Centre d'études stratégiques du bassin du Congo (Cesbc)

Centre d'études stratégiques du bassin du Congo = ISSN  2493-5387

CesbcPresses : Indicateur éditeur : 979-10-90372


 

 

Jean-Florent MAKAYA-KOKOLO

 

 

 

La portée de la crise culturelle

sur les systèmes économiques africains

 

1. position du problème 1.1. les facteurs essentiels d'un système économique

L'une des vérités scientifiques que l'Économie politique dominante enseigne aux nouveaux étudiants dès la première année des Facultés des Sciences économiques est que tout système économique est caractérisé par trois facteurs : la culture, le cadre institutionnel et la technique.

C'est peut-être pour l'avoir appris plus tôt que l'élite originaire d'Afrique en général, du Congo en particulier, « oublie » si vite cette vérité fondamentale.

Il conviendrait de rappeler ces facteurs tout en les soulignant à grands traits.

1.2. Le premier est la culture

La culture sert d'esprit au système économique. Elle est constituée par l'éthique d'où émanent les mobiles déterminants de l'activité économique et l'arme universelle qui permet à toute société de relever les défis de quelque ordre que ce soit, à savoir la technologie.

1.3. Le second facteur est le cadre institutionnel

Le cadre institutionnel tient lieu d'âme ou de substance au système. Il est formé d'institutions juridiques, politiques et sociales qui définissent l'unité centrale dans laquelle se développe l'activité économique (le domaine pour le système féodal, l'entreprise pour le capitalisme) et les relations entre les agents économiques (le rôle de l'État, le statut du travail, le régime de la propriété, etc.).

1.4. Enfin le troisième facteur est la technique

La technique constitue le corps ou la matière économique. Il s'agit en fait de la qualité de la technique principale de production. On remarque que les systèmes économiques dont la technique principale est restée rudimentaire ne réalisent pas de progrès technique significatif et demeurent par conséquent sous-développés. Par contre, une technique principale évoluée détermine un grand progrès technique qui entraîne le développement des systèmes économiques considérés.

Or la qualité de la technique et la rigueur des institutions dépendent du modèle culturel.

1.5. C'est la culture qui détermine le cadre institutionnel et la qualité de la technique

C'est une évidence : l'esprit (la culture) commande l'âme (les institutions) et le corps (la technique). En fonction des mobiles déterminants de l'activité économique et du développement technologique que celle-ci suscite, le système économique se dote des institutions appropriées et exige l'utilisation de la technique la plus efficiente.

Cette détermination des institutions et de la technique par la culture est lourde de conséquences.

2. Les conséquences de la détermination des autres facteurs du système économique par la culture

2.1. Première conséquence : Le modèle culturel est celui de l'élite au pouvoir

Pour un groupe social donné, la culture s'appréhende sous la forme d'un modèle formé par l’ensemble de règles qui régissent les comportements mutuels et servent orienter les relations entre les membres. Le modèle culturel est l'expression de l'identité du groupe social considéré et sert par conséquent de fondement à l'organisation sociale de la nation.

C'est l'élite dirigeante qui élabore, en affectant des statuts à chaque catégorie sociale, les statuts qui sont assortis de normes, de rôles, de systèmes de valeurs ; le tout est chapeauté par un contrôle social qui prévoit les jugements, les récompenses, les punitions. Mais tous ces éléments ne sont pas forcément écrits. Font effectivement partie du modèle culturel, les valeurs qui sont pratiquées et/ou tolérées par l'élite au pouvoir. Si au Congo, pire que dans bon nombre d'autres pays africains, le régionalisme, le tribalisme, le détournement des deniers publics, l'abus des biens publics, la médiocrité..., tendent à devenir des pratiques courantes, c'est parce que justement, depuis 1963 à la faveur de ce qui était convenu d'appeler la Révolution socialiste, le pouvoir serait passé entre les mains d'une élite qui avait intérêt à mettre en place un système de valeurs négatives pour son modèle culturel.

