CesbcPresses

Indicateur éditeur  979-10-90372

Centre d'études stratégiques du bassin du Congo = ISSN  2493-5387

 

 
 

 

 

 

Les traditions bantu de Villa Mella, en République Dominicaine:

patrimoine oral et intangible de l’humanité

 

La République Dominicaine est un pays des grandes Antilles, en mer des Caraïbes. Elle fut la première colonie espagnole du nouveau monde, quand Christophe Colomb la découvrit en 1492 et la baptisât Hispaniola. Suite à l’occupation française d’une partie de l’île, le Traité de Ryswick (1697), le Traité d’Aranjuez (1777) et celui de Bâle (1795) diviseront l’ile en deux parties : l’une française (Saint-Domingue, puis Haïti) et l’autre restera espagnole (République Dominicaine, aujourd’hui).

C’est le pays d’Amérique où furent construits la première cathédrale, le premier hôpital et la première université ; un pays qui contient des trésors architecturaux.

L’actuelle République Dominicaine fut une zone de culture intensive de canne à sucre dès le XVIème siècle et cela avait nécessité une importante main-d’œuvre servile d’Africains qui y arrivèrent en masse et dont les origines ethniques furent minas, yoroubas... mais surtout kongo, selon Carlos Hernandez Soto(1), anthropologue et directeur du musée de l’homme de Santo-Domingo. 

Le plus grand personnage des mouvements de résistance contre le catéchisme colonial à Santo-Domingo est Sebastian Lemba, un esclave fugitif d’origine kongo, expert dans l’art de la guerre. Avec une bande de 140 guerriers, ils attaquaient les plantations de Santo-Domingo. La plus célèbre attaque est celle de San Juan de la Maguana où, malgré les contre-raids du gouverneur espagnol Diego Gomez Sandoval, Sébastien Lemba et sa troupe les prenaient toujours à la hauteur. Il a tiré sa révérence en 1547 et sa statue est érigée devant le musée de l’homme de Santo-Domingo, en tant que héros national de la nation dominicaine. En 1796, lors de l’insurrection des esclaves, conduite par Boca de Nigua, plusieurs esclaves kongos y participèrent.(2) 

Dans la localité de Villa Mella (San Felipe de Villa Mella), une municipalité du Nord de l’île, à dix kilomètres de la capitale Santo-Domingo, localité constituée à 95% d’Afro descendants d’origine kongo, les traditions africaines, particulièrement kongo et ambundu, se sont perpétuées de génération en génération, depuis près de 400 ans (depuis le XVIIème siècle) par le biais de la « Fraternité du Saint-Esprit des Kongos de Villa Mella » (Confradia del Espiritu-Santo de los Kongos de Villa Mella). Les membres de cette fraternité se sont associés pour l’entraide multiforme et ont comme saint patron le Saint-Esprit associé à Kalunga, (l’un des attributs de Dieu, chez les Kongo. Kalunga représente le Dieu des eaux, donc des morts et des ancêtres, dont la couleur est le blanc (mpembé) et le lieu de résidence l’Océan (Mpemba).

En effet, John M. Janzen, professeur émérite d’anthropologie à l’Université du Kansas, aux Etats-Unis, et Wyatt Mac Gaffey, professeur émérite d’anthropologie au Haveford collège, en Pennsylvanie, dans leur anthologie de la religion kongo publiée, en 1974, à l’Université du Kansas, aux Etats-Unis d’Amérique, (Cahier d’anthropologie n°5), nous disent que « les Kongos pensent que la terre est une montagne sur un océan d’eau qui est la terre des morts appelée Mpemba... Les Kongos pensent que le monde ressemble à deux montagnes opposées à leur base et séparées par l’océan. A la levée et au coucher du soleil, les vivants et les morts se changent le jour et la nuit... La mort, chez les Kongos, est changement de corps et de location...».

Ceci nous rappelle, également, les travaux du célébrissime historien de l’art africain, Robert Farris Thompson, qui enseigne à l’Université de Yale, l’un des établissements d’enseignement supérieur le plus prestigieux aux Etats-Unis d’Amérique et dans le monde, dans son ouvrage : « The four moments of the sun: Kongo art in two words » (Les quatre moments du soleil: l’art kongo en deux mots) (1981).

Les membres de la Fraternité du Saint-Esprit doivent impérativement être des musiciens ou des danseurs. Ils sont naturellement désignés comme « congueros ». Ces derniers célèbrent la fête du Saint-Esprit, le jour de la pentecôte, avec des tambours. Le tambour kongo-mayor (Le tambour majeur), le « conguitos » (tam-tam mineur).

Le tambour « kongo-mayor » fait vibrer la voix du Saint-Esprit, pour danser la danse kongo ; au cours de cette fête du Saint Esprit, les membres de cette fraternité se livrent à un rituel comportant prières, danses et chants, ainsi qu’une procession pendant laquelle est transportée la colombe représentant le Saint-Esprit. 

La Fraternité des Kongo de Villa Mella célèbre, également, les rites mortuaires, par une veillée funèbre, accompagnée d’une procession au cimetière et le neuvième jour du deuil par une récitation de prière devant un catafalque à trois étages contenant une poupée qui représente le défunt. 

