Georges BALANDIER :

Notre patrimoine (commun), mon moniteur (et/ou) mon maître, mon itinéraire

 

 

 

Introduction

 

C'est une question de l'actuel, la disparition, le 05 octobre 2016 de Georges BALANDIER, notre paterfamilias ; initiateur de l'anthropologie urbaine, de la chirurgie sociale à Brazzaville. C'est alors que naissait une véritable perspective historique sur les nouvelles villes naissantes en Afrique Centrale. D'abord, au-delà des mots, une question de définition.

 

1. Un patrimoine, notre patrimoine

 

Un patrimoine, nom masculin. Contrairement aux apparences, le mot n'est pas formé de la jonction de patrie et de moine, mais de patrinionium (patrimonium en latin désigne un bien de famille), il renvoie directement au paterfamilias et à son héritage du passé. Le patrimoine peut être foncier, financier, immobilier, culturel, immatériel, etc... Le patrimoine dont on. peut parler ici est familial (pour les chercheurs Congolais, Africains...). Il est collectif et à ce titre renvoie bien à la patrie (au territoire, à cette terre Congolaise) Capitale de la France Libre, Brazzaville, ville éternelle de cette France Libre, ville consciente de son héritage culturel. (D'où cet hommage solennel). Finalement, une question peut se poser ! Pourquoi Brazzaville avait-elle autant fait parler d'elle, Symbole d'espoir ? Capitale fédérale de l'époque de l'AEF (Afrique Equatoriale Française), qui incarnait dans l'imaginaire collectif des adolescents de l'AEF, le lieu de toutes les opportunités et de la promotion sociale, plus tard. Centre de la formation administrative des cadres d'Afrique Centrale, centre où vont être implantés des instituts tels dans le secteur de la recherche (l'Institut Pasteur...), les écoles de cadres, d'officiers, etc..., de formation des prêtres, des administrateurs, et des infirmiers mobiles.. .etc.

 

En 1946, on implante dans les locaux de l'ancien centre de recherches ethnologiques, établi dans la réserve forestière, l'institut d'études Centre-africaines devenu, ORSTOM ; (Office de recherche scientifique et technique d'outre-mer) aujourd'hui IRD. Les travaux de l'institut vont couvrir divers domaines des sciences sociales et naturelles. Cette intervention m'offre une promenade, une flânerie au cœur de ce laboratoire, premier né, d'un

institut des sciences sociales en 1948, donc ici le patrimoine dont il est question est tout ce qu'on va hériter de notre paterfamilias, notre ancêtre, notre « noko » c'est-à-dire Georges BALANDIER, c'est alors, qu'il devient notre repère, notre rétroviseur qui nous permet de voir cette évolution.

 

L'UNESCO propose la définition suivante. Le patrimoine, c'est l'héritage du passé. (Ici de Georges BALANDIER). En effet c'est en Automne 1948 dit-il qu'il reçoit l'ordre de son affectation à l'Institut d'études centreafricaines

de Brazzaville où il avait la mission de créer le département des sciences sociales. Il met à profit les périodes mortes qui séparaient ses enquêtes de reconnaissance aux alentours (page 266, dans Conjugaisons). Sa mission s'ouvrait avec l'arrivée à Brazzaville d'un jeune Haut-commissaire socialisant dépourvu d'idées préconçues, Bernard CORNUT GENTILE, qui connaissait peu l'Afrique et voulait s'informer, ce qui facilita le travail d'implantation des sciences sociales à Brazzaville. Pour lui l'Afrique va être comme sa véritable Sorbonne. Dans son entretien recueilli par Romuald Biaise FONKOUA dans la revue des littératures du sud : Notre Libraire (n°153, janvier-mars 2004) Georges BALANDIER dit ce qui suit :  « Lorsque j'évoque l'Afrique (c'est comme ma véritable Sorbonne). Je ne le fais pas par flagornerie. C'est l'Afrique de ce moment-là qui a été ma véritable éducation.)», (page 84). Et dans sa préface au livre Dandies à Bacongo, paru en 1989 (Paris, L'Harmattan) de Justin Daniel GANDOULOU, un de ses disciples en Anthropologie sociale et culturelle qui enseigne aujourd'hui les sciences sociales à l'Université Haute Bretagne à Rennes 1 et 2 (France). Dans cette préface, il explique encore en quoi cette Afrique a été sa Sorbonne, son école initiatique et formatrice. Voilà.