2.2. Deuxième conséquence : Le modèle culturel déterminé : la condition d'accès au pouvoir, la nature du pouvoir et le régime du pouvoir

Il existe trois (3) conditions possibles pour accéder au pouvoir : le charisme, la force et la compétence. Le charisme transcendantal est fondé sur l'autorité qui émanerait d'un être suprême (Dieu, Ancêtre, Sorcier, Prophète...). Les sujets obéissent parce qu'ils sont transis par la foi aveugle.

La force a pour fondement une puissance qui résulte des actes de terreur ou de la militarisation à outrance. Les autres membres obéissent par peur d'être châtiés ou punis de mort.

Enfin la compétence se fonde sur le leadership qui recherche toujours l'excellence. Les collaborateurs obéissent pour ne pas faire faillite et sauvegarder l'œuvre commune. Telles sont les trois principales natures du pouvoir qui donnent lieu aux trois principaux régimes que le monde ait connus : le régime hiérocratique pour l'autorité, le régime autocratique pour la puissance et le régime démocratique pour le leadership. On remarque que seul le dernier régime est porteur de développement. Les pays africains qui se retrouvent dans un sous-développement plus grave sont ceux où l'élite a pendant longtemps fait de la hiérocratie et surtout de l'autocratie des régimes privilégiés.

2.3. Troisième conséquence : Les mobiles déterminants de l'activité économique de l'élite déterminent le modèle culturel

D'après la comptabilité nationale, le revenu principal d'un agent économique dépend de sa fonction principale. À ce propos, s'il y a vraiment « une vérité qui blesse » c'est celle qui consiste à découvrir que le revenu principal de l'élite africaine au pouvoir est constitué essentiellement par des deniers publics détournés.

Accéder à un poste dans l'appareil d'État qui permet d'avoir la main mise sur l'une des sources des finances de l'État, telle est la motivation première qui pousse l'élite africaine à prendre le pouvoir par les deux principaux moyens précédemment décriés (le charisme et la force). Dans ce cas, en quoi consiste la fonction principale de l'élite africaine ?

Au lieu de s'approprier et d'affecter à sa guise les facteurs de production comme le faisaient même les seigneurs féodaux ou d'être responsable de l'organisation de la production, et, par conséquent véritable propriétaire des facteurs de production, et de la richesse sociale qui en résulte, l'élite africaine se contente d'opérer simplement des prélèvements fiscaux base de leur revenu principal illicite (deniers publics détournés). Au fond, qu'est-ce que l'impôt ? C'est une part résiduelle du profit réalisé par les bourgeois investisseurs étrangers directs. En réalité, l'élite africaine n'appartient même pas à la race des « prédateurs » des profits. Se contentant des « restes » des profits, l'élite africaine appartiendrait à la race des « charognards ». C'est cette « charognardisation » de l'élite africaine en général, et celle du Congo en particulier, qui expliquerait mieux la déchéance morale et son acceptation implicite des valeurs les plus négatives de tout modèle culturel.

2.4. Quatrième conséquence : Seuls les modèles culturels garantissant un revenu principal fonction des compétences sont favorables au développement économique et social

Des études récentes sur l'histoire des systèmes économiques ont conduit à la conclusion selon laquelle tous les modèles culturels peuvent être rangés dans deux grands systèmes culturels : l'holisme et l'entreprenariat.

L'entreprenariat est le système culturel qui a cours dans les sociétés développées. Ce système culturel de fonde sur :

-          la valorisation des droits de l'Homme en tant qu'être sacré de raison qui doit jouir de toutes ses libertés pour prendre des initiatives contribuant à son bien-être personnel ;

-          le refus des discriminations relevant de la communauté, de la race, de la langue, du sexe, de la religion et même de la famille ;

-          la mobilité sociale ou les possibilités offertes de gravir la hiérarchie sociale grâce à sa compétence et même par un heureux hasard (en gagnant à la loterie nationale...) ;

-          l'attrait des jeux et des arts qui cultivent l'esprit de risque, même celui de perdre sa vie (par accident) ;

-          la grande admiration pour les personnalités qui se sont illustrées par la pratique de l'excellence, en l'occurrence les entrepreneurs ayant réussi ;

-          le recours systématique aux connaissances et pratiques relevant de la science et de la technologie ;

-          le caractère sacré de la propriété et l'obligation faite à l'État de protéger le propriétaire et l'objet de propriété.

