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Note de Lecture

Par Jean José MABOUNGOU

 

Livre :

Une étude sociologique sur les kiosques à Brazzaville

de Jean-Pierre Banzouzi

 

Publié le vendredi 1 août 2014 08:13

 

Jean-Pierre Banzouzi.

Les kiosques qui jalonnent les ruelles et rues de nos quartiers nous parlent, mais nous n’y prêtons guère attention, la plupart du temps. Ils véhiculent des messages et sont, dans le même temps, des lieux de renforcement du lien social. L’étude de Jean-Pierre Banzouzi, anthropologue formé à l’Université Libre de Bruxelles (Belgique) et dont les recherches actuelles portent sur «les lieux de mémoire» au Congo, tente de nous décrypter le kiosque comme porteur d’un discours particulier et lieu de consolidation du lien social.

 Son étude, qui se présente sous la forme d’un exposé de type universitaire, et qui emprunte à des domaines du savoir, tels la linguistique ou la sémiologie, se veut une approche avant tout sociologique.

Le kiosque, au sens où il faut entendre sa définition, c’est-à-dire une petite construction sommaire en planches ou en tôles -ou les deux à la fois le plus souvent- installée sur la voie publique et destinée à la vente de menues marchandises (cigarettes, savonnettes, morceaux de poissons séchés, etc.) ou services (coiffure, cordonnerie, appel téléphonique, etc.), se donne comme un lieu de cristallisation de l’imaginaire des jeunes citadins, selon l’acception d’un Georges Balandier, reprise par l’auteur: «Il est fait de toutes les images que chacun façonne à partir de l’appréhension qu’il a de son corps et de son désir, de son environnement immédiat, de sa relation aux autres, à partir du capital culturel reçu et acquis, ainsi que des choix qui provoquent surtout l’invention des ailleurs, ceux qui se situent au-delà des lieux habituels et que l’on peut dire exotopiques, ceux qui définissent des cités idéales, à construire quelque part et pour cette raison qualifiés d’utopiques».

Cette imaginaire qui, nous dit l’auteur, va puiser ses éléments constitutifs dans le creuset des mythes, légendes, fables, chansons et proverbes de la culture traditionnelle et dans le patrimoine culturel de l’ex-puissance colonisatrice, éclate avec «truculence» à travers les enseignes qui agrémentent les devantures de kiosque: «Ets ya bwa ya mé beni» (Mon établissement peut faire faillite, il est à moi), «Mourir, c’est le défaut de la vie», «Tour Eiffel», «Place Vendôme», etc. Les vecteurs de cet imaginaire échevelé sont les jeunes brazzavillois, pour les uns enracinés depuis plusieurs générations dans le tissu urbain, pour les autres fraichement débarqués des campagnes, dont la parole «part à l’assaut» des devantures de kiosques. Ces enseignes de kiosques, comme le montre l’étude, aussi bizarroïdes et surprenantes qu’elles puissent paraître, sont porteuses de sens; elles sont non seulement des messages publicitaires en direction de la clientèle, mais expriment en outre des idées ou des intentions particulières. Par exemple, «Mourir, c’est le défaut de la vie», nous fait supposer que le concepteur de cette inscription est un homme qui condamne moralement la mort perçue comme un gâchis de la vie. Ou encore «Mpoutou Mboté Yaya» (la France, c’est beau mon frère) est expressif de «cette vie d’opulence et non possédée que le kiosque cherche à faire exister sur le mode de l’imaginaire, par l’exaltation des attributs appartenant à un monde extérieur, paradisiaque».

Ainsi donc, les enseignes de kiosques agrémentées, dans certains cas, de décorations graphiques, le plus souvent baroques -comme cette image sur la couverture du livre représentant un jeune homme habillé en tee-shirt et jean, et chaussé à un pied d’une boite de sardines et à l’autre d’une jarre d’eau, au ventre exagérément ballonné, qui, l’air heureux, mange une brochette de viande, tout en empochant des billets de banques- véhiculent un certain langage que l’auteur nomme le discours du kiosque qui se décline «en forme de slogans», donc un discours nécessairement ramassé du point de vue de sa graphie; les plus longs, précisent l’auteur, n’excédant que très rarement la vingtaine de syllabes.

A certains moments et dans certaines circonstances, ce discours du kiosque peut prendre la forme d’un «contre-discours subversif face aux mots d’ordre» du pouvoir politique. Illustration: durant la période du parti unique, le P.c.t (Parti congolais du travail), lançait des mots d’ordre de sensibilisation politique qu’on pouvait lire grandeur nature sur des calicots placés aux carrefours et dans les principales avenues de Brazzaville: «Le travail crée l’homme», «Sept heures de travail et non sept heures au travail», etc. Face à ces mots d’ordre du parti-Etat, note l’auteur, un scripteur en effet inscrivit sur la devanture de son kiosque un contre-mot d’ordre: «Le travail est comme une aliénation pour l’homme».

«Observatoire de la vie de l’imaginaire» de la jeunesse et vecteur d’un discours singulier, le kiosque est aussi un lieu par excellence de sociabilité: intégration dans le corps urbain des jeunes ruraux, échanges d’idées et de projets, entraide, divertissement, etc. Le kiosque, nous explique l’étude, est moins un lieu de vente et de transaction monétaire, qu’un lieu de sociabilité de la jeunesse urbaine.

On va moins vers un kiosque pour acheter une marchandise (cigarette, savonnette, lame de rasoir, etc.) -comme dans une boutique classique offrant à la vente une gamme variée de marchandises- que pour rechercher un lien social porteur d’intégration et d’entraide: «Le kiosque correspond à une façon réelle de gérer le temps et l’espace. Lieu principal de la sociabilité des jeunes où les occupants peuvent rester en dehors des heures de fermeture, c’est fondamentalement là que peut se déployer le besoin de relations et de conversations, les arts de faire». Et ce lieu de sociabilité, ainsi que le suggère l’auteur, peut être considérée sous un certain angle, comme une «résurgence de la communauté villageoise à travers le mbongui».

Le kiosque qui, effectivement, exprime un certain «art d’occuper la rue», en ce sens qu’il génère une conduite avec ses règles particulières -on occupe la voie publique pour vendre, mais aussi pour bavarder, s’échanger les informations du jour, jouer aux cartes ou au jeu de dame, etc- aussi ouvert qu’il puisse paraître, est, en réalité, un lieu sélectif: «La sociabilité du kiosque est essentiellement sélective, discriminatoire dans le fond, puisqu’elle s’adresse à un couche sociale précise avec ses comportements et ses codes linguistiques. La microsociété des jeunes souvent installée à l’ombre du kiosque, fonctionne en effet comme une tribu (...)».

Soit, ces milliers de petits commerces informels que sont les kiosques fonctionnent comme des lieux de sociabilité fréquentés en majorité par les jeunes urbains. Mais cette réalité palpable -qui n’est au fond, qu’une image de la pauvreté de masse- est-elle réellement à long terme génératrice de développement?

 

 

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