Patrice NSOUAMI

 

Docteur en Sciences de religions de l'Université Protestante d'Afrique Centrale de Yaoundé

Pasteur de l'Eglise Evangélique du Congo

Chargé de cours et enseignant d'éthique à la

Faculté de Théologie Protestante et des Sciences Religieuses

Université Protestante d'Afrique Centrale, Yaoundé, Cameroun

 


 

 

La sauvegarde de la création.

Défi du Conseil œcuménique des Eglise.

Essai sur une vision chrétienne de l'écologie

Corbeil-Essonnes, Editions ICES, 2008, 277 pages

ISBN : 2-910153-54-1

 

CONCLUSION

Le monde est comme suspendu à un redoutable défi à relever : Comment rétablir, sinon maintenir l’équilibre entre d’une part, le nombre d’habitants en croissance, leurs besoins et, d’autre part, les pressions sur les ressources naturelles en général et la diversité biologique en particulier ? Le problème est mondial.

Ici et là, les réflexions sont menées pour s’assurer les chances d’un avenir durable, notamment au cours des différentes rencontres appelées « Sommet de la Terre »[1]. En Afrique, ce sommet s’est tenu en août-septembre 2002, à Johannesburg, en Afrique du Sud.

L'avenir durable passe par la préservation de la biodiversité biologique et des systèmes qui entretiennent la vie. De nombreuses initiatives se mettent de ce fait en place. Celle qui s'inscrit dans le sillage du Conseil Œcuménique Églises (COE), consiste en une réflexion dont le parcours réfute une démonstration absurde, parce qu’inutile, de la crise écologique, celle-ci se posant comme une réalité dont l’évidence met à nu l’agressivité et la perversité de l’homme, ébranle les fondements de la foi et fragilise l’espérance d’un monde écologiquement viable.

Cependant, loin de n’être qu’une réflexion, cette démarche se pose tout autant en une proposition donnant lieu à une praxis.

 

Elle postule une définition théologique de la crise écologique, réhabilite et revalorise l’expérience de la pratique particulière des peuples, prône la mise à contribution d’une catéchèse écologique biblique et contextuelle, avant de revendiquer la 297 Le « Sommet de la Terre » se tint du 26 août au 4 septembre 2002, à Johannesburg, en Afrique du Sud, sous les auspices des Nations Unies.

 

La prise en compte de l’âme africaine dans la recherche du rétablissement ou du maintien des équilibres environnementaux.

 

Ainsi, la crise écologique se définit théologiquement ici comme la conséquence d’un événement primordial antérieur d’affront contre le Dieu de l’ordre. Acception que corrobore la vision africaine de la crise qui se définit, selon elle, comme la conséquence à la désobéissance aux génies tutélaires. Qu’elle soit perçue à travers le prisme théologique ou à travers les oeillets de la culture africaine, la crise écologique n’en demeure pas moins un phénomène temporel dont la signification se puise dans le spirituel et interpelle l’homme. Sa résorption requiert une thérapie inspirée de la méthodologie éthique et débouche sur l’élaboration d’une catéchèse écologique ; une méthodologie qui promeut tant l’ancrage de la conscience écologique en l’Africain que l’espérance en des lendemains meilleurs.

 

L’expérience pratique particulière d’un peuple constitue a priori l’humus qui féconde et engendre la catéchèse et, partant, la théologie. Aussi, les jalons d’une catéchèse écologique trouvent-ils racine, à côté de l'esse de la Révélation biblique, dans les représentations de l’agir propres à un peuple face aux questions de coexistence et de survie des écosystèmes sur un biotope. L’univers d’existence africain se résume à un triple héritage, conséquence évidente de son ancrage à son humus propre, à son amarrage à la Bible et à son incontournable lien avec le cartésianisme qu’inspire l’esprit scientifique. Ce triptyque culturel, biblique et scientifique se prête comme un repère incontestable dans l’effort de résorption de la crise écologique. En dissocier les composantes revient à fausser tant la compréhension que l’appréciation du phénomène et à consacrer des attitudes et des comportements donnant lieu à des drames irréversibles dans l’univers. C’est ainsi que, parlant des rapports entre la théologie et les sciences de la nature, Moltmann affirme :

 

« C’est leur communauté d’urgence dans la crise écologique et le changement nécessaire qu’elles doivent promouvoir ensemble, si l’on veut que l’homme et la nature survivent sur cette terre. »[2]

 

La solidarité humaine et l’interdisciplinarité auxquelles Moltmann fait allusion deviennent de ce fait une urgence au regard des menaces d’ordre écologique qui pèsent sur l’univers. Aussi, il faut penser qu’un réveil à la conscience écologique doublé d’une solidarité agissante des hommes et une intelligente conjonction des disciplines seules pourraient venir à bout de la crise écologique. Et, plus loin, il poursuit : « C’est ensemble que la théologie et les sciences de la nature parviendront à la conscience écologique du monde. »[3] Pour ce changement de conscience, la Conférence oecuménique mondiale de Boston (1979) a été un signal. L’apport du culturel se justifie en ce que : « Le monde où, sur fond de renvois (symboliques surtout), les différences s’organisent à l’intérieur d’une clôture (celle de la création) est non seulement habitable, c’est un monde habité. Je lereçois ; il me précède. Il se donne sur fond de culture et de tradition. »[4]

 

