capital humain. Notre  recherche se situe au cœur du renouvellement du stock de capital humain susceptible de contribuer au développement durable dans le contexte du Congo. Il est admis que ce pays dispose d’un potentiel de cadres de haut niveau par le fait de l’histoire coloniale. Il a abrité la première université  en Afrique centrale appelée FESAC. La majorité des bacheliers ont poursuivi leurs études en Occident, principalement en France, ex-puissance coloniale. D’autres ont bénéficié des bourses d’études de manière massive en Europe de l’Est grâce au principe de l’internationalisme prolétarien, le Congo s’étant proclamé étant très tôt devenu une république populaire et socialiste.

En dépit de ce fort potentiel humain, les résultats de la gestion du pays sont restés caractérisés par la mauvaise gouvernance politique, administrative, économique, financière, etc. La question qui se pose est celle des capacités des jeunes générations à changer le cours de l’histoire en vue d’un développement réel du Congo-Brazzaville. Il est admis que la société est complexe et que sa lecture ne peut pas se faire sans prendre en compte toutes les instances que constitue une formation économique et sociale. [P.PH. Rey, 1975]. Tout en étant conscient de la véracité de cette maxime, la présente étude se focalise sur les possibilités qui s’offrent aux jeunes congolais d’être formés pour échapper à la « trappe » de la pauvreté.

Nous sommes convaincus de ce que les intellectuels et cadres congolais pour la plupart, filles et fils de paysans ont réussi à l’école grâce aux faits suivants :

- « Restes » du système éducatif colonial 

-  Coexistence entre écoles publiques et écoles confessionnelles ;

- Gratuité de l’enseignement et mise  à la disposition aux apprenants des supports didactiques ;

- Gratuité de mécanismes d’orientation et d’octroi de bourses objectifs et non sélectifs à tous les méritants.

Notre deuxième conviction est que les temps ont changé : le népotisme sévit à grande échelle dans la gestion de la chose publique. Les inégalités sociales sont de plus de plus croissantes, hypothéquant les chances de réussite sociale des enfants congolais qui n’ont pas d’affinités communautaire et familiale avec la classe  dominante dirigeante. Les membres de la classe dominante garantissent à leur progéniture des études dans les grandes universités d’Europe. Les autres, les « parias, » plus nombreux se contentent des réalités locales de plus en plus chaotiques. Les chances [R. Boudon, 1973] deviennent encore plus minces pour les enfants des paysans et des pauvres.

A partir de ces deux hypothèses, notre article pose la question de la mobilité sociale en ces termes : quelles sont les chances des enfants des pauvres de sortir de la spirale de la précarité au Congo-Brazzaville ?

 

I. Définitions de la mobilité

La mobilité est un terme servant à dépeindre la circulation des personnes ou des groupes familiaux dans la structure sociale. En sociologie, nous distinguons deux sortes de mobilité : c’est ainsi qu’on peut définir le premier type de mobilité écologique comme un mouvement mesurable statistiquement dans un temps, un espace et un cadre social qui inclut, d’une part la mobilité spatiale ou déplacement dans un champ territorial, d’autre part la mobilité géographique impliquant un changement de résidence, ville ou pays.[F.Balle,F. Bourricaud,1977]. Elle peut se produire pour des causes d’ordre économique, religieux, culturel, ou familial. [F.Balle, F. Bourricaud, Op.cit.].

La deuxième mobilité peut définir un changement fonctionnel dans la position d’un individu (mobilité individuelle) ou d’un groupe (mobilité collective). Dans ce dernier cas, cette mobilité peut se mesurer pour un individu d’avoir un statut différent de sa famille d’origine ou pour une partie d’un groupe, d’un secteur économique ou d’un niveau social à un autre.

La mobilité sociale est individuelle lorsqu’elle concerne un seul individu. Le fait pour un commis de l’administration publique de devenir agent ou cadre dans une entreprise privée constitue une illustration de la mobilité individuelle. [D .Loufoua-Lemay, 2012]. La mobilité sociale peut être collective lorsqu’elle  intègre un groupe d’individus. Il existe aussi la mobilité entre générations. Ce type de mobilité est comme le souligne Henri Mendras « fondé sur la comparaison entre la profession à un âge donné des individus avec la profession de leur père ». [H.Mendras, 1967]. La mobilité entre générations consiste dans le fait que le fils possède une profession différente de son père. Nous découvrons chez Pitirim Sorokin pour qui la mobilité est, non pas l’effet d’une somme de facteurs, mais le produit d’un processus impliquant simultanément un ensemble de facteurs ou variables. [P. Sorokin, 1967]. Pour P.S. Sorokin, la mobilité doit être conçue comme le résultat complexe du filtrage des individus par une suite d’instances d’orientation. La nature, le nombre et l’importance de ces instances d’orientation varient selon les sociétés.