Avec un tel système culturel, le climat social fait répandre l'optimisme. Les valeurs sociales intègrent les contraintes de rationalité économique qui se retrouvent en adéquation avec les compétences et les mobiles déterminants de l'activité économique à savoir le revenu le plus élevé possible pour devenir propriétaire des richesses créées. Ce faisant se déclenche une croissance soutenue qui engendre le développement économique et social.

2.5. Cinquième conséquence : Par contre, tout mobile économique permettant l'accès à un revenu principal qui ne dépend pas des compétences, engendre une culture malsaine propice au « développement du sous-développement »

L’holisme est le système culturel qui prévaut dans les sociétés sous-développées. Il s'agit d'un système de valeurs fondé sur :

-          la suprématie de la communauté, de la région, de l'ethnie, de la famille et de la religion sur l'individu ;

-          l'assignation au statut qu'on est appelé à occuper dans la société, consacrant ainsi les discriminations de toutes sortes ;

-          la médiocrité, l'improvisation, le bricolage et les études de problèmes en commissions hétérogènes (ou la Conférence nationale) en lieu et place des experts spécialisés, systématisant ainsi, le recours aux connaissances et pratiques relevant de la tradition et de la routine au point où tout innovateur est rejeté;

-          le peu de considération pour le scientifique, l'expert, le technicien, le génie, le savant, l'entrepreneur, le bâtisseur, en somme, pour tous ceux qui font preuve d'excellence dans leurs activités ;

-          le manque de conviction en une intégration économique régionale ; ce qui est une conséquence de l'absence de nationalisme et de panafricanisme conséquents.

Toutes ces valeurs vont à rencontre de la liberté de l'individu, étouffent les énergies créatrices et freinent les initiatives à la valorisation des intérêts privés du plus grand nombre de citoyens. Un tel système de valeurs culturelles sécrète des agents économiques enclins au fatalisme et qui finissent par former une élite qui a opté pour l'accommodation, c'est-à-dire, que pour elle, la situation étant sans issue, il est préférable de renoncer au changement et de se contenter de survivre en charognard sur le capital étranger. De cette façon, ils renforcement la dépendance économique et perpétuent le sous-développement.

2.6. Sixième conséquence : Tant que la culture demeurera malsaine, non seulement la pauvreté s'intensifiera, mais, surtout, des troubles sociaux se multiplieront et l'élite se retrouvera décapitée

Il convient de faire remarquer que le développement des phénomènes sociaux est régi par une loi objective et implacable à savoir : la loi du développement en spirale. Par conséquent si un mal social (exemple d'un phénomène social négatif) se déclenchait et qu'une solution radicale n'était pas appliquée, le mal ne ferait que se reproduire avec des séquences aux délais de plus en plus courts et avec une gravité de plus en plus intense. Ce développement se poursuivra jusqu'à ce que la masse critique du mal soit atteinte ; ce qui a pour conséquence l'anéantissement du corps social atteint.

La crise de la culture au Congo illustre bien cette loi. Cette crise qui se manifeste par des conflits autour de la « charogne » financière de l'État avait commencé par de petits affrontements aux sagaies en 1959 pour atteindre aujourd'hui l'envergeure de grandes guerres civiles mettant en œuvre des armes de destruction massive.

