Joseph MFOUNDOU,

La scolarisation des enfants des populations autochtones Congo

Évry, CesbcPresses, 1er tirage septembre 2017, 212 pages

ISBN : 979-10-90372-15-3

 

Préface

 

Les recherches consacrées à la scolarisation des enfants des populations autochtones dans le Bassin du Congo sont rares, l’ouvrage de Joseph Mfoundou est donc à la fois bienvenu et précieux. Ce travail universitaire est basé sur une enquête de terrain dans la ville de Gamboma (Département des Plateaux) et qui a débuté en 2002. L’objectif principal de l’auteur est clairement énoncé, il souhaite faciliter l’intégration des pygmées à travers l’école : quelles démarches et stratégies sont-elles susceptibles de faire de l’école un facteur facilitateur et dynamique incontournable pour l’épanouissement des enfants pygmées en République du Congo – pays où tout enfant ayant atteint l’âge de six ans a droit à l’éducation scolaire délivrée par l’Etat et où la scolarité est obligatoire jusqu’à l’âge de 16 ans. Mais un enfant pygmée vivant sur le territoire congolais est-il un enfant comme les autres ? L’auteur commence par revenir sur les obstacles qui jonchent le chemin de la cohabitation entre les populations bantous et les populations pygmées. Notons que ce processus de catégorisation (Bantous/Pygmées) ne fait que réifier une différence vécue de part et d’autre mais qui apparaît moins nettement lorsqu’on est attentif à certains cas locaux – par exemple dans le gros village Ngoua II (Département du Niari) qui doit son existence à l’intense exploitation forestière réalisée dans la région par plusieurs sociétés forestières, des couples issus de l’union entre de jeunes hommes bantous et de jeunes filles pygmées donnent naissance à des enfants et concrétisent des liens matrimoniaux d’un nouveau genre.

L’intégration des minorités sociales en milieu scolaire est un vrai défi pour les Etats d’Afrique centrale. Les pygmées, dont le nombre très approximatif est évalué à 700 000 personnes (entre 300.000 et 500.000 personnes dans le texte de l’auteur), ont pour spécificité d’être nomades ou bien de vivre regroupés dans un même quartier situé à l’une des deux extrémités des villages, le long de la route principale. Généralement, ils n’ont ni état civil ni carte d’identité. La troisième partie de l’ouvrage revient sur différentes initiatives régionales. Au Gabon, au début de l’année 2002, le Bureau de l’UNESCO à Libreville a lancé le projet Protection des ressources culturelles des Pygmées du Gabon et leur intégration dans le processus de développement, et une ONG basée à Libreville, Le Mouvement des Minorités Autochtones, indigènes et Pygmées du Gabon (MINAPYGA), œuvre à l’alphabétisation des populations pygmées pour les sortir du sous-développement. Au Cameroun, la méthode d’enseignement « Observer, Réfléchir, Agir » (ORA) vise à introduire progressivement les enfants pygmées aux écoles publiques ; le Foyer Notre-Dame de la Forêt (FONDAF) fondé par des religieuses puis confié à des laïcs, accueille et forme des enfants pygmées Bagyeli et les prépare à la sédentarisation. Dans son étude réalisée auprès des Baka de l'est du Cameroun, l’anthropologue Ydé Henriette Manga Ndjie Bindzi Mballa évoque l’idée que l'école moderne devrait être conçue en complémentarité avec l'école traditionnelle. Les pygmées minimisent le rôle de l’école du blanc car ils estiment qu’ils ont leur propre école qui leur apprend notamment les vertus des sèves, des racines et des feuilles d’arbres.

On peut effectivement se demander quel savoir scolaire doit être transmis à l’école primaire et à quelle fin ? Les enfants pygmées des classes primaires de Gamboma interrogés par Joseph Mfoundou disent majoritairement qu’ils viennent à l’école pour savoir lire, écrire, parler et calculer. Un petit nombre veut apprendre à parler français. La majorité des élèves rencontre effectivement des difficultés particulières en français qui reste la langue utilisée pour la communication pédagogique. Les enfants pygmées, comme les autres enfants congolais, espèrent pouvoir se faire une place dans la société et avoir un jour du travail. Et quand ils se retrouvent entre eux au fond de la cour, ils s’amusent au jeu du « féticheur » où chacun joue un rôle précis durant la scène de guérison, de désenvoûtement ou d’exorcisme. L’auteur évoque les difficultés (financières, matérielles et psychologiques) qu’il a rencontrées au cours de son étude. Si beaucoup de parents pygmées ont refusé de prendre part aux entretiens qu’il avait prévus, s’est-il assuré qu’ils parlaient eux-mêmes le français (la langue de l’enquête) ? La relation d’enquête était d’emblée asymétrique.

Les élèves pygmées étant victimes de violences, railleries et intimidations de la part des enseignants et élèves bantous, ont tendance à fuir l’école. Mais en même temps, la désertion scolaire des élèves pygmées n’est pas seulement due aux mauvais traitements mais aussi au fait de la mobilité qui particularise la vie de leurs parents. Les nombreuses recommandations en direction des responsables de l’éducation scolaire qui terminent l’ouvrage restent louables mais ne peuvent être réalisables sans une politique publique d’éducation qui se situe au-delà de l’échelle nationale.

Dans les pays africains, l’obligation scolaire, le plus souvent inscrite dans une loi et dans les traités internationaux signés par les États ou dans leurs Constitutions, n’est guère appliquée : de nombreux enfants ne vont pas à l’école. C’est le cas des enfants des familles pygmées mais aussi des familles défavorisées, qui ont un accès restreint à l’offre scolaire du fait de la répartition inégale de l’offre scolaire ou d’un accès trop coûteux. L’absence de politiques publiques destinées à lutter contre les inégalités scolaires explique pour partie qu’en dépit des discours des États en faveur d’une école pour tous, de nombreux enfants en sont encore exclus. L’impératif scolaire s’impose aux pays africains, à la fois pour des raisons économiques – qu’il s’agisse d’améliorer leur position dans la division internationale du travail, de réduire la pauvreté, ou d’accéder à une aide internationale de plus en plus intégrée dans le cadre des programmes stratégiques de croissance et de lutte contre la pauvreté –, ou pour ne pas se retrouver au ban de la communauté internationale pour avoir refusé de reconnaître l’un des droits fondamentaux de l’enfant. L’éducation scolaire constitue sans conteste un enjeu politique, social, culturel et économique important. Quelle école voulons-nous pour les enfants africains de demain ?

 

Véronique DUCHESNE

Maître de conférences en anthropologie, HDR, Université Paris Descartes Paris V, Faculté des Sciences sociales et humaines, Chercheuse au CEPED - UMR 196 IRD - Université Paris Descartes, www.ceped.org

 

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