En ce qui concerne les sociétés en mutation, il est évident que les prétendus « facteurs » de la mobilité ne peuvent être conçus indépendamment les uns des autres. Pour prendre l’exemple des pays africains, il est clair que l’inégalité des chances devant l’école à une incidence sur la mobilité selon que les taux de scolarisation sont plus ou moins élevés. [R.Boudon1973]. De même, il est difficile de concevoir isolement l’effet des aspirations des individus sur la mobilité d’ascension offertes par la structure sociale. Selon D. Bertaux [D. Bertaux, 1969] «  la notion de mobilité sociale désigne les passages d’individus d’une catégorie sociale à une autre soit :

-  au cours de leur vie professionnelle (mobilité dite professionnelle ou biographique);

- soit par comparaison avec leur catégorie sociale d’origine, c’est-à-dire celle de leurs parents « mobilité sociale intergénérationnelle ».

Alain Touraine utilise le concept de « conduite de mobilité sociale » que lorsque la volonté d’ascension sociale commande le déplacement. [A. Touraine, 1968]. Pour lui, il différencie dans les grandes migrations le déplacement, où « l’initiative n’est pas venue de lui-même, mais résulte d’une contrainte externe (…) de la mobilité où l’individu qui quitte son milieu social d’origine, est dirigé par une volonté ou une perspective d’ascension(…) »Le concept de trajectoire, tout comme celui de mobilité induit une dynamique sociale qui peut être aussi paradoxalement une mobilité sociale. Pour mieux expliciter le phénomène de mobilité, R.Boudon emprunte la notion utilisée par K. Merton : « groupe de référence » les « individus définissent leurs ambitions, adoptent leurs attitudes, non dans l’absolu, mais à partir du milieu social qui les entoure et par référence aux groupes auxquels ils appartiennent ou dont ils se sentent suffisamment proches ».

Pour l’encyclopédie canadienne « Historia », «  les chercheurs se sont d’abord intéressés à l’étude de la mobilité sociale en raison de la régularité avec laquelle les gens se retrouvaient à peu près dans la même situation sociale que leurs parents. En dépit de certains mouvements vers le haut ou vers le bas de l’échelle sociale d’une génération à l’autre, les gens nés dans les familles riches et influentes seront vraisemblablement riches et influents durant leur vie, contrairement à ceux qui sont nés dans des familles pauvres. » L’Ecole canadienne a également mis en valeur une autre caractéristique de la mobilité fondée sur le lien existant entre mobilité et mariage. [V. Kaufmann, 2000].

Il est à observer que la mobilité sociale est provoquée par plusieurs facteurs dont les principaux sont : les facteurs économiques, les facteurs psychologiques, les facteurs sociaux et les facteurs politiques. Tous ces facteurs interviennent dans la mobilité sociale des individus et cela entraîne inéluctablement une satisfaction sociale qui résulte de l’interaction entre les divers systèmes sociaux d’une société globale. [J.P. Durant. R.Weil, 1989].

Une fois que l’on circonscrit la question de la mobilité au cœur de la structure sociale et non des individus, plusieurs facteurs de mobilité sont diversement identifiés : école, famille, immigration, etc.  Ces différentes causes peuvent se combiner plus ou moins au sein de la mobilité nette et structurelle. Comment la société congolaise arrive-t-elle à se reproduire dans le contexte tout en garantissant les chances d’ascension sociale des populations en proie à la lutte contre la pauvreté ?

2. Méthodologie

Notre recherche part d’une enquête initiée en milieu étudiant à Brazzaville de 2000 à 2008 qui a porté sur un échantillon de 464 individus. Il a été exclu de cette population les étudiants inscrits dans les établissements privés qui nécessitent le paiement des droits d’écolage que, mathématiquement un père de famille pauvre ne peut pas s’acquitter. En moyenne, un étudiant dans une structure d’enseignement supérieur privé paye en moyenne par mois 30 000 Francs CFA, presque l’équivalent du SMIG congolais et sachant que le seuil de pauvreté est établi à 544,40 Francs par jour et par adulte.

Le questionnaire, adressé aux chefs de ménages des étudiants vise à vérifier l’origine sociale des étudiants et de leurs parents respectifs, les conclusions d’existence des parents et/ ou tuteurs en vue d’apporter des éléments aux études universitaires.

3. Une génération de parents nés en Afrique Équatoriale Française

Les travaux du sociologue P.P. Rey et de l’économiste H. Babassana ont permis un approfondissement des analyses sur la transition du Congo vers le capitalisme[ P.P. Rey, 1975, H.Babassana,1976] .Ce n’est qu’à partir de 1917-1918 que la « désorganisation et la répression militaire ont eu raison des pôles de résistance : « l’ensemble du pays est pacifié, les sociétés lignagères s’inclinent devant la force, les conditions sont mûres pour ouvrir, par une contrainte accepté, le Congo à la pénétration du mode de production capitaliste »[H. Bertrand, Op.cit.]. Après la construction du chemin de fer en 1921, le processus de développement du capitalisme ne rencontre plus d’entraves du système lignager qui lui fournit la main d’œuvre abondante dans les villes qui se bâtissent.