Une chose semble désormais claire. Les citoyens longtemps désabusés ont fini par comprendre que la cause première de leur misère n'est pas l'impérialisme, mais plutôt leur propre élite. Dès lors, l'étau se resserre autour de l'élite. Les pillages et autres agressions menés par certaines franges déroutées de la population sont de plus en plus dirigés contre l'élite. Celle-ci doit vite réagir en appliquant la bonne solution. C'est une question de vie ou de mort.

2.7. Septième conséquence : La bonne solution consiste à changer de modèle culturel et cela n'est possible que si l’on changeait les mobiles déterminants de l'activité économique

Il faudrait souligner le fait que les leçons de morale seules ne suffisent pas pour faire changer de comportement à l'élite. Les mobiles économiques sont des données objectives qui s'imposent à tout le monde, ainsi qu'à l'élite notamment, et obligent chacun selon son statut à poser des actes déplorables parce qu'il y va de sa survie.

Parmi ces actes, le principal consiste (on ne le soulignera jamais assez) à détourner les deniers publics pour se faire un revenu principal élevé afin de devenir propriétaire d'importantes richesses. Par conséquent, ce ne sont pas les indemnités de fonction, aussi élevées soient-elles, qui grèvent le trésor public. Même en estimant qu'il faudrait en moyenne 5 millions de FCFA d'indemnités mensuelles pour faire vivre décemment un citoyen qui a des charges politiques, une population de quatre cents politiciens (comprenant : Président, Ministres, Députés, Généraux, Préfets...) ne coûtent à l'État que deux milliards de francs. Or, on n'a pas besoin d'autant de politiciens pour une population nationale d'environ 3 millions d'habitants. Ce ne sont pas non plus les fameux 10% tant décriés, mais qui font désormais partie du paysage, des pays surtout au niveau des transactions entre privés.

Le détournement en cause ici consiste à se faire régler effectivement des marchés abusivement facturés pour lesquels les œuvres commandées n'ont pas été construites ou achevées, les produits ne sont pas livrés et les services jamais faits. En d'autres termes, ce sont des détournements qui empêchent la fourniture effective aux hôpitaux des médicaments déjà payés, bloquent la construction des routes et autres infrastructures déjà financées laissant le pays se dégrader et la population s'appauvrir davantage. Un tel détournement est facile à faire parce que les procédures pratiquées dans les finances publiques africaines le permettent aisément : le versement direct et en espèces au client par le Trésor Public sur simple ordre (parfois verbal) donné par une instance gouvernementale. Pour mettre fin au détournement des deniers publics, il faut, non seulement interdire une telle procédure, mais aussi la rendre impraticable. Pour ce faire, les mesures suivantes doivent être prises :

1.     Supprimer le volet « masse commune » du budget de l'État permettant à chaque organisme d'État (ministère, office, etc.) de maîtriser la gestion de la totalité de son budget unique ;

2.     Confier la gestion et le contrôle du patrimoine matériel de l'État à une agence autonome (créée par une loi adoptée par l'Assemblée) ; il s'agit ici, premièrement, d'éloigner les cabinets politiques des transactions monétaires et les amener à se concentrer davantage sur la gestion purement   financière ; deuxièmement, de mettre fin aux pillages perpétrés par les équipes gouvernementales sortantes sous prétexte que cela a été commandé par elles.

3.     Distinguer la fonction publique politique représentée par le cabinet ministériel en fonction, sous contrainte de son propre budget, de la fonction publique d'État dont la gestion et le contrôle devront être confiés à une agence autonome. Cela permet une meilleure maîtrise des dépenses du personnel et la possibilité de soustraire l'administration permanente qui est le fondement de l’État à l'influence de celle temporaire liée aux intérêts politiques conjoncturels. L'agence pourra aussi améliorer les performances de la fonction publique d'État, grâce à une gestion de celle-ci basée sur les plans de carrière et le mérite personnel.

4.     En outre l'agence aura mis fin aux conflits de compétence et au problème de double fichier entre les Directions générales actuelles de la Fonction Publique et de la Solde.