 

« Depuis les années cinquante, le Congo et ses villes ont été soumis à l'observation scientifique, celle des Anthropologues, et des sociologues, des géographes et des démographes, des historiens et des économistes. Une concentration d'études au moment où une transition s'effectue, où le développement est en voie de se faire et l'indépendance de parvenir à son accomplissement ». Dirait, BALANDIER : il continue (encore une fois à Brazzaville)

 

« C'est le temps où ma présence au Congo, me permet de parachever mon éducation africaine (ce mot éducation revient) encore (commencée à Dakar et à Conakry et mes engagements ; elle fait naître ma contribution à la théorie de la situation coloniale à une sociologie actuelle de l'Afrique noire ; elle provoque avec la publication de ma « sociologie des Brazzavilles noires », l'une des premières explications anthropologiques des villes africaines » (Page 5).

 

De la place de cette capitale, Brazzaville, creuset de cet héritage, Georges BALANDIER est devenu notre véritable patrimoine. Comme chez les laari, il va nous léguer une dot à porter, selon l'adage « Wa dia fwa yika dio » ce qui veut dire ; si « tu hérites, un bien, actives toi à le fructifier ». Disent les lettrés Kongo. Il nous a laissé, ce fwa, ce bien précieux ce qui devient tout un programme, un agenda (ce qu'on doit faire et une (légende ?). Ce qu'on se doit de lire. Toute une méthodologie du reste.

 

Deuxièmement :

 

BALANDIER Mon moniteur, mon maître et mon itinéraire Pour ma part, étudiant en sociologie à l'Université François RABELAIS de Tours (France), dès 1971 où j'avais des professeurs aussi éminents en sociologie de la connaissance et du théâtre comme (Monsieur le professeur Jean DAVIGNAUD, aussi professeur titulaire à la Sorbonne).

 

Roger ESTABLET, spécialiste de la sociologie de l'éducation et de Madame Madeleine GUILBERT en sociologie du travail et en démographie, etc... Jamais je n'avais entendu parler des travaux de Georges BALANDIER et je ne m'étais pas intéressé à Georges BALANDIER jusque-là. Enfin en 1981, avec le colloque « les sociologies » à l'université de Strasbourg (en Alsace) en avril 1981 et en juin 1982 à Paris.

 

En juin 1982, Les sociologies II à Paris 5 Sorbonne, où le thème est Sociologie et Anthropologie de la vie quotidienne (approches méthodologiques) où je venais d'être recruté à l'INSSEJAG à l'université Marien NGOUABI (février 1982) et y était invité par le professeur Michel MAFFESOLI. Les deux colloques de « Sociologies » étaient sous la présidence du professeur Georges BALANDIER et du professeur Michel MAFFESOLI.

 

Après ce colloque Sociologie II je m'engouffre dans la sociologie de la vie quotidienne, c'est donc le lieu de vous parler maintenant de Georges BALANDIER ; Mon maître mieux, mon moniteur et mon itinéraire...

 

Essai de définitions

 

Je prends spécialement, le mot moniteur, nom masculin, comme à l'origine de nos maîtres des écoles primaires coloniales, moniteur étymologiquement du verbe latin, moneo, es, ui, monitum veut dire faire penser à, rappeler, avertir, d'où éclairer, instruire, instruction, le moniteur primitivement de monitor (était un souffleur, celui qui rappelle, qui avertit, qui vous rafraichit la mémoire, un conseiller, un guide, un instructeur, aujourd'hui à partir de mes travaux de recherches ou communications lors des journées scientifiques, j'en suis un des disciples de BALANDIER, un alumnus. Il aura creusé mon sillon, tracé mon itinéraire.

 

« La sociologie des Brazzavilles Noires » va être en l'occurrence mon armature bel et bien omme il le dit si bien dans sa deuxième parution du livre La sociologie des Brazzavilles Noires (1985) il dit ce qui suit : « Les Brazzavilles Noires » ne sont pas simplement un témoignage significatif sur la naissance d'une ville symbolique. C'est un ouvrage de méthodes pour remonter le temps, comme on remonte une montre". Page 282.

 

Troisièmement :

 

« La sociologie des Brazzavilles Noires » va s'avérer être une méthodologie particulièrement féconde et fertile, elle va nous inspirer. Cela part du colloque Sociologie II en 1982 à Paris sur le thème Sociologie et Anthropologie de la vie quotidienne sous la direction du Professeur Georges BALANDIER et Michel MAFFESOLI, va réunir en juin 1982 des sociologues de différentes nationalités (Français, Suisses, Italiens, Belges, Allemands, Canadiens, Brésiliens et Africains). Alors que je travaillais sur une thèse de doctorat à l'Ecole des Hautes Etudes en sciences sociales (EHESS), sur les incidences de la Monétarisation de la dot chez les Laari en 1982.

 

C'est le tournant de mes recherches.