Ce bref rappel de l’intrusion du capitalisme au Congo permet de situer l’origine sociale des grands parents des étudiants actuels qui sont pour la plupart nés à partir de 1909 selon notre enquête. Du fait que les villes congolaises, émanation de l’autorité coloniale ne se sont construites qu’après la libération de la force de travail, il est établi que les grands parents des étudiants actuels sont nés en écrasante majorité dans les villages : seuls 7,50 % sont nés à Pointe-Noire, 3,80 % respectivement à Brazzaville et Dolisie.

Ces congolais sont d’abord des paysans agriculteurs, chasseurs et pêcheurs. C’est qui ressort de la profession des grands parents des étudiants qui n’enregistre ni chef d’entreprise, quelques cadres et professions intellectuelle supérieure (1,70 %). Le salariat est encore marginal avec 6,90 % d’employés et 8,60 % d’ouvriers.

Figure 1 :

Localités d’origine des grands parents des étudiants

 

 

Les personnes qui ont eu à charge les parents des étudiants sont d’abord les parents géniteurs : 72,40 % ont été élevés par leur père contre 6,80 % par leur oncle ou grand-frère. Par contre, les étudiants vivent dans des ménages qui sont dirigés à 58,60 % par leur père, à 15,50 % par un tuteur, sans lien de parenté direct. Les grands frères qui hébergent des étudiants représentent 13,80 % de l’échantillon.

Avec l’extension du salariat, une partie des congolais s’installent en ville, donnant naissance à une nouvelle génération de citadins qui se trouvent être à 39,20% des géniteurs des étudiants. Malgré tout, les parents des étudiants actuels ont une origine paysanne, 60,80% sont nés dans les villages où ils ont commencé leurs études primaires avant de migrer vers les centres urbains qui concentraient les collèges, lycées et université.

4. Des fils de paysans devenus cadres de profession intellectuelle supérieure

Le statut social des parents des étudiants est totalement différent de celui de leurs géniteurs : on y trouve moins d’agriculteurs (1,70 %), alors que leurs parents étaient des paysans parvenant à satisfaire leurs besoins à 87,9 % du travail agricole, de chasse et de pêche.

  Les données d’enquête en milieu étudiant a permis de tirer quelques conclusions principales de notre investigation en superposant la profession de leurs grands parents et celle des parents qui les prennent en charge :

i-      Les congolais nés en Afrique Equatoriale Française étaient en presque totalité paysanne ; ils sont à 50,0 % pêcheurs et/ ou chasseurs. Même si H. Bertrand affirme que le système lignager, loin de s’opposer à la pénétration du capital, devient au contraire son fournisseur de main d’œuvre [H. Bertrand, Op.cit.], le salariat n’est pas encore généralisé. De notre échantillon, il ressort que les employés et ouvriers ne dépassent guère 15,50% des grands parents des étudiants ;

ii-     En dépit de l’origine paysanne des parents des étudiants et de l’état de précarité monétaire de leurs géniteurs, ceux-ci ont réussi à se hisser dans la société. L’école coloniale et postcoloniale à permis de former des cadres qui exercent des professions supérieures contrairement aux générations antérieures : ils sont 53,40 % dans ce cas de figure. Du coup, l’on enregistre plus des agriculteurs, pêcheurs et chasseurs qui ont des enfants qui fréquentent l’université.

En définitive, il est difficile, voire impossible aux enfants des pauvres de bénéficier des études universitaires. La transformation de la société congolaise évolue indubitablement vers une société de classe qui condamne les pauvres à la pauvreté. Comme l’affirme le rapport ecclésial sur la pauvreté au Congo, les futures générations courent le risque d’être des potentiels acteurs futurs du cercle vicieux de l’extrême pauvreté. En effet, le principe de gratuité de l’école publique ne suffit pas pour permettre aux plus démunis d’échapper aux contraintes financières [M.Razafindrako, F.Roubaud, 2001] puisqu’au Congo l’on enregistre une baisse du taux net d’alphabétisation : 79% en 1990 à 54%. [PNUD, 2006]. En outre, les difficultés des parents des écoliers et élèves pour assurer leur éducation formelle condamnent leur avenir. En matière d’éducation, les chefs de ménages sont handicapés par un certain nombre d’obstacles qui ne présagent pas de chances de réussite sociale à leurs progénitures. Celles-ci sont du fait du dysfonctionnement du système éducatif et du très faible niveau des ressources des parents.

Figure 2.

Obstacles en matière d’éducation rencontrés

par les chefs de ménage par ordre d’importance

 

 

 

Le système éducatif visant la formation de l’élite africaine par la Métropole s’est écroulé. Le milieu rural qui a donné naissance à l’élite actuelle souffre du manque d’enseignants dans des écoles qui sont en nombre  insuffisant. Les centres urbains qui sont mieux nanti de ce côté connaissent le coût élevé des frais de scolarité et de fournitures scolaires suivi du manque du matériel didactique. Les données d’enquête  ecclésiale ont permis d’identifier les obstacles en matière d’éducation rencontrés par les chefs de ménages pauvres au Congo par ordre d’importance.