5.     Privatiser toutes les banques secondaires. Cela devrait entraîner l'assainissement du portefeuille de ces banques qui éviteront désormais des crédits irrationnels souvent octroyés sous pression politique par les banques nationalisées parce qu'elles appartiennent à l'État.

6.     Établir une facture pour tout marché dépassant un certain montant puis justifier du respect de la réglementation fiscale et du régime de concurrence en vigueur. On aura ainsi cherché à systématiser l'application de la comptabilité, à prévenir l'évasion fiscale et à faire baisser les prix.

7.     Ne régler les factures visées par la mesure (5), qu'après livraison de l'objet commandé et ce, conformément à la procédure suivante :

a.    Certification du service fait de la facture par cinq organismes de la société civile figurant sur une liste agréée   par   l'Assemblée Nationale et annexée à la Loi des Finances de chaque année. On obtient ainsi une implication effective de l'usager.

b.    Prise en charge de la facture par une banque secondaire.

c.    Obtention du visa de la Chambre Nationale de Compensation (à créer). Cette fonction originelle qui devra s'ajouter à celles, traditionnelles d'une telle chambre, s'apparente à une sorte de publication des bancs alertant tout tiers intéressé par la facture, pour prévenir le non-respect des engagements pris ailleurs et liés au paiement de la facture considérée.

d.    Présentation de la facture au Trésor Public par la banque ; cette facture devient exigible sous réserve des clauses du contrat.

e.    À l'échéance (voir contrat), un règlement est effectué obligatoirement par virement du Trésor Public à la Banque.

7. Eduquer par tous les moyens appropriés les individus (chaque membre de la société selon son statut culturel) à recentrer leurs mobiles économiques en fonction des principaux actes économiques qui caractérisent, d'une part, l'économie privée, d'autre part, l'économie publique (ceci est en fait une conséquence logique des six mesures précédentes) ; en effet, au regard de l'Économie Appliquée tout individu rationnel est tenu de n'effectuer que trois actes à chaque plan.

a. Au plan de l'économie privée

-          Exploiter : l'exploitation d’au moins un facteur de production par l'individu est la condition sine qua non lui permettant de prendre part à la distribution du revenu ;

-          Payer : Pour s'approprier les richesses privées, tout individu doit les payer avec son revenu ;

-          Investir : Tout individu doit prévoir une part de son revenu ou une partie des richesses payées qui pourront faire l'objet de nouvelles exploitations.

b. Au plan de l'économie publique

-          Percevoir :

La perception d'au moins un transfert par l'individu est la seule condition conforme aux valeurs sociales qui l'autorise à participer à la redistribution du revenu.

-          Payer :

Même pour s'approprier les richesses publiques, un individu est obligé de les payer.

-          Cotiser :

II est un devoir impérieux pour tout individu d'affecter une part de son revenu ou une partie des richesses payées (souvent sous-couvert de l'État) aux fonds qui alimenteront de nouvelles perceptions.

On notera que l'acte de payer est indispensable à la fois aux économies privée et publique. C'est pourquoi un tel acte est sacré et se trouve érigé en échéance qui, si d'aventure elle n'était pas respectée, précipiterait l'agent économique responsable dans la déchéance sociale (perte, faillite, condamnations...) et le système économique entier dans la crise (surproduction, stagflation, chômage, pauvreté « développement du sous-développement »). Les pays africains les plus en crise (dont le Congo) sont justement ceux où l'État qui est pourtant le garant de tout ce qui est sacré pour le système économique est le premier à ne pas payer les salaires des fonctionnaires et les factures des quelques rares entrepreneurs qui essaient d'émerger.

3. En guise de conclusion : éléments pour une renaissance culturelle positive

De nombreux auteurs ont souvent considéré la révolution culturelle comme préalable à la révolution industrielle et au développement. Cependant, son contenu reste préoccupant. Nous constatons que la majorité des revendications qui condamnent l'aliénation culturelle est au fond très déroutante pour les peuples africains, comme l'ont prouvé les politiques culturelles de retour aux sources et d'authenticité. Il n'y aurait pas d'aliénation culturelle si l'élite elle-même n'avait pas tronqué son propre modèle culturel.