Pour la cérémonie du Banko, qui se déroule trois ans après le décès, le même catafalque est préparé et les vivants prennent congé du mort qui devient alors un ancêtre. A cette occasion, tous les invités dansent le rythme kongo. Dans son ouvrage « Morir en Villa Mella : ritos funerarios afrodomenicanos », l’anthropologue dominicain, Carlos Hernandez Soto, attribue une coloration kongo aux croyances nécrologiques de Villa Mella. Il cite des chants, des danses des veillées, des recueillements, de processions, d’enterrements et de souvenirs tels que les Bembe-Yagua (chants d’eau), ce qui peint le caractère hydrogonique des croyances liées à la mort à Villa Mella. Les oraisons sont appelées « Alabanzas » (pensées) et l’une des prières notoires est le « Pembue Chamaline » durant laquelle les membres de la fraternité souhaite vivement que le défunt arrive dans l’au-delà (Kalunga), dans la quiétude (Mbembwa). Carlos Hernandez Soto parle également de l’existence, chez les Kongos de Villa Mella, de la cérémonie du Kumba (séparation) des chansons Bembe Koko (reconfort solidaire), Mama Yungue (Berceuse) Oh Konde (regret); Gayumba Eh (rédemption) Antonio Bangala (fin) et entre autres chants en kikongo créolisés. Chez les Kongos de Villa Mella, la terre est nommée « ntoto » et le ciel « nzulu ». Outre Villa Mella, la langue kikongo se parle à Dajabon, Altagracia et Monte Plata. 

La Fraternité du Saint-Esprit des Kongos de Villa Mella constitue une des expressions socio-culturelles majeures et singulières de la République Dominicaine. Le 18 mai 2001, l’Unesco a proclamé « La Fraternité du Saint-Esprit des Kongos de Villa Mella », patrimoine oral et intangible de l’humanité, richesse culturelle universelle, à savoir : musique, danse, organologie, rites funéraires, langue, littérature orale (expressions essentiellement kongo) ainsi que son système d’entraide mutuelle qui est une institution très efficace d’intégration socio-culturelle. 

En 2006, le gouvernement dominicain et le Musée de l’homme dominicain, en collaboration avec l’Unesco, ont adopté un plan d’action pour protéger l’espace culturel de la fraternité. Ce plan d’action vise à sauvegarder la mémoire sociale du groupe ainsi que ses musiques, ses danses et techniques de fabrication des instruments musicaux. 

Le classement des traditions bantu d’Afrique centrale, essentiellement kongo, au patrimoine mondial de l’humanité (Unesco) n’est pas une première pour le cas de Villa Mella. En Colombie, l’espace culturel de San Basilio de Palenque où les survivances linguistiques et rituelles sont majoritairement kongo et ont été proclamés « chef d’œuvre du patrimoine oral et intangible de l’humanité » par l’Unesco. 

Le Carnaval de Barranquilla en Colombie, constitué de plusieurs danses kongo et que certains éminents ethnomusicologues colombiens, comme Martin Orozco Cantillo, qualifient de « ballet de danse kongo », la fête folklorique et culturelle la plus importante de Colombie, le troisième au niveau mondial. Il a été inscrit, en 2008, au patrimoine culturel et immatériel de l’humanité, par l’Unesco. 

Le carnaval de Rio de Janeiro, la fête la plus populaire au Brésil, et aussi l’un des carnavals le plus populaire du monde, née dans les communautés d’esclaves fugitifs au Brésil « Les quilombo »,(3) lors de la célébration de la cérémonie du couronnement du roi kongo (Festas de coroaçao dos reis do Kongo), où les esclaves dansaient et chantaient les « canto do Kongo », ipso facto, sera-t-il légitime de parler de « l’exception culturelle kongo aux Amériques »?

 

_________________
 

Notes


1. Carlos Hernandez Soto, (2012), 
¡ KALUNGA EH ! Los Congos de Villa Mella, WeBooks, 145 p.

2- Jesus Alberto Garcia, (1995), « La diaspora de los Kongo en las Americas y los Caribes », Paris, Unesco.

3- Linda Heywood, (2002), Central african and cultural transformations in the american diaspora, Cambridge University Press. 

 

Bibliographie

 

MERENGUE, Paul Austerlitz: M(1997),

Dominican music and dominican identity, Philadelphia, Temple University Press.

SOTO, Carlos Hernandez et Edis SANCHEZ, (1997),

« Los Congos de Villa Mella: latin american music review », IN; Revista de musica latino-americano, vol 18, n°2, Antumn-winter, 1997, pp 2 97-316. 

KUSS, Malena, (2004),

Music in Latin America and the Caribbean: an encyclopedic history, University of Texas Press, 553 pages

Morton Marks, (1983),

Afro-dominican music from San Cristobal, Dominican Republic, New York City, Folk ways, Ethnic folkways Library.

REY, Nicolas, (2005),

Quand la révolution, aux Amériques, était nègre,. Caraïbes noirs, negros franceses et autres "oubliés" de l'Histoire, Préface d'Elikia M'Bokolo, Paris, Karthala, 221 pages.

THOMPSON, Robert Farris and CORNET, Joseph, (1981),

The four moments of sun : Kongo art in two words, Washington, National Gallery of Art, 24 pages

Susan Cooksey, Hein van Hee, Samuel P. Harn, (2013),

Kongo across the waters, University Press of Florida.

 

 

 
 

 

Copyright © 2006-2020 Centre d'études stratégiques du bassin du Congo   -   Tous droits réservés