Ces obstacles sont malheureusement renforcés par l’insuffisance et le délabrement des infrastructures scolaires que les pauvres appréhendent pour ceux des enfants qui parviennent à fréquenter l’école. Il s’agit concomitamment de :

-       Coût prohibitif des services de l’éducation : 45,30 % ;

-       Coût élevé des fournitures scolaires : 41,80 %

-       Manque d’enseignants dans les écoles : 18,30 % ;

-       Manque de matériel didactique dans les écoles : 15,40 % ;

-       Éloignement des infrastructures scolaires du domicile des enfants : 7,20 %

En conclusion, dans le passé, l’éducation a aidé bien des enfants de familles pauvres à obtenir des emplois meilleurs que ceux qu’ils auraient pu obtenir autrement, accédant aux postes supérieures. Il est établi que les enfants des pauvres ont peu de chance de fréquenter l’université au Congo ; mais est-ce pour autant que leurs parents échappent à la pauvreté ? L’affirmer serait une démarche simpliste dans le contexte congolais caractérisé par la mauvaise gouvernance et de profondes inégalités dans la répartition du fruit de la croissance générée ces dernières années par une augmentation exponentielle des ressources pétrolières.

5. Gouvernance de la Cité congolaise

La gouvernance est conçue par les organisations des Nations Unies comme étant l’exercice du pouvoir politique dans la gestion des affaires publiques, en prenant en compte les arrangements institutionnels et structurels de l’État, les processus de prise de décisions et de capacité d’exécution ainsi que les rapports entre d’un côté les fonctionnaires et de l’autre les usagers. A partir de cette approche, quelles sont les capacités de l’État congolais d’avancer vers un développement harmonieux et lutter contre la pauvreté ?

Le Congo a achevé la mise en place du cadre institutionnel depuis 2005 dans le souci de la démocratisation de la vie politique, économique et sociale. Sur le plan politique, l’on relève que ce processus a longtemps été marqué par un climat conflictuel, alimenté par les acteurs politiques qui ont démontré leur incapacité à transcender leurs différends par le dialogue. Les nombreux coups d’État et les guerres récurrentes dans ce pays ne sont que les conséquences. Dans un tel contexte fait de soubresauts, la démocratisation des institutions politiques n’est pas enracinée dans le temps. Pour preuve, depuis 1958, dix sept (17) textes de valeur constitutionnelle ont été adoptés, instituant tour à tour le régime parlementaire, le régime présidentiel et le régime semi- présidentiel.

La constitution en vigueur institue un système tripartite des pouvoirs de l’État par l’exécutif, le législatif et le judicaire. L’exécutif est dirigé par le Président de la République dans le cadre d’un régime présidentiel qui est élu au suffrage universel direct et au scrutin majoritaire à deux tours pour un mandat de sept (7) ans, renouvelable une fois. [Constitution, 2002]. Le pouvoir législatif est du ressort du parlement composé de deux chambres. Les députés sont élus au suffrage universel direct et au suffrage indirect par les conseils de collectivités locales pour les sénateurs. Le pouvoir judiciaire est incarné au sommet par la cour suprême et composée d’autres juridictions créées par la loi.

Les mauvaises pratiques en matière de gouvernance commencent par le système électoral qui fait que les moments de vote sont toujours redoutés par les congolais ; ce n’est pas un moment normal de la vie politique de ce pays, émaillé de conflits et guerre suscités par des élections à contestations multiples. Cette situation découle à chaque fois du manque de crédibilité et de la transparence du processus électoral au regard des structures gouvernementales d’organisation des élections, de l’organisation et du déroulement des scrutins, du mode de proclamation et de réclamation des résultats. L’histoire politique du Congo démontre que ce sont les partis au pouvoir qui, par le gouvernement interposé, organisent les élections et imposent les résultats qui ne sont pas toujours le reflet des opinions issues des urnes.

Le principe de la séparation des pouvoirs clamé depuis l’indépendance du pays s’est progressivement affaibli, aboutissant à l’autoritarisme, aux abus du pouvoir et à la corruption. Les institutions de la république présentent des limites objectives qui ne leur permettent pas d’assurer un contre poids efficace à l’exécutif : modes de gestion et de nomination inféodés au pouvoir, faibles compétences, absence d’autonomie réelle, etc.

De même, le pouvoir judiciaire n’est pas indépendant de l’exécutif  par la non maitrise de son budget et du mode de nomination. En sus, il est gangréné par la corruption à outrance qui se manifeste par l’achat des jugements et la distribution d’une justice à la tête du justifiable.