Pour renaître culturellement l'élite doit rénover le système éducatif en y restituant la place du sage africain. On est aliéné culturellement parce que l'ancien système éducatif avait tué le sage africain. L'élite africaine souffre d'une crise de sagesse. En même temps, le philosophe occidental victime d'une ségrégation idéologique fait figure de personnage de cirque. Or sagesse africaine et philosophie occidentale peuvent se compléter et/ou s'enrichir mutuellement pour donner lieu à une assimilation culturelle génératrice de développement économique. Nous entrevoyons par là la voie suivie par le Japon et l'Asie du Sud Est.

C'est pour faire décider l'élite africaine et surtout congolaise à entreprendre cette voie qu'il serait opportun de poser la question ultime : à quoi peut s'attendre l'élite africaine si elle persistait à s'accommoder de la culture malsaine actuelle ?

La réponse est claire et nette : à la mort. En effet, un système économique sans culture (ou esprit) saine est pareil à un homme possédé par un esprit malin ; il est par conséquent anormal, voire vulnérable et susceptible d'attraper toutes sortes de maladies (crises) dont la folie et de finir par crever s'il n'est pas soigné efficacement. Or, dans un système économique, l'élite constitue l'organe de commandement. De la même manière que chez l'homme malade, c'est la mort du cerveau qui détermine son décès, la fin du système « charognardiste » ne pourra survenir sans la décimation préalable de l'élite qui le sous-tend. Justement les crises socio-militaires qui font de plus en plus rage autour de la « charogne » financière de l'État opposant charognards de diverses espèces prouvent à suffisance que la fin du système actuel est non seulement inéluctable mais qu'elle est même imminente.

Heureusement il existe un espoir : c'est le choix entre mourir totalement (physiquement et qu'en tant que membre de l'élite considérée) et ne mourir seulement en tant que membre de l'élite décadente avec la possibilité de ressusciter dans la nouvelle élite triomphante tout en demeurant physiquement intact.

Cette seconde option qui sauve, est tout à fait réaliste. Il a été démontré, par ailleurs, que 60 % environ d'anciens seigneurs féodaux avaient pu devenir des bourgeois, alors qu'à leur époque ils n'étaient pas suffisamment avertis.

L'élite d'aujourd'hui est trop instruite sur ces questions pour ne pas réagir en conséquence, et cela avant que ce ne soit trop tard. Dans cette perspective, elle doit prendre conscience que vivre des détournements des deniers publics ou de tout autre acte assimilé, est suicidaire.

Il serait temps d'adopter une fonction principale qui privilégierait des actes économiques honorables tels que : exploiter, payer et investir (en économie privée) ; puis : percevoir, payer et cotiser (en économie publique). Ces actes seuls sont capables de rendre chaque individu non seulement beaucoup plus riche qu'on ne le pense, mais surtout chacun le deviendrait honnêtement et le resterait durablement si une élite conséquence décidait (c'est donc une question de volonté politique) de réaliser non pas forcément une révolution culturelle mais tout au moins une renaissance culturelle. Celle-ci suppose le rejet de ce que la culture africaine et tout autre culture étrangère, celle de l'occident notamment, contiennent de négatif et l'assimilation de ce que toutes ces cultures ont de positif.

Toute acculturation n'implique pas aliénation. La sagesse africaine n'est pas fondamentalement en opposition avec la philosophie occidentale sur les valeurs telles que l'esprit communautaire (qui sous-tend dans une certaine mesure le nationalisme ou le panafricanisme), l'honnêteté, le respect de la parole donnée et de la chose d'autrui... Il y a plutôt aliénation quand l'acculturation se fait en marge du système éducatif ; elle est donc non maîtrisée.

 

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