Centre d'études stratégiques du bassin du Congo (Cesbc)

Centre d'études stratégiques du bassin du Congo = ISSN  2493-5387

 

 

 

Migrations internationales et trafic des femmes

 

Par

Sidonie MATOKOT-MIANZENZA

Psychologue,

Responsable "Programme Éducation, Recherche et Genre"

Centre d’études stratégiques du bassin du Congo

Évry, France

Auteur de :

Viol des femmes dans les conflits armés et thérapies familiales. Cas du Congo-Brazzaville,

Paris, L'Harmattan, 2003


Première Partie

État des lieux

La Journée internationale des droits de la femme (ou Journée internationale des femmes) est célébrée le 8 mars de chaque année. Cette journée a pour origine les manifestations de femmes au début du XXème siècle en Amérique du Nord et en Europe, réclamant de meilleures conditions de travail et le droit de vote. Elle a été officialisée par l’Organisation des Nations unies en 1977, invitant chaque pays à célébrer une journée pour les droits des femmes. Traditionnellement cette journée est l’occasion de faire un bilan sur la situation des femmes dans le monde.

En 2010, le thème de la journée était « Égalité des droits, égalité des chances : progrès pour tous ». Cette année, les femmes célébraient également le 15ème anniversaire de la Quatrième Conférence Mondiale des Femmes de Beijing en 1995.

La conférence de Beijing avait déjà conclu que « l’égalité des genres est essentielle au développement et au progrès démocratique ». Elle affirmait aussi que « Égalité, développement et paix sont inextricablement liés. Il ne peut y avoir de paix durable sans développement, ni de développement durable sans égalité entre femmes et hommes ». Quand on fait l'autopsie de la situation des femmes dans le monde en cette fin de la première décennie du XXIème siècle, on constate qu'on est loin des recommandations de Beijing. En effet, depuis la fin des années 1970, la restructuration globale de l’économie capitaliste du fait de la mondialisation, en développant la précarité et la pauvreté, a favorisé le développement de la traite des êtres humains, particulièrement des femmes.

1. Qu’est-ce que le trafic des femmes

Le trafic d’êtres humains est l’une des plus graves violations des droits de l’homme, la traite des femmes en est sans doute la dimension la plus dramatique.  Il s’agit d’un phénomène caché de la globalisation et du libéralisme. Le phénomène n’a pas de frontières géographiques, culturelles, d’âge.

Le processus de la traite des êtres humains se décompose en plusieurs étapes : le recrutement, le transfert, l’assujettissement et l’exploitation des victimes. Celles-ci sont en général des femmes et des hommes dotés d’un certain sens de l’initiative, qui ne veulent pas se résigner à une situation socioéconomique sans perspective. Leurs projets sont cependant corrompus par des moyens frauduleux.  La traite de l’être humain est caractérisée par des éléments fortement corrélés les uns aux autres. Au premier plan se classent le recrutement, le transport, le transfert, l’hébergement ou l’accueil de personnes. Ensuite, on trouve la menace de recours ou le recours à la force ou d’autres formes de contrainte n’impliquant pas la force, tels que l’enlèvement, la fraude, la tromperie, l’abus d’autorité, l’abus d’une situation, etc. Mais, l’élément constitutif essentiel de la traite, qui la distingue d’autres crimes, est constitué par le but d’exploitation de la personne. Cette exploitation généralement est destinée aux fins du travail forcé dont la prostitution et d’autres formes d’exploitation sexuelle.

Il existe une documentation abondante et très riche sur la traite dans le contexte du commerce sexuel, qui touche surtout les femmes et les enfants contraints à la prostitution et à d’autres formes d’exploitation sexuelle.

La traite se développe en s’appuyant sur la vulnérabilité des personnes, victimes de conflits, du chômage ou de la pauvreté, et ceci à l’intérieur des frontières des États comme au niveau mondial au travers des migrations internationales. Elle se développe également parce qu’il existe une demande.

2. Combien y a-t-il, de victimes de la traite ?  

Pour les organisations internationales plus de 12 millions de personnes sont victimes de la traite des êtres humains, formes modernes d’esclavage. En 2005, l’Organisation Internationale du Travail (OIT) estimait ce nombre entre  800 000 personnes à 2,4 millions, l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), entre  700 000 et 2 millions de personnes. En mai 2007, lors d’une conférence organisée sur ce sujet, l’Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe (OSCE) a tiré la sonnette d’alarme devant la progression de la traite dans le monde, estimant que 137 pays sont concernés à titre de pays de destination et 127 à titre de pays d’origine.

3. Les causes du trafic

Les écarts de développement créent des brèches dans lesquelles s’engouffrent les réseaux. C’est sans doute la première cause de la persistance et de l'extension de la traite des êtres humains. Aujourd’hui, des enfants, des femmes et des hommes sont recrutés, déplacés et exploités dans des conditions inhumaines. Par ailleurs, l’effondrement du bloc soviétique au début de la décennie 1990, les guerres dans de nombreuses régions du monde voire le terrorisme, ont eu des répercussions parmi certains groupes de population.