Le parlement censé représenter l’électorat, légiférer et contrôler l’action gouvernementale a des performances largement situées en deçà des attentes de la population. Il se réduit à une chambre d’enregistrement des décisions de l’exécutif, n’exerçant pas vraiment son pouvoir de contrôle. De plus constitutionnellement, le parlement est dans l’incapacité d’exercer une pression efficace sur l’organe exécutif par manque de motion de censure. [Constitution 2002].Les risques de corruption sont présent au sein de cette institution par la pratique des campagnes électorales qui se réduisent à la distribution des cadeaux et de l’argent aux électeurs. Dans ce jeu démocratique, la force parlementaire de l’opposition est réduite à l’hémicycle, les scrutins étant toujours un ras de marée pour les partis au pouvoir avec des scores rappelant des anciennes républiques de l’Est européen.

Les membres du pouvoir exécutif et de ses structures décentralisées ressemblent plus à des « affairistes » et par conséquent enclin à la pratique de la corruption. La classe politique congolaise a toujours été animée par l’exercice du pouvoir pour le pouvoir et non pour promouvoir un projet de société. Les dirigeants des partis politiques mobilisent d’abord sur une base ethnique et régionaliste alors que la constitution interdit la création des partis sur  une base foncièrement ethnique. La gestion des administrations publiques est hypothéquée par le mode de nomination des animateurs qui sont choisis par leur appartenance soit au parti, soit à l’ethnie.

L’inefficacité de la gestion de la chose publique est renforcée par la gangrène de la corruption Le rapport du Ministère à la Présidence, chargé de l’Inspection d’État en 2004 rapporte, à la suite d’une enquête administrative dans les différents départements ministériels et de l’appréciation du secteur privé et de la société civile que la détérioration de l’éthique professionnelle dans la sphère publique au Congo est en train d’aller crescendo. Celle-ci s’est profondément incrustée dans les administrations publiques, notamment dans les régies financières (douanes, Impôts, Trésor) la police, dans les tribunaux et l’enseignement. Aujourd’hui, conclue ce rapport, on peut sans risque de se tromper, dire que le mal a atteint son paroxysme, au regard des différentes appréciations des sujets enquêtés quel que soit le secteur social considéré.

Dans ce contexte, l’efficacité est remise en cause, induisant une incohérence de l’activité gouvernementale, quant à la lutte contre la pauvreté ; services publics difficilement accessibles par les populations et de faible qualité.

6. Manne pétrolière exceptionnelle et appauvrissement

L’économie congolaise connaît au cours de cette décennie, une nette amélioration des termes de l’échange avec notamment le rebond des cours mondiaux de pétrole et l’augmentation du volume de production pétrolière. Cela a permis au Congo de renouer avec des taux de croissance, des excédents budgétaires et extérieurs positifs. Par ailleurs, les indicateurs d’endettement se sont nettement améliorés. Notons qu’en 2012, cette économie a enregistrée une légère hausse de sa croissance, à 3,8% portée par le maintien du dynamisme des activités hors pétrole, cependant, elle a été marquée en 2011 par un recul du taux de croissance, à 3,4%, après avoir enregistré 8,7% en 2010. [Rapport budgétaire 2013.].

6.1. Retour effectif de la croissance économique

La croissance économique en 2007 a accusé une baisse de 1,6 % du PIB en termes réels après deux années de forte croissance (7,6 % en 2005 et 6,2 % en 2006), du fait de la baisse de 17,2 % de la production pétrolière. La croissance du PIB est influencée principalement par le comportement évolutif de la production pétrolière, notamment en rapport avec les performances des nouveaux champs pétroliers tels que Mboundi, Nkossa sud, Kombi, Likouala, Bango et Zatchi. [Direction générale de l’Economie, 2012].  La croissance du PIB non pétrolier a été estimé à 6,6 % en 2007 (contre 6,0 % en 2006 ; 5,3 % en 2005). La croissance de ce secteur est impulsée pour l’essentiel par les industries manufacturières (transformation du bois, production de l’eau minérale et de la farine, matériaux de construction…).

Sur le plan  interne, le Congo a enregistré une consolidation de la croissance économique en liaison notamment avec la progression de la production pétrolière, le dynamisme des activités du secteur non pétrolier. Ainsi, le Produit Intérieur Brut (PIB) en francs courants est passé de 3 142,6 milliards en 2005 à 3815,7 milliards en 2006, dont 31,% pour le secteur non pétrolier. Le taux de croissance en termes réels s’est établi à 6,1% contre 7,8% l’année précédente, entrainant ainsi une hausse de 3,5 % du revenu réel par habitant.

La loi des finances 2009 prévoit une augmentation du PIB réel de 9,8 % qui était de 6,4 %. Cette tendance s’explique par le redressement attendu du secteur attendu du secteur pétrolier qui va connaitre une progression de la production du pétrole de 23,1 %, quand bien même le secteur hors pétrole connaitra une baisse du taux de croissance 4,2 % en 2009 contre 5,4 % en 2008.