 

Dorénavant je vais m'orienter essentiellement vers la sociologie et l'anthropologie de la vie quotidienne. Et tel le titre de mes recherches ainsi citées (faisant foi). Quelques-uns de mes travaux vont me permettre de puiser ma « substantifique moelle » dans la sociologie des Brazzavilles Noires (1955). A partir de là je vais plonger dans la sociologie du vécu, de l'actuel et du quotidien, centrée sur les réponses que le citadin tente d'apporter à des situations instables propres à une ville coloniale en complète transformation. Avec Georges BALANDIER, de tout ce qui précède, devient mon souffleur, mon moniteur au sens étymologique du terme, bref, mon incubateur de recherche.

 

Parmi mes différents travaux II y a « L'histoire du Congo à travers les noms de rue à Brazzaville » que je présente lors des Journées d'étude sur Brazzaville. Actes du Colloque, en partenariat avec l'ORSTOM, Programme Santé et Urbanisation, Association des Géographes du Congo 25-28 avril 1986 Brazzaville, avec la Mission Française de Coopération et d'action Culturelle.

 

L'objet de mon étude visait à utiliser la rue, patrimoine culturel dans les « Brazzavilles Noires » comme outil méthodologique, sorte d'itinéraire historique rendant compte de l'histoire du Congo depuis les origines à la pénétration (avant 1880), la période coloniale (1889-1959), la décolonisation et l'indépendance (1958-1960 à 1963).

 

Pourquoi la rue ?

 

Et bien Parce que Brazzaville s'est toujours distinguée des autres capitales de la communauté économique et monétaire de l'Afrique Centrale (CEMAC) (avec ses capitales, Libreville, Ndjamena, Bangui, Yaoundé et aussi en Afrique subsaharienne) française, Brazzaville (est) étant la seule capitale ayant des rues portant des noms et

ayant aussi un adressage et un service postal.

 

BALANDIER en parle dans la « Sociologie des Brazzavilles Noires » (1955) et dit à propos des noms de rue, ceci (page 27): « les dénominations même des rues ne manquent pas d'être caractéristiques de chacun de ces centres ». A Poto Poto, elles rappellent l'origine ethnique des premiers Habitants qui les ouvrirent : rue des Mongos, rue des Kassais, rue des Mbochis, rue des Dahomey, rue des Banziris, rue des Ngwaka, etc... Ces noms soulignent surtout l'extrême passage ethnique qui caractérise ce centre (Poto Poto). A Bacongo les dénominations sont de nature radicalement étrangères et rappellent les grandes personnalités de l'histoire politique et de la littérature Française : rue Montaigne, rue Voltaire, rue Condorcet, rue Jeanne d'ARC, rue Surcouf, rue Jean Bart, rue Alexandry, rue Moll, rue Archambault (des militaires), rue Berlioz (musicien), des administrateurs coloniaux, rue Victor AUGAGNEUR, rue Raphaël ANTONNETI, rue Félix EBOUE, rue Janine VIALLE, etc...

 

Ce centre ne se définit pas par rapport à des particularités ethniques mais rappelle son caractère de dépendance du quartier administratif, quartier typique de la présence française, des missionnaires catholiques (Père Drean, Père Bonnefont, rue mère Marie, première religieuse Française, à Brazzaville et un missionnaire protestant suédois, John Sodergreen de 1925 à 1947, Président de l'Eglise Evangélique Protestante du Congo)

(page 28). Le deuxième travail s'intitulait Brazzaville : une ville des migrations, pour une perspective de sociologie historique, communication faite aux journées scientifiques. « Populations, environnement et développement ». Brazzaville 17, 18, et 19 Décembre 2008.

 

Ici donc encore une fois « Les Brazzavilles Noires » montrent combien sur le plan méthodologique, aux tournants des années cinquante, l'étude des Brazzavilles Noires devait d'abord être sociologique et culturelle mais aussi Brazzaville va devenir au terminus des routes fluviales desservant le haut Congo et l'Oubangui (fleuve et pays), à l'époque, à cause, géographiquement de la rupture de charge (au moment où le trafic fluvial devient impossible), et les marchandises acheminées par le Chemin de Fer Congo Océan (CFCO). Un lieu de La migration va être le vecteur principal de l'accroissement démographique des deux Capitales (Kinshasa et Brazzaville) que GONDOLA définit comme étant deux « villes Miroirs » (expression de Charles GONDOLA) et selon Samir Amin (Balandier) Brazzaville ne devra son expansion qu'au rôle de capitale administrative, conférera celui-ci à défaut de rationalité économique.

 

Brazzaville sera le chef-lieu administratif des colonies de l'AEF. Donc les migrations vont fixer au coeur de l'Afrique Centrale pendant la période coloniale, deux capitales, Brazzaville et Kinshasa, Les deux villes miroirs.