Dans les économies postindustrielles, la globalisation a provoqué le déplacement du capital (délocalisation) vers les régions où la main-d’œuvre est bon marché, les syndicats peu influents ou inexistants. Dans ces économies, on a assisté à un accroissement du recours au temps partiel sur le marché du travail et à une explosion du chômage. 

Dans les pays d’Europe centrale et orientale (l’ancien bloc soviétique), le passage de l’économie planifiée à l’économie libérale a provoqué des ravages sociaux dramatiques.

Dans les pays des autres régions de la planète, particulièrement en Afrique subsaharienne, la globalisation libérale et les politiques d'ajustement structurel qui l’accompagnent, les guerres, les conflits armés et autres violences politiques sont responsables de l’aggravation de la situation de franges de plus en plus importantes de la population, particulièrement des femmes alors qu'elles sont déjà victimes de surexploitation et de nombreuses oppressions.

La dégradation de la situation économique et sociale partout dans le monde a favorisé la féminisation de la pauvreté. Les femmes constituent aujourd’hui plus de la moitié des personnes pauvres, en situation de sous-emploi ou sous-payées. Leurs revenus ne leur permettent même plus de survivre. Vulnérables, elles deviennent facilement exploitables. Elles constituent ainsi des proies faciles pour les réseaux internationaux spécialisés dans la traite des êtres humains.

Dans de nombreux pays, la survie économique de la famille dépend de la femme.  Face à l’effondrement économique et social en Europe centrale et orientale, en Afrique, en Asie, etc., de nombreuses femmes et jeunes filles font le choix de quitter leur pays dans le but de subvenir à leurs besoins ainsi qu’à ceux de leur famille. Dans la plupart des cas, les destinations choisies sont les pays riches.

Ainsi en Afrique subsaharienne, de nombreuses jeunes filles sont prêtes à « tout faire, pour trouver un mari blanc, pour quitter leur pays ». Pour y parvenir, elles pensent que le web est l'outil que leur permettra d'arriver à leur fin. Beaucoup tombent ainsi, malgré elles, entre les mains des réseaux criminels, devenant ainsi  les victimes d’un commerce international d’êtres humains. L’existence d’une demande générale de main d’œuvre illégale et bon marché provenant des pays riches d’Europe, principalement à des fins d’exploitation sexuelle ou encore le mythe de l’attirance sexuelle de la femme slave, de la femme noire ou de la femme asiatique font de la traite des femmes un commerce particulièrement lucratif.

Dans un article intitulé, « La prostitution tisse sa toile au Cameroun », le gérant d’un cybercafé à Douala donne des informations très intéressantes sur le nombre de camerounaises inscrites sur les sites internet de rencontre. On peut penser que des personnes qui font appel au web s’inscrivent sur plusieurs sites à la fois pour multiplier leurs chances de rencontre, ce qui fausse les statistiques. Mais les chiffres avancés donnent une idée de l’ampleur du phénomène dans les pays où le web est relativement bien implanté. Selon ce gérant, au soir du 18 avril 2009 à 21 heures, le nombre de camerounaises inscrites sur les sites de rencontre se présentait comme suit :

  • 7 260 sur Affection.org ;

  • 9 344 sur 4adate.net ;

  • 125 362 sur meetic.be,  

  • 536 845 sur Amour.org,

  • 37 236 sur 123love.com,

  • 9 563 sur rencontres-francophones.net/afrique/cameroun/ ;

  • 96 536 sur rapide-rencontre.com.

Un regard rétrospectif sur ces sites Internet répertoriés, selon le même gérant, montre qu'en moyenne sur 428 000 visiteurs dans un site, 189 000 sont des Camerounaises. Quant à la présence effective des camerounaises sur le web en termes de pourcentage sur ces sites la répartition par pays est la suivante  : Cameroun 52,7%, suivie de la Côte d'Ivoire 32,83%, du Bénin 22,4% , du Togo 17,02%, du Sénégal 15%, du Mali 10% et du Maghreb 7,85%.

À partir de ce contexte général, la question de la traite doit être analysée à partir des paramètres associés aux migrations internes et internationales en examinant d’une part les pressions exercées par les politiques et les conditions socio-économiques dans les pays du Tiers-Monde et, d’autre part, celles associées à l’attrait des pays riches et à leur demande en main d’œuvre étrangère. De nombreuses analystes insistent sur le fait que les pays d’origine peuvent être conduits à favoriser l’émigration, de là, la traite, et comment les pays hôtes jouent à leur tour un rôle important au niveau du phénomène.

 

Deuxième Partie

Les instruments internationaux de lutte contre la traite des êtres humains dont le trafic des femmes

 

 
  

 

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