6.2. Paradoxe entre croissance et pauvreté des congolais

Cette embellie économique ne s’est pas traduite par une amélioration des conditions de vie des congolais dont 50,70 % vivent en dessous du seuil de pauvreté évalué à 544,40 francs CFA. L’étude congolaise des ménages révèle que :

1)    La grande proportion des moins instruits est plus pauvre : l’incidence de la pauvreté est de 59% pour les ménages dont le chef de ménage n’a  aucune instruction, 58 % pour ceux qui ont un niveau primaire, 42 % pour ceux qui ont un niveau secondaire, et de 17 % seulement dans les ménages dont le chef a atteint l’enseignement supérieur

2)    Le degré de pauvreté  épouse les caractéristiques de la hiérarchie sociale. L’incidence de la pauvreté est plus faible parmi les ménages dont le chef est cadre ou employeur et la plus élevée parmi les travailleurs à propre compte. Parmi les ménages des cadres ou employeurs, une personne sur cinq vit dans la pauvreté alors que plus de trois personnes sur cinq sont dans une situation de pauvreté parmi les ménages de travailleurs à compte propre. Les ménages qui tirent leurs revenus des activités agricoles sont les plus vulnérables. Chez les agriculteurs, près de sept personnes sur dix sont pauvres. A l’opposé, un peu moins de deux personnes sur cinq vivent en dessous du seuil de pauvreté dans les ménages du secteur tertiaire.

3)    Les niveaux de consommation sont profondément inégalitaires selon le quartile. Dans toutes les zones d’habitations, les dépenses de consommation moyenne des ménages augmentent considérablement, lorsqu’on passe du quartile le plus pauvre (142 971 FCFA, 162 067 FCFA, 147 976 F CFA, 121 628 F CFA et 150 977 FCFA respectivement pour Brazzaville, Pointe-Noire, les autres localités, le milieu semi urbain et le milieu rural) au quartile le plus riche

4)    Le rapport des dépenses de consommation entre les plus pauvres et les plus riches varie de 5 à 7 dans toutes les zones d’habitation. Ainsi, à Brazzaville, le quartile le plus riche consomme 7 fois plus que le quartile le plus pauvre.

5)    Une forte inégalité en matière de consommation. Le revenu par tête des ménages augmente avec les quantiles de niveau de vie, et le revenu annuel moyen des ménages s’élève à 1,753 millions de F FCFA et la consommation à 1,516 millions de f CFA soit un rapport de 1,16. ; Les deux types de revenus les plus importants pour les ménages sont parmi ceux où ces inégalités sont les accentués. Si l’on considère les salaires, 40% des ménages les plus pauvres concentrent 11% des revenus salariaux alors que le seuil quintile le plus riche concentre plus de la moitié de cette source de revenu.

6)    Les pauvres éprouvent d’énormes difficultés d’accès aux services sociaux de base en partant des perceptions que se font les chefs de ménage de leur vie comme il ressort des données ci-après.

 

Tableau 1

Congo : Incidences de pauvreté dans les différents domaines

 

 

Prévalence (pourcentages lignes)

Population

Enfants

Adultes

 Femmes

Hommes

Monétaire

50,7

53,71

47,8

46,2

Éducation

37,9

52,52

36,7

21,9

Nutrition

42,9

43,70

43,6

40,8

Santé

60,23

60,9

58,5

60,5

Travail

21,0

5,64

28,3

24,5

Eau et Assainissement

67,5

69,9

66,1

64,9

Habitation

58,7

61,6

57,4

54,8

Enclavement

32,1

33,8

34,6

26,4

Partie de la population en %

100

46,2

28,6

25,2

 Source : Banque Mondiale, 2008

 

En définitive, la mauvaise gouvernance à laquelle s’ajoute la non diversification de l’économie et le niveau de dégradation des infrastructures de base ont un impact social préoccupant au sein des populations qui font dire à la Banque Mondiale que : « …il reste beaucoup à faire pour atteindre les objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD). La situation du Congo n’est pas bonne par rapport aux autres pays à revenu [Banque Mondiale, 2007]. Cet état des choses s’explique d’abord par la nature de l’État congolais qui excelle par la mauvaise gouvernance de la cité. Cette préoccupation est centrale dans la mesure où, au niveau mondial, un consensus se dégage selon lequel pour que l’Afrique puisse atteindre les objectifs du millénaire pour le développement 2015.

7. Apparence de la réussite sociale des parents des étudiants

Un congolais est officiellement considéré comme « pauvre » quand son revenu ne lui permet pas de dépenser plus de 544,40 FCFA pour subvenir à ses besoins. L’enquête en milieu étudiant à permis d’établir une moyenne des revenus de leurs parents, chefs de ménages à 181 666,67 FCFA. Les ménages étant constitués en moyenne de six (6) personnes, chaque individu disposerait de 1 009,26 FCFA pour dépenser chaque jour. Cela fait de ces congolais des privilégiés puisqu’ils disposent pratiquement du double du niveau de seuil de pauvreté. La comparaison entre les conditions de vie de cette frange de la population et celles des pauvres est suffisamment révélatrice des différences de niveau de vie.