 

Et troisièmement ;

 

Ma thèse de doctorat qui a abouti à la parution du livre intitulé Imaginaire et quotidien à travers le discours du kiosque à Brazzaville, CesbcPresses, Collection Tema, Septembre 2013. La thèse a été soutenue à la Faculté des sciences sociales, politiques et économiques de l'Université Libre de Bruxelles (ULB), le 20 mai 1998, à Bruxelles, Belgique.

 

Et depuis progressivement

 

Quel est l'objet de ma thèse ? Dans les années 70-80, en effet, l'urbanisation et la crise multiforme vont faire naître dans les rues de Brazzaville, un objet urbain qui exprime bien la multi fonctionnalité de ces rues (en tant que lieu de débrouille, d'échanges, de discours, de la violence etc...), est le kiosque.

 

Le kiosque, ce signe du banal, du quotidien, qui dit et fait la ville pour les milieux dont il est l'émanation, représente un excellent support de l'analyse d'une nouvelle culture suburbaine à Brazzaville. Le kiosque jusqu'ici n'aura été traité que comme fait purement économique, cela s'inscrivant dans ce que l'on a pris l'habitude d'appeler les petits métiers.

 

Pour notre part, le phénomène kiosque (jusqu'à ce jour) est une invention culturelle d'abord, ce kiosque parle à la rue, mode d'expression de cette subculture urbaine dont les jeunes Brazzavillois en sont les acteurs.

 

Une balade guidée dans les couloirs, de l'imaginaire Brazzavillois, c'est bien à cela que nous convie cette exploitation des signes affichés (enseignes) et du discours en ce « lieu public » statique et ambulant qu'est le kiosque.

 

Ce kiosque, lieu de discours en est devenu également un espace de sociabilité et dans cette nouvelle ville, le bar dancing aussi apparaît, dans cette « situation coloniale » comme un lieu de retrouvailles collectives, un lieu de sociabilité susceptible de créer, une convivialité brisée par l'urbanisation sociale et l'individualisme sécrétés par le salariat, une sorte de nouveau « Mbongui » comme le kiosque refaçonné par les néo-citadins.

 

Ainsi, en tant qu'observatoire urbain, il se j^ésgflferraHnm^çe^que BALANDIER (dans les Brazzavilles Noires (1955)) appelle/rin laboratoire d'innovation.

 

Toujours dans l'entretien recueilli par Romain Biaise FONKOUA à Georges BALANDIER, s'agissant du domaine de la culture dans les villes Africaines. Il dit ceci : « Je crois qu'il y a en Afrique un désir de créativité qui reste entier. On est fasciné par la créativité de certains plasticiens, (Ecole de Kinshasa, Ecole de Dakar du temps de Léopold Sédar SENGHOR, j'ajoute l'école de peinture de Poto Poto) par la création musicale (au Sénégal, en Côte d'Ivoire, au Nigeria ou au Congo) ; par la mode et le stylisme inspiré du symbolisme des couleurs et des formes africaines, par l'explosion des écritures littéraires (que Bernard MOURALIS étudie depuis longtemps), par l'inventivité de l'économie de l'informel et des modes de vie quotidienne. C'est cette inventivité générale que l'Afrique est en train de cultiver. Elle développera en lui donnant un pouvoir de performance plus étendu des formes modernes et originales à la fois (page 86), (la ville est avant tout le creuset de nouvelles sociabilités) » (page 287).

 

Enfin s'il considère l'Afrique comme « sa véritable Sorbonne » (page 105), c'est qu'elle est l'armature de ses recherches ultérieures ; le lieu où il accorde à la fois à une méthode et à un mode d'interprétation qui lui permirent ensuite de mieux saisir, grâce à un effet de « décentrement » les conditions de sur modernité de sa propre société confrontée à son tour, à un "exotisme intérieur" sous les effets d'une informatisation et d'une médiatisation effrénées.

 

Voilà Mes dames et Messieurs, chers collègues le libellé de ma communication.

 

Voyez-vous cela s'adresse aussi aux étudiants et doctorants.

 

Un colloque, au sens étymologique. C'est une réunion, une rencontre, un colloqum, un rassemblement, où les chercheurs de différentes disciplines essaient de faire le point (comme les marins) sur l'avancement dé leurs travaux, surtout pour aiguiser les méthodologies, les hypothèses de recherches etc...) et donc se faire des critiques constructives.

 

C'est à partir des colloques auxquelles j'avais toujours trouvé mon sillon, mon itinéraire, ma voie, c'est dire qu'on apprend beaucoup.

 

Cette rencontre pour moi aura été un recadrage de mes travaux où je m'aperçois aussi qu'il est ma véritable colonne vertébrale, et/ou l'armature de mes recherches va être la Sociologie des Brazzavilles Noires.

 

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