L’assomption conjuguée du culturel, du biblique et du scientifique donne ainsi à élever le créé au rang de « prochain », à instituer la diaconie écologique, à promouvoir l’éthique de la vie, dans la perspective d’une catéchèse écologique dynamique et ouverte. Voilà qui fonde et rend possible la mise en route de la catéchèse écologique entendue comme une grille de lecture des Saintes Ecritures, sur la base de l’expérience écologique particulière des peuples d’Afrique. Mais la question écologique ne saurait être considérée comme une fin en soi. Encore faut-il se garder d’en faire une idole. Il s’agit d’amener à comprendre que « la finalité de la création est d’être à la louange de son Créateur [comme l’affirme si bien Alain-Georges Martin]. Nous avons à la respecter et à l’aimer, non pour nous-mêmes, mais d’abord parce qu’elle est de Dieu et pour Dieu ».[5]

 

Le processus devant déboucher sur la conception, la légitimation et l’expérimentation de la catéchèse écologique se présente sous forme d’un programme interdisciplinaire et oecuménique. On sait, comme il a été dit en amont[6], combien l’échelle des valeurs africaines tient l’homme pour le centre vital, la relation ou la communion pour la pierre angulaire, la vie pour l’absolu et la solidarité pour le cordon ombilical de la condition humaine. Cet édifice éthique paraît chancelant, moribond ou, mieux, fragilisé, d’où la nécessité impérieuse de la reconstitution de la personnalité africaine dans son identité culturelle authentique. Or un tel regard passe par l’échelle des valeurs qui, elles-mêmes, sont le chemin de l’évangile et le véhicule de l’Esprit de Dieu.

 

Comme le souligne Paulin Poucouta, « cette perspective doit marquer l’Eglise dans son exégèse, sa théologie, son éthique, sa pastorale, sa catéchèse, sa liturgie… Elle l’amènera également à investir les lieux où se cherche l’Afrique d’aujourd’hui et de demain, pour encourager, éclairer ou susciter des actions prophétiques, pour y être des témoins des valeurs éthiques et spirituelles. »[7]

 

Ce souci de la mise en route d’un vaste champ où s’effectue et se forge un monde juste mû par des principes éthiques et spirituels rejoint les aspirations du Conseil Œcuménique des Églises. Celui-ci définit, en effet, le rôle de l’Église face à la crise écologique en la situant dans la reconnaissance de la profondeur du défi qui lui est lancé. Au lieu de se borner à prendre connaissance des problèmes écologiques immédiats auxquels il faut remédier, l’Église doit s’attaquer à l’état d’esprit moderne qui est à l’origine des menaces qui pèsent sur la création divine. Il s’agit, pour y parvenir, d’urger la mise en route de deux concepts forts, à savoir le Service social et l’Action sociale. Le fait que l’environnement soit aujourd’hui en péril révèle la crise spirituelle que traverse l’humanité moderne.

 

L’Église doit combattre la foi de la société en la toute puissance de la technologie par des mises en garde et des actes montrant que la technologie doit être à notre service plutôt que nous au sien. Les chrétiens doivent retrouver leur foi en un Dieu créateur, en un monde appartenant à Dieu et en la réconciliation réalisée par le Christ, de l’humanité et du monde créé. Ils auront besoin, pour ce faire, de toute la puissance de l’Évangile[8]. Le Conseil Œcuménique des Églises semble minimiser la précédence d’une connaissance approfondie des problèmes écologiques immédiats. Dans le contexte africain cependant, seule une appréciation objective des savoirs culturel, scientifique et religieux comme nerf conservateur de la biodiversité offre la garantie de la survie.

 

Par surcroît, il faut doter l’africanité profonde d’un supplément d’énergie vitale au moyen de la sève évangélique.

 

En effet, il ne faut rien moins que l’exemple de Jésus-Christ, rien moins que la puissance de son Esprit pour assurer à la personnalité africaine actuelle le surcroît de conscience de sa dignité et de la vraie physionomie de son univers d’existence, ainsi que la force d’affirmation dont elle a besoin pour vivre et survivre en modernité dans un environnement à maîtriser et à sauvegarder.

 

 

[1] La Conférence des Parties (COP) est née à la suite du Sommet de la Terre de Rio de 1992 qui a donné naissance à la Convention-Cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques (CCNUCC). Les pays signataires de la CCNUCC se réunissent annuellement depuis 1995 lors de ce qu'on appelle la Conférence des Parties. Ces réunions ont pour but de vérifier la bonne application des objectifs de la CCNUCC. La première Conférence des Parties a eu lieu en Allemagne en 1995, durant cette réunion, les 196 pays signataires de la Convention-Cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques ont mis en place des objectifs quantifiés de réduction des émissions de gaz à effet de serre (Cf. https://www.novethic.fr/lexique/detail/cop.html)

[2] MOLTMANN, (J.), Op. Cit., p. 53.

[3] Ibid.

[4] GISEL, (P.), 1980, « Scientifiques et croyants devant la question éthique », in Sciences sans conscience ? Foi, Science et avenir de l’homme, Genève, Labor et Fides, pp. 31-32.

[5] MARTIN, (A.-G.), Op. Cit., p. 17.

[6] Supra, p. 210.

[7] POUCOUTA, (P.), Op. Cit., p. 267.

[8] COE (1989), Op. Cit., pp. 13-14

 

 

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