Cependant, quand nous observons les conditions de vie de cette frange de la population, cette appréciation mérite d’être nuancée. D’une part, le chef de ménage n’est pas seul à financer les dépenses du foyer : 51,70% des personnes interrogées sont deux à apporter des ressources au foyer. Il s’agit d’abord des épouses qui, à 22,70% exercent un petit commerce, les autres sont dans le salariat. L’historienne C. Coquery Vidrovitch [1985] écrit à ce sujet que la symbiose « secteur moderne/ secteur informel » est vécue quotidiennement en Afrique au sein de chaque maisonnée. A partir du concept d’ambivalence sociale au sens de la dépendance des africains, pour leur survie (reproduction et subsistance), l’on peut mieux comprendre la nature du salariat au Congo. Par l’existence d’un secteur informel dynamique, l’épouse du salarié, quand bien même n’est pas salarié, complète le budget familial. Sans cet apport devenu « salaire d’appoint », la reproduction de la force de travail est quasi impossible pour les salariés congolais. [J.Tsika, 1987].

D’autre part, ces catégories sociales vivent loin de la norme de la société de consommation des nantis au Congo. Au sommet de la hiérarchie sociale, l’on distingue les membres de la classe dirigeante  au pouvoir, les hauts fonctionnaires des administrations des administrations publiques, les entrepreneurs promus par la classe dirigeante qui sont qui sont accrochés aux ressources de l’État qui leur permettent de posséder grandes villas, plus d’une voiture de type 4x4 dans leurs parkings, etc. C’est l’accentuation qu’affirment J. Tsika et A. Makaya [1990] en ces termes « l’image sociale de la réussite au Congo impose les dépenses énormes pour l’acquisition des biens à caractère ostentatoire, la possession d’un (deuxième bureau) ou les dépenses ludiques ».

L’on observe :

La structure des dépenses mensuelles pour la couverture des besoins de base induit un déficit budgétaire des ménages enquêtés tel qu’il ressort de la balance suivante :

 

Tableau 2

Structure des dépenses mensuelles

 

Revenu mensuel (moyenne F. CFA)

Type de consommation

Dépenses mensuelles (moyenne FCFA)

181 666,67

Alimentation

111 481,48

Transport

51 276,60

Scolarité

60 602,04

Santé

23 256,06

Assistance familiale

48 451,61

Electricité

20 440,88

Eau

9 794,46

Total Revenu

181 666,67

Total dépenses

325 303,13

 

 

Le déficit budgétaire est évalué à 143 636,46 francs par mois au revenu du chef de ménage. Cette estimation n’est pas trop éloignée des déclarations des chefs de ménage lorsqu’il est leur est posé la question de l’évaluation du niveau des dépenses mensuelles que leurs  réponses permet d’établir en moyenne à 162,696 Francs CFA. Cet écart peut s’expliquer par la non prise en compte dans la structure des dépenses du coût du loyer payé par les chefs de ménage locataires (29,30 %).

Il n’est donc pas surprenant que 51,70 % des personnes interrogées recourent systématiquement aux découverts bancaires pour lier les deux bouts du mois. En même temps, 67,20% de ces parents sont incapables d’épargner une partie de leurs revenus.

Outre les problèmes liés à la satisfaction des besoins de base de ces familles, l’enquête sur les conditions de vie des parents des étudiants révèle aussi que :

1)    un peu d’un ménage sur quatre, soit 77,60 % ne dispose pas de climatiseurs pour conditionner l’air dans un pays à haute température ;

2)    seuls 25,90% possèdent un local abritant un bureau de travail dans leur habitation ;

3)    l’espace vital n’est pas garanti dans leurs domiciles : 22,40 % de personnes ont pu aménager un espace vert aussi minime soit-il ;

4)    posséder une voiture personnelle reste un luxe que 81,00 % des chefs de ménages ne peuvent pas acquérir ;

5)    l’écrasante majorité ne recourt, ni au service de gardiennage pour leur sécurité (91,40%), ni à celui de personnel de ménage (82,80 %) ;

6)    prendre des vacances annuelles reviendrait à se priver de ressources indispensables à la vie de la famille : seuls 10,30% de personnes se redent souvent à l’extérieur du pays au moins une fois par an ;

7)    seuls 10,30% de personnes se rendent souvent à l’extérieur du pays au moins une fois par an ;

8)    les ménages sont soumis à des restrictions en matière de consommation pour des raisons pécuniaires telles qu’il ressort du tableau XX ci-après. On relève le fort taux des ménages (50,00 %) qui n’ont pas les moyens de remplacer des meubles ; 41,40% éprouvent des difficultés pour renouveler leurs équipements électroménagers.

 

Tableau 3

Restriction de consommation

 

Restriction de consommation

Effectifs

Fréquences

Non réponse

88

19,00 %

Payer les vacances

176

37,90 %

Acheter les vêtements neufs

80

17,20 %

Remplacer le mobilier

232

50,00 %

Renouveler les appareils électro ménagers

192

41,40 %

Manger la viande tous les 2 jours

96

20,70 %

Recevoir les amis ou la famille

48

10,30 %

Consommer au moins 1 plat complet par semaine

88

19,00 %

Payer les frais scolaires des enfants

56

12,10 %

Payer les factures d'eau et d'électricité

80

17,20 %

Payer le loyer à temps

32

6,90 %

Payer les frais de santé et de médicaments

40

8,60 %

Total

464

-

 

L’étude des conditions de vie des familles des étudiants congolais à Brazzaville fait apparaître comme l’affirme l’ECOM qu’être salarié est un privilège dont peu de pauvres bénéficient. Et pourtant, ces privilégiés subissent des privations qui poussent à distinguer la pauvreté absolue de la pauvreté relative que nous empruntons à P. Salama qui affirme «  qu’être pauvre celui ou celle qui ne dispose pas de suffisamment de ressources monétaires pour se reproduire dans le premier cas. La pauvreté est alors qualifiée d’absolue. Cette mesure concerne les pays en développement. Est pauvre celui dont le revenu monétaire est en deçà de 50 % du revenu médian. La pauvreté est alors dite relative (…) » [P.Salama, 2003].

Plus précisément, nous pouvons avancer que cette frange de la population congolaise subit une pauvreté subjective qui est une forme de pauvreté développée par J.C. Vérez [2007]. « Elle se mesure à l’opinion de la personne enquêtée tant à propos de ses revenus que de son bien être Pour  Bouquerel et De Malleray, il s’agit de la pauvreté telle qu’une personne la ressent. Sur la base des sondages, il est possible d’estimer les ménages qui déclarent vivre avec difficultés et/ou de ne pas avoir des problèmes de fin de mois. »

L’observation de G. Balandier en 1955 reste pertinente dans le contexte du Congo du 21ème siècle quand il écrivait qu’il est impossible de fournir, à l’ensemble de la population des « Brazzavilles noires », les moyens d’avoir des revenus réguliers d’un niveau de vie correct et encore progressif. R. Devauges, évaluant en 1974 l’étendue des besoins, parle des brazzavillois et leur capacité en tant que force de travail à satisfaire leurs besoins, parle explicitement en termes de survivance. Les cadres qui, semble-t-il, sont privilégiés par rapport aux pauvres sont condamnés à la logique de la survivance.

Conclusion

Au terme de cette étude, nous nous permettons de conclure avec J.C. Vérez que « la pauvreté interpelle l’être humain : quelles que soient ses formes, elle perturbe car elle atteste des privations subies par les uns et les autres. Elle est la preuve des inégalités qui caractérisent les sociétés humaines depuis des siècles ». [J.C. Vérez, 2007]. La situation sociale des parents des étudiants est certes enviable au regard des conditions de misère que vivent 50,70 % des congolais. Cela ne les empêche pas de vivre dignement, en comparaison de leurs ex-collègues des universités d’ailleurs.

La société congolaise est interpellée face aux risques d’enfermement des jeunes dans le cycle de la pauvreté, tant la présence des enfants en milieu étudiant à Brazzaville est nulle. Il faut une démarche volontariste des pouvoirs publics pour mettre en place de vraies  conditions de lutte contre la pauvreté. Le processus d’exclusion par l’abandon sur le bord de l’université d’une frange de la population jeune mais, issue des parents pauvres, est en cours. Il est une vérité que le capitalisme par essence est une société de classes. Mais doit-on inéluctablement évoluer vers une société prédominée par de larges inégalités, source d’approfondissement de la pauvreté absolue des populations les plus nombreuses ?

Au-delà du discours apologétique colonial sur le système éducatif, force est de reconnaître que des enfants des pauvres ont acquis des connaissances et des aptitudes nécessaires à la gestion d’une cité moderne. En cela, l’école coloniale et postcoloniale a permis d’assurer une fonction socio politique et idéologique que H. Babassana qualifie de fonction de reproduction élargie de la force de travail. Il est persuadé que l’État colonial, par l’école, s’était donné un instrument pour tenter de réaliser :

-       l’unité idéologique et politique de la classe ou des forces sociales dominantes ;

-       l’alliance avec les classes ou les couches sociales sur lesquelles ces forces sociales dominantes s’appuient ;

-       la mystification des classes dominées.

S’il est admis que le système éducatif est un instrument de classe qui  a pour fonction de reproduire et de transmettre l’idéologie et le système de valeurs de la classe dominante, il est à craindre que les populations les plus nombreuses sont condamnées à la survivance et donc à la pauvreté, tant que persisteront les tendances actuelles.  Tout en repensant l’école et les chances de réussite pour tous, il faut se préoccuper du développement durable qui nécessite une répartition équitable de richesses. Sans cela, la mobilité sociale ascendante ne concernera qu’un nombre limité d’individus, assurant ainsi la perpétuation de la structure des rapports de classe, au risque certain de ne jamais atteindre les Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD) dans le sens de la réduction de la pauvreté au Congo.

 


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à      DIRECTION GÉNÉRALE  DE L’ÉCONOMIE, (2012),

«  Les indicateurs macroéconomiques du secteur réel 2003-12 », Brazzaville.


 

 

 
  

 

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